Économie

« Les sombres perspectives de la Banque mondiale ne sont pas défendables »

L’économiste Mohamed Achir revient sur la situation économique en Algérie, marquée par la hausse de l’inflation et la hausse des prix des produits de première nécessité. Il analyse les facteurs qui engendrent la spéculation et propose des pistes pour combattre ce fléau aux conséquences sociales avérées.

Quel est votre constat sur la situation qui devient calamiteuse des ménages avec les hausses sur les prix des produits de consommation courants ?

 L’inflation est un défi majeur pour le gouvernement durant cette année. C’est un phénomène mondial qui ne peut être endigué que par le retour du niveau de la croissance avant la crise du coronavirus.

Les chaînes de valeur mondiales et régionales sont déstabilisées, les coûts de production ont augmenté, l’offre mondiale de certains produits et matières premières a baissé sur les marchés internationaux et les réseaux de distribution sont perturbés.

Certains produits alimentaires stratégiques comme le blé et le riz connaissent de fortes taxations à l’exportation par les pays producteurs, ce qui a provoqué une baisse de l’offre et une augmentation des prix.

Ajoutons à cela le prix du transport maritime qui a presque triplé. Un conteneur coûtant 6000 dollars avant la pandémie, de provenance de Chine vers l’Europe, coûte aujourd’hui environ 16000 dollars.

Il faut aussi noter les conséquences de la politique monétaire expansive adoptée par les banques centrales dans les pays développés et émergents notamment.

La BCE a acheté environ 1100 milliards d’euros d’obligations. La source du financement de ces obligations est la création monétaire

Plus concrètement, quelle incidence sur les ménages en Algérie et pour combien de temps ?

L’Algérie est en train de subir l’inflation importée à cause de la faiblesse de l’offre domestique dans certains produits alimentaires de première nécessité et l’augmentation des coûts des intrants importés par les entreprises.

La dévaluation du dinar programmée par la Loi de finances 2022 et même pour 2023 n’est pas sans conséquence sur l’augmentation des prix.

Le taux de change moyen dollar-dinar prévu par la Loi de finances 2022 est : 149,3 dinars algériens pour un dollar américain.

Un glissement du dinar qui se traduira par une hausse des prix des produits finis importés ou dont les intrants sont importés. Le gouvernement doit encourager davantage la production nationale agricole et organiser et réguler la chaîne de distribution.

Jusqu’où ira l’inflation?

Si on enlève dans le panier du calcul de l’indice les produits subventionnés par l’Etat directement ou indirectement, on enregistre une inflation à deux chiffres.

Mais si la tendance haussière des prix du pétrole et de baisse des importations continue, elle va contribuer à réajuster davantage les équilibres macroéconomiques, surtout la position financière extérieure, ce qui stabiliserait éventuellement le glissement continu du dinar.

Le phénomène de la spéculation se pose de manière accrue…

 Oui, c’est une autre cause de l’inflation. Nous avons une économie otage de pratiques informelles et spéculatives.

Les mesures annoncées pour lutter contre les pratiques spéculatives sont-elles suffisantes?

Ces mesures doivent être accompagnées par des alternatives concrètes comme la grande distribution, la facturation systématique et la traçabilité de la chaîne, un système statistique de l’évolution de la production locale et des besoins de consommation de la population et des régions du pays.

Il faut créer une certaine synergie intersectorielle et généraliser le partage de l’information économique entre les différents organismes publics surtout via la numérisation.

Pour les produits alimentaires subventionnés, les fruits et légumes, il faut encourager la grande distribution et éliminer les intermédiaires spéculatifs.

En plus de sa mission fondamentale de régulation, l’Etat peut intervenir dans la grande distribution via surtout des partenariats public et privé. Les coopératives doivent être encouragées dans la production et la distribution des produits agricoles et même alimentaires.

Que pensez-vous de la levée des subventions généralisées et à qui profiteront-elles réellement ?

Je pense que l’Etat doit attendre au moins deux ans pour toucher aux subventions des produits de première nécessité (blé, lait, huile, sucre). Avec l’inflation, le pouvoir d’achat ne cesse de se dégrader pour la majorité des ménages.

Mais une chose est sûre, une réforme lisse des transferts sociaux et le passage progressif vers un transfert monétaire aux personnes éligibles est inévitable. Le système actuel de subventions généralisées est insoutenable et inéquitable.

Quelle est votre analyse du rapport de la Banque mondiale sur la situation économique du pays ?

Je pense que ces sombres perspectives annoncées par la Banque mondiale ne sont pas objectivement défendables si nous tenons compte de la tendance globale de l’amélioration progressive et continue des indicateurs macroéconomiques du pays, surtout la stabilisation de la position financière extérieure.

En effet, la croissance économique a enregistré un rebond de 6% au deuxième semestre 2021, la balance commerciale a enregistré un excédent de 1,4 milliard de dollars durant les 9 premiers mois de l’année en cours (2021). Alors qu’elle était déficitaire l’année précédente de plusieurs milliards de dollars.

Le déficit global de la balance des paiements a été également réduit considérablement cette année, soit une réduction du déficit de 8,9 milliards de dollars. Les réserves de change ont été aussi stabilisées à 44 milliards de dollars.

Ce qui annonce une certaine maîtrise non négligeable des importations et l’amélioration des exportations hors hydrocarbures. La loi de finance 2022 a inscrit 3 589 milliards de dinars de crédits de paiements pour la section investissement. C’est une commande publique considérable susceptible de relancer la croissance économique.

La tendance des prix du baril est également haussière pour 2022, ce qui va améliorer un peu plus les équilibres macroéconomiques et réduire le déficit global du budget avec l’amélioration des recettes de la fiscalité pétrolière.

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