La monnaie algérienne fait l’actualité à l’occasion de la mise en circulation d’un nouveau billet de 2000 dinars. Encore une fois, le débat a tourné autour de la question accessoire de la présentation du billet, occultant celles, en principe plus importantes, de la valeur de la monnaie nationale ou de sa convertibilité.
Le tout nouveau billet est émis à l’occasion de la tenue à Alger du Sommet arabe (1er et 2 novembre).
La transcription de la valeur du nouveau billet de 2.000 dinars en langue anglaise, « two thousand dinars », a enflammé les réseaux sociaux, les internautes y voyant un pas supplémentaire dans la tendance en cours du remplacement du français par l’anglais.
« Faux, rectifie Abderrahmane Ammour, ancien directeur de l’imprimerie de la Banque d’Algérie dans un entretien exclusif à TSA. Hormis les premiers billets émis en 1964 et en 1970, aucune langue étrangère ne figurait sur les billets de banque algériens émis à partir de 1975 ».
M. Ammour est ce que l’on peut appeler le « Monsieur billets de banque » algérien. C’est lui qui a dirigé l’imprimerie de la Banque centrale d’Algérie, devenue l’Hôtel des monnaies, de 1964 jusqu’en 2009. Il a en mémoire tous les billets et les circonstances de leur émission pendant cette période.
Les tout premiers billets de banque algériens émis en remplacement des billets français sont ceux du 10 avril 1964. Pour des raisons de délais, ce sont des maquettes préparées avant l’indépendance qui ont été utilisées et sur lesquelles la Banque centrale d’Algérie a remplacé les textes et les valeurs par ceux qui figurent actuellement. Le recto était en arabe et le verso en français.
L’imprimerie, sise au quartier de Ruisseau (Alger), est fondée par les autorités coloniales en 1925. L’Algérie était le seul pays colonisé à disposer d’une imprimerie de billets. Les autorités françaises voulaient disposer d’une imprimerie dans un sanctuaire à l’abri d’éventuelles armées ennemies.
Les débuts pour les Algériens étaient laborieux. « Jusqu’en 1962, aucun Algérien ne travaillait à l’imprimerie de billets. Nous avons alors commencé à algérianiser le personnel. En 1965, il y avait un seul pied-noir qui était resté, en plus de deux retraités de la Banque de France qui sont venus nous donner un coup de main. Nous avons utilisé des équipements réformés de la Banque de France », se rappelle M. Ammour.
Les maquettes de M’hamed Isssiakhem
Le billet de 100 dinars algériens de 1964 était transcrit en arabe et en français. Idem pour les billets de la même émission, soit ceux de 50, 10 et 5 dinars. C’était en fait des maquettes de billets de franc français qui ont été transformées, précise notre interlocuteur.
La première émission de billets de banque faite par les cadres algériens a eu lieu entre 1970 et 1973. M. Ammour a engagé un illustre artiste pour la conception : M’hamed Issiakhem.
C’est le célèbre peintre qui va concevoir les maquettes de tous les billets algériens jusqu’en 1982, soit trois ans avant son décès survenu en 1985. De nouveaux billets de 100, 10 et 5 dinars ont été émis simultanément, ainsi que le premier billet de 500 dinars, sorti en 1973 et retiré en 1982.
En 1975, le fameux billet vert de 50 dinars est sorti. C’est le premier entièrement arabisé. Dans les années 1981-1983, de nouveaux billets ont vu le jour : billet de 100 dinars bleu, premiers billets de 20 et 200 dinars, nouveau billet de 10 dinars. Les coupures de 1000 et 2000 dinars algériens ont été mises en circulation pour la première fois respectivement en 1995 et 2011.
L’ancien directeur général de l’Hôtel des monnaies se rappelle des considérations qui ont motivé la conception de chaque billet de banque.
La décision de l’émission est prise par le gouverneur de la Banque d’Algérie et un groupe de travail se penche sur le thème à retenir dans un souci d’unicité de l’émission.
Le pouvoir politique a-t-il son mot à dire dans la conception des billets ? « Nous soumettons au gouverneur de la Banque d’Algérie, qui à son tour probablement les soumet à qui de droit, peut-être à la Présidence ou au gouvernement. Aucune proposition de maquette n’a été rejetée, ce qui est normal puisqu’elles ont été conçues par un grand artiste. Nous, on ajoute seulement les éléments visibles et invisibles propres au billet, c’est-à-dire les textes et les chiffres et les éléments de sécurisation », explique M. Ammour.
En 1970 par exemple, c’est le thème de « l’Algérie géographique » qui a été retenu. Le billet de 100 dinars algériens a été consacré aux symboles de la région Est, celui de 10 dinars à l’ouest et celui de 5 dinars au sud.
À partir de 1973, les concepteurs ont privilégié les réalisations de l’Algérie indépendante, puis plus tard, l’Algérie à travers l’histoire. On y trouve entre autres, le cerf de barbarie, le figuier de barbarie, le fennec, la révolution agraire, le mémorial du Martyr, le tapis de Beni Snous, la mosquée Ketchaoua, l’université de Constantine, les gazelles du Sahara, la Casbah d’Alger, les fresques du Tassili…
En filigrane, c’est la figure de l’Émir Abdelkader qui a été portée sur tous les billets, jusqu’aux années 1990. À l’époque, le remplacement du buste de l’Émir par l’image d’un buffle, un animal emblématique de l’Algérie préhistorique, avait été suivi de critiques. Pendant longtemps, il a été reproché à la Banque d’Algérie d’émettre des billets et des pièces de monnaie à l’effigie de la faune locale.
Billets de banque algériens : remplacement du buste de l’Émir
« D’abord, il faut savoir que 40 % des billets émis dans le monde ont un animal ou un monument, soit en filigrane soit comme élément principal. Tout le monde ne met pas des personnages », fait savoir M. Ammour.
Une proportion que confirme Abderrahmane Hadj Nacer, gouverneur de la Banque d’Algérie entre 1989 et 1992, qui rappelle aussi que le buffle, ou l’aurochs, a donné son nom à une période de la préhistoire de l’Algérie et c’est pour cela qu’il a été retenu et choisi pour le filigrane de la série ayant pour thème « l’Algérie à travers l’histoire ».
La figure de l’émir Abdelkader avait été utilisée dans les précédentes séries sous tous les profils et il fallait une transition avant de travailler sur de nouveaux billets devant symboliser la convertibilité du dinar et la profondeur et la richesse de l’histoire de l’Algérie.
« Le choix d’un personnage à mettre sur un billet est éminemment politique. À chaque nouvelle émission, nous saisissons les autorités pour changer le filigrane, on nous répondait que ce n’était pas opportun, mais sans nous donner d’orientation. On changeait alors juste le profil de la figure de l’Émir, jusqu’à ce que tous les profils soient utilisés », explique pour sa part M. Ammour.
Cette émission des années 1990 avait pour thème « l’Algérie à travers l’histoire ». Le billet de 1000 dinars, émis pour la première fois, était consacré à la préhistoire, celui de 500 dinars à la période numide.
À la même époque, le gouverneur de la Banque d’Algérie Abderrahmane Hadj Nacer voyait plus loin que la symbolique des billets.
Son projet, c’était la convertibilité du dinar, d’où l’émission de trois pièces de dinar-or. « C’était une reproduction de pièces authentiques de Massinissa, des Rostomides et de l’Émir Abdelkader, des époques séparées par une période de 1000 ans », explique-t-il, ajoutant que, « aujourd’hui, la pièce de 5 dinars-or vaut plus de 4.000 dollars chez les collectionneurs ».
D’ailleurs, Abderrahmane Hadj Nacer est le seul gouverneur de la Banque d’Algérie qui n’a jamais signé de billets de banque, préférant authentifier une nouvelle série symbolisant la convertibilité du dinar prévue à partir de 1993. Mais ce projet n’a pas vu le jour.
L’actualité en ce mois de novembre 2022, c’est la mise en circulation d’un nouveau billet de banque de 2000 dinars algériens. Abderrahmane Hadj Nacer fait remarquer que c’est le troisième billet de 2.000 DA en 10 ans et cela risque de créer de la confusion chez les usagers qui ont leurs réflexes pour l’identification des anciens billets, d’autant plus que le nouveau est très différent.
« Pour commémorer ou marquer un événement, il est plus indiqué d’émettre une pièce-or ou une planche de quelques milliers de billets qui finiront chez les collectionneurs », estime l’ancien gouverneur de la Banque d’Algérie.
Plutôt que de commenter l’introduction de l’anglais qui a tant fait réagir, Abderrahmane Hadj Nacer souligne l’absence totale de tamazight, langue nationale et officielle de l’Algérie, avec l’arabe.
Il note aussi le retour du style de la calligraphie koufie et l’abandon du style maghrébin, 30 ans après l’avoir lui-même introduit sur les billets de banque algériens.