Économie

L’importation de bovins révèle les retards de la filière viande en Algérie

Sur le port d’Alger, les premiers broutards débarquent du cargo Al Farouk. Maladroitement, les jeunes veaux s’engagent sur la passerelle conduisant vers un camion. L’Algérie reprend ses achats arrêtés le temps de la pandémie de covid-19.

À Sète, port d’embarquement, les administrateurs du port ont retrouvé le sourire : « Les achats de l’Algérie permettent à la filière française de maintenir une dynamique des prix« . À Alger, il s’agit avant tout d’enrayer la hausse des prix de la viande rouge qui ont considérablement augmenté ces derniers jours.

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 Cette tension sur la viande rouge trouve sa source dans le manque de fourrage consécutif à la sécheresse du printemps 2021, une sécheresse qui persiste, notamment à l’ouest du pays. Sur les marchés à bestiaux, les bouchers ne se pressent pas à l’achat. Le prix des animaux sur pied atteint des sommets. Un éleveur se défend : « On ne peut pas vendre moins cher que les prix actuels. On est asphyxié par le coût des fourrages« .

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Développement de la filière locale viande rouge

Ces dernières années, la filière bovine à viande s’est étoffée en Algérie. Les pouvoirs publics ont développé l’importation de veaux à engraisser et ces races étrangères sont très prisées. Un éleveur explique : « Au bout de 5 à 6 mois les animaux peuvent être engraissées alors qu’avec les races locales il faut 12 à 14 mois« .

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Le cahier des charges indique que les bovins à l’engraissement doivent avoir un âge inférieur à 14 mois et un poids maximal de 450 kg. De plus en plus d’exploitations se sont lancées dans l’engraissement. Ces exploitations sont parfois gérées par des investisseurs titulaires de diplômes universitaires ou de vétérinaires installés à leur compte ou associés à des éleveurs.

Depuis plusieurs années, l’élevage local est l’objet de l’attention des revues spécialisées françaises. « L’engraissement se fait encore avec des animaux à l’attache et des rations à base de céréales imparfaitement maîtrisées« , écrit le journaliste Bernard Griffoul dans Réussir Bovins Viande (RBV).

L’exploitation gérée par Sobhi Habes à Meskiana (Oum El Bouaghi) s’étend sur 300 hectares. Il reçoit l’aide de l’expert français Michel De Denon particulièrement apprécié des éleveurs. « Nous achetons des veaux charolais de 450 à 480 kg, de préférence quand ils sont détaxés« , explique l’exploitant.

En effet, les importateurs sont destinataires de quotas d’importations bénéficiant d’une exonération de taxes. Non détaxés, les broutards sont achetés au prix de 1.600 euros rendus au port d’Alger, mais en comptant les taxes, la location du lazaret pour la mise en quarantaine et le transport, ils reviennent à 2 300 euros. Après engraissement, les animaux pèsent alors entre 650 et 700 kg et sont revendus à 2 650 euros.

Une année, les cent veaux importés par l’exploitant n’ont pas pu être détaxés et ont été payés au prix fort. Arrivés au port d’Alger au prix de 1 600 euros, une fois arrivés à la ferme à 550 km d’Alger, ils valaient plus de 2 300 euros. « Nous ne sommes pas rentrés dans nos frais. Nous avons perdu 150 euros par bête », ajoute l’exploitant. L’année précédente, avec des veaux détaxés, la marge bénéficiaire s’était élevée à 300 euros par tête.

Des ateliers d’engraissement difficilement rentables

L’exploitation de Salim Djouablia est située près de Constantine. L’activité d’engraissement existe depuis une trentaine d’années. Installé au niveau de 300 ha de cultures céréalières, l’atelier d’engraissement comporte 500 places. Il s’agit surtout de races françaises. Les jeunes veaux sont acquis entre 1 900 et 2 300 euros et sont engraissés durant 6 mois.

Selon l’expert en élevage, la ration comporte 3 kg de paille et jusqu’à 12 kg de concentré fabriqué au niveau de l’exploitation ce qui permet de réduire le coût. Mais la ration reste déséquilibrée. La consommation de paille est insuffisante, le broyage des céréales trop fin et l’apport d’azote insuffisant. Le gain de poids est cependant de 1,4 kg par jour.

Plus récemment à Constantine, c’est l’exploitation d’Emir Belbejaoui qui était à l’honneur de RBV. Il s’agit d’un vétérinaire agriculteur qui produit des cultures fourragères sous forme de balles enrubannées et engraisse des veaux de race Limousine. Toujours près de Constantine, l’exploitation de Nouredine Sahraoui comprend un atelier moderne d’engraissement de 240 places. Des Charolais sont engraissés dans des boxes. Les installations ressemblent à celles qui existent à l’étranger avec cornadis et remorque mélangeuse. Mais, faute de rentabilité, il a arrêté l’engraissement. Et il n’est pas le seul. Emir Belbejaoui confirme : « La viande bovine en a pris un coup. Des gens qui voulaient investir dans l’engraissement ont reculé« .

Les Espagnols visent le marché algérien

Pour nombre d’observateurs français, en Algérie, « l’autosuffisance n’est pas pour demain et une filière d’importation s’est structurée« .

Leur constat porte sur le manque de ressources fourragères, l’accès difficile aux financements, une filière peu organisée dont la valeur ajoutée est captée par de nombreux intermédiaires et un manque de savoir-faire en matière d’engraissement… Visionnaire, Bernard Griffoul note cependant : « La France ne pourra d’ailleurs pas se contenter d’expédier des animaux vers l’Algérie« .

L’appétence de l’Algérie pour l’importation de broutards attire plusieurs pays européens. Ce bon connaisseur du dossier alerte : « Pour pérenniser ce marché, voire le développer, et se prémunir contre la concurrence d’autres pays fournisseurs d’animaux, elle (la France) serait bien inspirée d’y associer un transfert de technologie en construisant une véritable filière bovine franco-algérienne d’engraissement« .

En effet, la concurrence espagnole s’aiguise. Des fabricants d’aliments seraient prêts à apporter de l’appui technique et du conseil en nutrition aux engraisseurs algériens. But : conquérir le marché de l’aliment pour bétail. Selon certaines sources, ils seraient capables de fournir un aliment de qualité à un prix très compétitif.

Les éleveurs espagnols sont rodés dans la fourniture d’animaux, ils talonnent les éleveurs français sur le marché algérien. Michel de Denon indique comment ils procèdent. Ils achètent des veaux de huit jours dans les pays de l’Est (Roumanie, Autriche, Pologne, Tchéquie) ou en Irlande et en Ecosse pour 100 euros par pièce. Les animaux sont élevés jusqu’à atteindre 480 kg, puis expédiés vers l’Algérie à des prix moins élevés que les animaux français.

Un autre professionnel renchérit : « Les veaux espagnols sont plus précoces et mieux adaptés à la ration sèche. Le transport est plus rapide et ils arrivent à des prix plus compétitifs« . Arrivés en Algérie, ces animaux peuvent être amenés à un poids de 620 kg en l’espace d’un ou deux mois. « Le jour où l’Algérie aura intérêt politique à ouvrir ses frontières à des veaux polonais, hongrois ou autres, il y a des chances qu’ils s’implantent, comme ils l’ont fait en Turquie« , estime de son côté Fabien Champion, de l’Institut français de l’élevage.

Les coûts élevés du transport maritime

Le coût du transport maritime est élevé. L’année dernière, une enquête du quotidien El Watan révélait que « les cargos bétaillères qui partent vers l’Afrique du Nord, dont l’Algérie, sont, quant à eux, sous le diktat d’une poignée d’armateurs libanais, turcs et syriens« . Le coût d’affrètement d’un cargo de 1.000 bêtes entre Sète et Annaba revient 50 000 euros.

Alors que les bêtes en provenance de France continuent d’être débarquées au port d’Alger, Abdel Kader Fahl, le capitaine du Farouk battant pavillon de la Sierra Leone confie à Ennahar TV que son bateau comprend 1700 animaux et qu’un autre arrivage est prévu.

Éleveurs, l’impératif de la rentabilité

Comme pour la production laitière, la production de la viande rouge bovine passe par des ateliers d’engraissement dégageant une marge bénéficiaire. Avec l’augmentation du prix de l’aliment, les exploitations incapables de produire leurs propres fourrages sont pénalisées. L’irrigation devient un passage imposé.

Mais la rentabilité est également grevée par les coûts d’importation depuis le port de Sète, le séjour dans les lazarets de quarantaine et le transport des animaux vers l’intérieur du pays. Seule une réduction de ces coûts permettra le développement de cette filière. Si l’importation de viande congelée permet de contenir la hausse des prix, elle est dénoncée par les éleveurs qui y voient une concurrence.

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