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Lutte contre la Covid-19 : « Il faut mettre le masque, se laver les mains… »

Situation épidémiologique, variants du Covid-19, vaccination, immunité collective et capacités de séquençage  en Algérie sont autant de thèmes abordés dans cet entretien par le Pr Reda Djidjik, chef de service d’immunologie au CHU de Béni Messous (Alger).

Comment analysez-vous la situation épidémiologique en Algérie ?

Nous constatons effectivement ces derniers jours une petite augmentation des cas de Covid-19. La situation a changé par rapport à la semaine passée, et on le ressent au niveau des hôpitaux.

Mais pour le moment il n’y a pas lieu de s’inquiéter. Il y a une augmentation. Nous sommes en alerte et nous nous préparons à toutes les éventualités.

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Quelle est la situation dans les services de réanimation à l’heure actuelle ?

Au niveau de l’hôpital de Béni Messous, la douzaine de lits sont saturés mais cette situation dure depuis des mois. Il y a peut-être une sollicitation plus importante ces derniers jours, mais pour le moment la situation n’est pas aussi inquiétante qu’on le pense.

Cela ne veut pas dire qu’il faut lâcher. Il faut se tenir en alerte pour toutes éventualités, se préparer à revenir à la situation d’avant, à savoir le 2e pic (à l’automne 2020).

Il faudrait avoir cette capacité de réagir. Au cours des deux premiers épisodes que nous avons traversés (pics de l’été et de l’automne 2020), nous avions ouvert tous les services Covid (lits conventionnels, lits de réanimation) et ensuite lorsqu’il y a eu la diminution des cas, on a fermé certaines structures Covid qui ont retrouvé leur vocation habituelle.

Nous avons géré pendant deux à trois mois. Maintenant si la situation s’aggrave, on va rouvrir les services qu’on a fermés. C’est cette intelligence et cette capacité à s’adapter que nous avons développées.

On ne peut pas réquisitionner tous les services pour la Covid et oublier les autres pathologies ! Si la situation l’exige et que les indicateurs épidémiologiques sont très mauvais, on rouvrira.

Pour le moment, en termes de lits, la situation est gérable mais si on voit que de jour en jour la situation s’aggrave, on ouvrira les autres structures comme lors du 2e pic.

L’Algérie fait-elle suffisamment de tests pour diagnostiquer les cas de Covid-19 ?

Le nombre de tests reste insuffisant. Mais ce qui a remplacé les tests PCR ce sont les tests antigéniques lesquels font un bon diagnostic, ils ont une bonne sensibilité…

La sensibilité du test antigénique suppose que les symptômes ne doivent pas dépasser 5-7 jours, sinon le résultat est négatif. La plupart de nos hôpitaux utilisent ces tests antigéniques. Je le dis encore, le test antigénique peut remplacer dans certaines situations la PCR.

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Y-a-t-il beaucoup de cas Covid non diagnostiqués ?

Oui probablement. Il y a beaucoup de cas qui ne sont pas diagnostiqués, d’autres cas sont faits avec des tests antigéniques qui ne sont pas répertoriés.

Je sais que le ministère de la Santé ne compte pas les tests antigéniques. Le problème, ce ne sont pas les tests de diagnostic, c’est la situation réelle dans les hôpitaux.

Celle-ci on ne peut pas la cacher. La réalité c’est ce qu’on voit sur le terrain. Je pense qu’il y a beaucoup de cas Covid certainement, mais ils ne sont pas graves.

Au niveau de notre hôpital, nous avons peut-être une centaine de malades dont 12 en réanimation, c’est une situation que nous connaissons depuis des mois. La situation épidémiologique évolue réellement mais elle n’est pas inquiétante.

En Algérie, on enregistre la circulation de deux variants; britannique et nigérian. Est-ce que c’est cela qui explique le léger rebond de l’épidémie ?

Tout le monde se posait la question pourquoi l’Algérie était à l’abri d’un 3e pic. En fait si vous avez remarqué lors des deux derniers pics que nous avons connus,  l’Algérie a toujours été en décalage par rapport aux pays voisins et du Nord.

Je pense que la chose se répète aujourd’hui. Nous avons peut-être un décalage de deux à trois semaines. L’augmentation des cas est due probablement à l’arrivée des variants dans notre pays.

Le variant britannique aurait une contagiosité un peu plus importante par rapport à la première souche. En fait on donne beaucoup de fausses informations sur ces variants alors qu’en fait il s’agit du même virus, ce sont des changements mineurs sur la surface, ce ne sont pas des transformations complètes et différentes de ce virus.

C’est pourquoi la vaccination nous protège pour le moment contre ces variants, et les tests de diagnostic qui existent actuellement détectent ces variants, sans aucun problème.

Les virus d’une manière générale mutent de façon continue et on aura toujours des variants chaque fois que ce virus est là. C’est un phénomène qui existe pour tous les virus aériens, telle que la grippe…

Comment évaluez-vous les capacités de séquençage en Algérie ?

En matière de séquençage, l’Algérie est malheureusement très en retard. Il n’existe pas de séquenceurs dans certains hôpitaux, un Centre hospitalo-universitaire comme le nôtre ou le CHU de Bab El Oued n’ont pas de séquenceurs…

On ne fait pas de séquençage uniquement pour le virus Covid, mais c’est un outil de diagnostic qui est utilisé dans toutes les pathologies génétiques et héréditaires.

Vous voyez le retard que nous avons. J’espère que les décideurs ont compris qu’ils n’ont pas donné son importance à la biologie dans notre pays. Il y a donc lieu d’équiper les laboratoires des hôpitaux pour faire des séquençages.

L’IPA a démarré il y a deux à trois semaines. Maintenant quelles sont les capacités de séquençage, je ne le sais pas, il faut poser la question au directeur général de l’Institut Pasteur d’Algérie (IPA).

Quelle est la place de la biologie aujourd’hui dans notre pays?

Malheureusement, dans notre pays on ne donne pas de l’importance à la biologie. Cette pandémie nous a ouvert les yeux, et surtout les responsables de la santé ont compris l’importance de la biologie.

Or, on ne peut traiter un malade sans avoir un diagnostic biologique. Et maintenant les diagnostics biologiques sont de plus en plus sophistiqués. Ils demandent des moyens et des équipements très lourds.

Pour nous, biologistes, cette pandémie nous a ouvert les yeux et pour dire que notre pays était très en retard dans le domaine de la biologie, et qu’il faut faire ce pas en avant pour développer la médecine algérienne.

Au tout début de la pandémie, les structures hospitalières étaient incapables de réaliser un test PCR alors que c’est un diagnostic biologique banal. On a tout centralisé à l’Institut Pasteur d’Algérie alors que c’est un diagnostic des plus simples.

Comment analysez-vous les discours sur une immunité collective que les Algériens auraient acquise face au Covid-19 ?

Sincèrement, je pense qu’il faut mener des études pour dire quel est le taux de cette immunité collective.

Quand on voit les indicateurs épidémiologiques dans notre pays, lorsqu’on voit le nombre de cas Covid et connaissant le taux de vaccination, il me semble trop dire que nous avons atteint l’immunité collective pour le moment.

Des pays qui ont vacciné pratiquement toute leur population ne parlent pas d’immunité collective. Je ne pense pas que ce soit l’explication à la décrue que nous avons connue ces derniers mois.

Je pense que cette accalmie est due à certains détails qu’on ne connaît pas. Il faut savoir dire dans certaines situations qu’on ne connaît pas.

Que pensez-vous de la polémique autour du vaccin AstraZeneca que certains pays ont suspendu à cause de ses effets secondaires rares mais graves ?

Les vaccins développés durant cette pandémie l’ont été en un laps de temps très court. Les études cliniques ont démontré l’efficacité de tous ces vaccins, qu’ils soient à ARNm ou adénovirus.

S’agissant des effets secondaires, il n’y a pas de vaccin ni de médicament qui soient dénués de tout effet secondaire. Ils sont des millions d’individus à s’être fait vacciner avec l’AstraZeneca et c’est normal qu’on trouve quelques cas d’effets secondaires.

Si je compare avec le Spoutnik V, je ne pense pas qu’on ait eu autant de patients vaccinés comme l’AstraZeneca. Je pense qu’il y a une grande transparence concernant l’AstraZeneca.

Les informations arrivent à la minute près sur tous les effets secondaires concernant l’ensemble des vaccins. Donc, je pense qu’il ne faudra pas tirer des conclusions hâtives. Les quelques cas (d’effets secondaires) enregistrés pourraient arriver avec n’importe quel vaccin. Si on s’intéresse à des vaccins en dehors de la Covid, certainement qu’il y a des effets secondaires comme ceux observés avec l’AstraZeneca.

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Pour terminer, quel est votre message pour nos concitoyens et aux autorités?            

D’abord, respecter les gestes barrières (distanciation physique, port du masque, lavage des mains), qui ont prouvé leur importance et surtout l’utilité pour éviter les contaminations.

En plein pic, le virus circule très vite, et donc on a intérêt à les respecter pour au moins éviter un afflux massif dans les hôpitaux.

Donc je dis restons mobilisés, il faut mettre le masque, se laver les mains, garder les distances physiques.

Je dis aussi arrêtons de discréditer et de culpabiliser tous les citoyens concernant cette épidémie. Les pays européens qui sont plus rigoureux ont-ils évité la 3e vague ? Non. Si la 3e vague arrive chez nous, ce n’est pas parce que nos concitoyens ont lâché, mais c’est cela le virus et c’est cela l’épidémie.

Je ne dis pas qu’il ne faut pas mettre le masque mais je dis qu’on n’est pas là pour discréditer ou culpabiliser quelqu’un. C’est l’évolution naturelle de l’épidémie.

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