Rien ne va plus entre Alger et Bamako. En froid depuis décembre dernier, les relations entre les deux capitales se sont précipitamment dégradées ces dernières heures après la décision des autorités maliennes de mettre fin, de façon unilatérale, à l’Accord d’Alger.
Jeudi, le porte-parole de la junte au pouvoir au Mali a annoncé la fin, avec effet immédiat de l’accord, après constat, selon lui, de l’« inapplicabilité absolue » de l’Accord d’Alger.
Motifs invoqués par les autorités maliennes pour justifier leur décision : « le changement de posture de certains groupes signataires » de cet accord ainsi que « les actes d’hostilité et d’instrumentalisation de l’accord de la part des autorités algériennes, dont le pays est le chef de file de la médiation ».
Bamako reproche également à l’Algérie « d’héberger des bureaux de représentation » de certains groupes signataires de l’accord de 2015 que les autorités de transition qualifient de « terroristes ».
Cette décision radicale des autorités maliennes, du reste prévisible, dont les contours étaient dans l’air depuis quelques temps, n’a pas manqué de faire réagir l’Algérie, laquelle n’a pas dissimulé sa « préoccupation » et ses « regrets ».
L’Algérie « prend acte de cette décision dont elle tient à relever la gravité particulière pour le Mali lui-même, pour toute la région qui aspire à la paix et à la sécurité, et pour l’ensemble de la communauté internationale qui a mis tout son poids et beaucoup de moyens pour aider le Mali à renouer avec la stabilité par la réconciliation nationale », déplore le ministère algérien des Affaires étrangères dans un communiqué.
Alger, qui semblait s’attendre à cette tournure des évènements d’autant que ses rapports n’ont jamais été au beau fixe avec les dirigeants de la junte depuis leur arrivée au pouvoir, préfère tenir à témoin « l’opinion malienne » de sa sincérité dans l’engagement en faveur de la promotion de la réconciliation au Mali.
D’ailleurs, elle rejette globalement et dans le détail les arguments avancés par la junte pour justifier leur décision. « En effet, il n’a échappé à personne que les autorités maliennes préparaient cette décision depuis bien longtemps », a remarqué la diplomatie algérienne.
« Les signes avant-coureurs depuis deux ans en ont été leur retrait quasi-total de la mise en œuvre de l’Accord, leur refus quasi-systématique de toute initiative tendant à relancer la mise en œuvre de cet Accord, leur contestation de l’intégrité de la médiation internationale, leur désignation de signataires de l’Accord, dûment reconnus, comme dirigeants terroristes, leur demande de retrait de la Minusma, l’intensification récente de leurs programmes d’armement financés par des pays tiers et leur recours à des mercenaires internationaux », égrène la diplomatie algérienne.
Accord d’Alger : l’Algérie répond au Mali
Pour Alger, il ne s’agit donc pas d’une surprise. Depuis leur arrivée au pouvoir, les dirigeants de la junte n’ont pas cessé, en effet, de tergiverser et de multiplier les gestes afin de torpiller l’accord.
Cette hostilité a culminé avec l’offensive militaire menée en novembre dernier à Kidal et appuyée par les mercenaires du groupe Wagner contre les groupes rebelles signataires de l’Accord.
Les récentes attaques contre l’Algérie après la réception par Alger de groupes rebelles et du chef de la confrérie Kountia, Mahmoud Dicko et enfin l’annonce, la veille du nouvel an, des nouvelles autorités d’un « dialogue inter-malien pour la paix et la réconciliation » qui devra permettre « l’appropriation national du processus de paix », ont acté les intentions des nouveaux maîtres de Bamako concernant l’accord d’Alger.
Dans un contexte de reconfiguration dans la région du Sahel marquée par l’arrivée au pouvoir d’une nouvelle élite militaire, à la faveur d’une série de coups d’États, l’éviction de la France, la percée de la Russie et les manœuvres marocaines dans la région, les nouvelles autorités maliennes, en quête de reconnaissance internationale, pensent trouver leur compte en tournant le dos à un allié historique.
Un choix aussi qui semble obéir à des interférences émiraties dont les agissements dans la région au profit d’Israël et du Maroc sont désormais de notoriété publique.
Cela sans compter l’argent qu’ils ont dû mettre sur la table pour rallier les dirigeants maliens à leur cause. Est- ce un hasard s’il y’a quelques jours seulement l’Algérie dénonçait par la voix du Haut conseil de sécurité des « agissements hostiles » d’un pays frère ?
En enterrant l’Accord d’Alger, cadre idoine pour le règlement de la crise malienne de l’avis unanime de la communauté internationale, Bamako ne se prive pas seulement d’un levier pour aspirer à instaurer la paix, mais risque d’aggraver davantage la situation d’un pays confronté à des défis sécuritaires et économiques d’une grande complexité.
« Le peuple malien frère doit savoir que des décisions aussi malheureuses et aussi malvenues ont prouvé par le passé que l’option militaire est la première menace à l’unité et à l’intégrité territoriale du Mali, qu’elle porte en elle les germes d’une guerre civile au Mali, qu’elle diffère la réconciliation nationale au lieu de la rapprocher et qu’elle constitue enfin une source de menace réelle pour la paix et la stabilité régionales.
Le Mali a toujours besoin de paix et de réconciliation. Il n’a aucun besoin de solutions qui ne lui ont apporté par le passé que déchirements, destructions et désolations », met en garde le ministère algérien des Affaires étrangères. Une façon diplomatique de suggérer que ce pays est désormais exposé au risque du chaos.