Économie

Manque d’eau en Algérie : le cri de détresse d’un agriculteur

Avec le mois d’avril, dans plusieurs wilayas démarre le repiquage des plants de tomate de conserve et des oignons d’été. Des cultures irriguées auxquelles s’ajoutent celles de pommes de terre et d’arbres fruitiers.

Mais depuis plusieurs semaines, il n’a pas plu et l’eau se fait rare en Algérie. Comment partager la pénurie d’eau ?

Selon les régions et le mode de culture, les agriculteurs ont adopté des stratégies différentes. C’est le cas des producteurs de tomate industrielle et d’oignon.

La première victime de la raréfaction de l’eau a été l’irrigation à la raie. Fini la traditionnelle séguia (rigole) trop dispendieuse en eau. Ce mode traditionnel est en voie de disparition et a été remplacé par l’aspersion.

Partout en Algérie, les maraîchers utilisent aujourd’hui des kits d’aspersion. Il s’agit d’asperseurs montés sur des mâts d’un mètre de haut disposés à intervalles réguliers sur des conduites dans lesquelles passe de l’eau sous pression. D’un maniement simple et peu coûteux, ces kits sont largement disponibles et se sont répandus.

Oignon : retard dans l’utilisation de la technique du goutte à goutte

À Rechaïga (Tiaret), commune réputée pour la culture des oignons et de la pomme de terre en Algérie, l’irrigation par aspersion constitue le mode dominant et représente 82% des surfaces, selon une étude de l’École nationale supérieure d’agronomie (ENSA).

L’irrigation à la raie reste marginale avec 5% et la micro-irrigation ou goutte à goutte ne représente que 13%.

Ce retard du « goutte à goutte » est imputable à la nature de la ressource en eau. L’eau provient majoritairement de forages individuels. Jusqu’à ces dernières années, l’eau souterraine était abondante mais comme le note cette étude, la nappe fait l’objet d’un fort rabattement.

« Les niveaux piézométriques entre le début des années 1990 et 2017 sont passés de quelques mètres à 60 m, selon les périmètres. Dans le périmètre d’Elmechti, la profondeur des forages exploités passe même, en moyenne, sur cette période, de 60 à 130 m.  »

N’étant pas tenus de produire à proximité immédiate d’une conserverie comme c’est le cas des producteurs de tomates, les maraîchers qui louaient des terres à Rechaïga se sont déplacés vers d’autres wilayas à la recherche d’eau.

Quant aux propriétaires locaux qui ont appris à cultiver de l’oignon en côtoyant ces maraîchers itinérants, ils ont réduit les surfaces cultivées en oignons et sont revenus à la culture des céréales non irriguées.

Si les kits d’aspersion ont permis un progrès par rapport à l’irrigation à la raie, ils s’avèrent peu économes en eau. Le même constat est réalisé à El Oued avec les pivots rotatifs.

Dès 2010, les différentes études comparatives menées par des universitaires ont montré un net avantage à un nouveau mode d’irrigation : le goutte à goutte.

Des chercheurs de l’université d’Ouargla ont montré que ce mode d’irrigation permettait un meilleur calibre des tubercules de pommes de terre et un net accroissement des rendements, le tout combiné à une nette réduction de la consommation en eau.

Le « goutte à goutte » à la rescousse

Face au rabattement des nappes d’eau constaté tant à Rechaïga, qu’à Mascara ou à Mitidja, nombreux sont les agriculteurs qui, aujourd’hui, se sont tournés vers la micro irrigation.

C’est le cas des producteurs de pastèque chez qui ce mode d’irrigation a vite remporté un vif succès. À Relizane, des artisans se sont même inspirés de modèles étrangers pour mettre au point un engin qui, en un seul passage, déroule les gaines d’irrigation ainsi que le film plastique et réalise l’apport localisé d’engrais minéraux et organiques.

Un progrès qui concerne également les oignons. Les rendements moyens de 35 à 60 tonnes par hectare peuvent atteindre 90 tonnes avec la micro-irrigation.

Irrigation de la tomate : recours au goutte à goutte

Dans le cas de la tomate, le goutte à goutte est devenu une obligation tant la quantité d’eau retenue par les barrages des régions de Guelma et Skikda a baissé.

À cela, s’ajoute un contexte particulier. La commercialisation se fait dans le cadre de contrats passés avec des conserveries. Les producteurs sont donc liés à ces industriels et sont souvent concentrés au niveau de périmètres irrigués par l’eau en provenance de barrages.

Cette concentration permet aussi aux producteurs de disposer d’un fort pouvoir de négociations avec les autorités locales chargées de l’attribution des quotas d’eau d’irrigation.

Les premières campagnes de sensibilisation à la micro irrigation sont venues des conserveries de tomates et notamment de la Conserverie Amor Benamor.

Dès 2008, le pool agronomique de la conserverie a procédé à des essais dans la commune de Fedjoudj. Une parcelle a été consacrée à l’aspersion et a permis un rendement de 1.000 quintaux et une autre au goutte à goutte avec un rendement de 1.500 quintaux alors que le rendement chez les agriculteurs était de 400 à 600 quintaux.

Pendant une dizaine d’années, la conserverie et les services agricoles ont poursuivi leur effort de vulgarisation. La pénurie en eau a également fortement incité les producteurs à s’adapter.

En mai 2017, leurs plantations ont connu 15 jours sans irrigation du fait de l’arrêt du pompage à partir des eaux du barrage de Bouhemdane. Un barrage dont le niveau avait baissé de 15 %. Plusieurs centaines d’agriculteurs s’étaient alors rassemblés devant le siège de la wilaya et avaient obtenu le rétablissement de l’alimentation en eau.

Le même scénario s’est reproduit en juin dernier. Des agriculteurs de Bouchegouf ont dénoncé le manque d’eau en provenance du barrage de Hammam Debagh et ont fini par obtenir gain de cause. Un lâcher de 6 millions de mètres cubes leur a été promis par le directeur des ressources en eau de la wilaya de Guelma.

Manque d’eau en Algérie : un agriculteur appelle à l’aide

Cette année encore, le manque d’eau affecte les producteurs de tomates en Algérie.

À Azzaba (Skikda), debout dans son champ, Mohamed ne décolère pas. Il confie à une Web TV locale : « Pour acheter de l’engrais, j’ai dû vendre les bijoux en or de ma femme. J’ai épandu l’engrais au sol, il y a là 10 hectares prêts pour le repiquage de la tomate, mais il n’y a pas d’eau. Ils n’ont pas lâché l’eau du barrage. Je vais devoir laisser mes enfants dans la misère. »

Inquiet, il poursuit : « J’en appelle aux plus hautes autorités du pays et au ministre de l’Agriculture pour que les mesures nécessaires soient prises. L’agriculteur est à la base de l’économie du pays. Si demain on ne produit plus de tomates, il faudra en importer. Imaginez combien perdra le pays. » Désabusé, il ajoute : « Les autorités du pays parlent toujours d’agriculture, mais il n’y a d’eau ni pour le blé ni pour la tomate. »

La micro-irrigation : « Un coûteux malentendu »

Le passage progressif au goutte à goutte laisse entrevoir des économies en eau au niveau du secteur agricole. Un secteur qui monopolise plus de 70% de la ressource en eau.

Co-auteur d’une étude sur la micro-irrigation, François Molle de l’université de Montpellier jette un pavé dans la mare.

Il évoque un coûteux malentendu : « Un autre effet induit par le passage au goutte à goutte est la possibilité pour certains agriculteurs, notamment ceux dont la capacité de mobilisation en eau est définie par la capacité de leurs puits ou forages, de profiter de la réduction des doses apportées à l’hectare pour utiliser le volume ainsi dégagé pour augmenter les superficies irriguées. »

Il cite ainsi le cas d’agriculteurs qui, à l’occasion de l’installation de ce procédé, ont réalisé une densification avec des rangées d’arbres intercalées, une expansion latérale ou carrément ont opéré une reconversion en vergers intensifs.

Phénomène très général, indique-t-il, observé en Espagne, Jordanie, Tunisie, Chine ou États-Unis.

Il conclut par une surprenante affirmation qui réduit à néant les espoirs d’économie d’eau de l’agriculture au profit des autres secteurs : « Les processus d’intensification au niveau de la parcelle, les changements d’assolement induits, et les phénomènes d’expansion des superficies irriguées associés à la reconversion de l’irrigation traditionnelle en goutte-à-goutte vont tous dans le sens d’une augmentation des quantités d’eau consommée par l’irrigation. »

Pour François Molle, le verdict est sans appel : dans de nombreux pays, le secteur agricole continue à utiliser les mêmes quantités d’eau qu’autrefois, et ce, malgré la modernisation des procédés.

L’apparition de réservoirs d’eau en plastique qui fleurissent sur les balcons et terrasses d’Alger en témoigne. S’il est vrai que les gains de production obtenus grâce au développement de la micro-irrigation servent à approvisionner le marché local, l’eau économisée sert également pour l’exportation et à l’introduction de cultures tropicales gourmandes en eau : avocatiers, mangues, bananes.

Manque d’eau : des techniques d’irrigation plus efficientes

L’irrégularité actuelle des pluies réduit le niveau des barrages et des nappes souterraines en Algérie. Une situation qui amène à partager la pénurie entre les secteurs de l’agriculture, l’industrie et l’adduction en eau des villes.

Avec plus de 70% d’utilisation des ressources en eau, l’agriculture représente un gisement potentiel d’économies d’eau. Reste à trouver les meilleures solutions : utilisation de techniques d’irrigation plus efficientes à l’avenir, telles que le goutte à goutte enterré, mais également l’allocation d’eau en priorité aux cultures stratégiques.

Les services de l’hydraulique développent des contrats de nappe censés réunir autour d’une même table les utilisateurs d’eau d’une même région.

Mais l’universitaire Marcel Kuper, qui familier des questions d’irrigation au Maghreb, remarque : « Vous avez affaire à des acteurs autour de la table qui ont des intérêts divergents. »

Se pose la question de qui mettre autour de la table ? Il témoigne : « Dans certaines zones [du Maroc], vous avez une centaine d’agriculteurs qui sont actifs sur une nappe. Mais il y a trois grands exploitants qui consomment 50% de la ressource, qui ont fait des investissements énormes, et de l’autre côté, des moyens et des petits agriculteurs qui se partagent le reste de la ressource. Est-ce qu’il faut demander aux trois grands exploitants de réduire leur consommation, leur production, sachant qu’ils ont déployé des investissements lourds, qu’ils créent des emplois, ou plutôt demander aux petits agriculteurs, ceux qui rendent vivant un territoire, de fournir seuls l’effort ? » Il conclut : « Ce sont des choix politiques à faire. Et ce n’est pas évident à négocier. »

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