L’administration des douanes vient de révéler que les résultats de notre commerce extérieur en janvier 2019 ont été marqués par une augmentation brutale du déficit commercial. Avec plus de 1,4 milliard de dollars en un seul mois, le déficit a explosé par rapport à janvier 2018.
À première vue, l’explication de ce niveau de déficit parait assez simple. Elle semble essentiellement la conséquence de la chute des prix du baril qui ont été particulièrement bas au mois de janvier dernier. Nos exportations d’hydrocarbures sont ainsi en recul de 40%. Elles ne représentent plus que le montant mensuel de 2,14 milliards de dollars contre 3,58 milliards en janvier 2018.
L’importance de la chute de la valeur des exportations semble cependant suggérer que le prix du baril pourrait ne pas être seul en cause et que d’autres facteurs comme la réduction des quantités exportées ou la tarification des exportations gazières pourraient également avoir joué un rôle dans ce très mauvais résultat. Les douanes algériennes ne donnent cependant aucune indication à ce sujet.
La baisse du prix du baril n’est pas la principale explication
Vérification faite, il semble parfaitement clair que la baisse du prix du baril ne peut pas être la seule explication de la chute considérable de la valeur de nos exportations en janvier dernier.
C’est un économiste comme Nour Meddahi qui a refait les calculs pour TSA. En janvier 2018, le prix moyen du baril de Brent qui sert de référence au pétrole algérien a été de 69,1 $ contre 60,25 $ pour janvier 2019, ce qui représente une baisse de « seulement » 13,2%.
Puisque les exportations d’hydrocarbures ont baissé de 40%, on doit conclure qu’il y a eu, au moins en janvier, une forte baisse des volumes exportés (pétrole et gaz) voire une incidence significative des nouveaux prix du gaz négociés à la fin de l’année dernière et sur lesquels les autorités algériennes ainsi que Sonatrach sont restés très discrètes.
Une probable poursuite de la chute de la production d’hydrocarbures
Au début de l’année en cours, l’ONS avait déjà annoncé que, dans le secteur des hydrocarbures, la production a reculé de 7,8% au troisième trimestre 2018 par rapport à la même période de l’année 2017. Une information qui confirmait globalement des chiffres déjà mentionnés pour la première fois par le gouverneur de la Banque d’Algérie devant les députés le 24 décembre dernier à propos de la conjoncture économique en 2018.
Selon l’ONS, la production du pétrole brut et de gaz naturel a enregistré une baisse de 3,1%, tandis que l’activité de raffinage du pétrole brut a baissé de 11,8%. Mais c’est surtout la production dans la branche de liquéfaction du gaz naturel (GNL) qui a diminué de 25,9% et a largement contribué à cette tendance baissière dans le secteur.
Les raisons d’une contraction aussi importante de l’activité GNL n’étaient pas précisées. Nos sources indiquent qu’elle pourrait être imputable à la réduction des débouchés pour la production algérienne dans un contexte de forte concurrence internationale. Elles mentionnent particulièrement « la production qatarie mais également l’arrivée récente de nouvel acteur américain dont les compagnies ont notamment signé en 2018 des accords de livraison de GNL avec des partenaires espagnols en menaçant ainsi les positions traditionnelles du GNL algérien sur le marché européen » .
Sonatrach conteste régulièrement les informations, pourtant communiquées par des organismes officiels, sur la chute de la production du secteur. Dans la période la plus récente, les dirigeants et les bilans officiels de Sonatrach concèdent uniquement une baisse légère de la production du pétrole brut et des condensats traités par les raffineries « en raison du respect du quota exigé dans le cadre de l’accord de l’Opep » en renvoyant donc la balle aux accords internationaux conclus par l’Algérie.
Un déclin de l’activité qui remonte à plus d’une décennie
On sait cependant avec une relative certitude que la production du secteur est en baisse régulière depuis plus d’une décennie, la première diminution sensible ayant été enregistrée en 2008. Depuis cette date des estimations d’experts évaluent la réduction cumulée de la production du secteur à plus de 20%.
C’est en vain qu’on chercherait des explications officielles à ces résultats inquiétants. La communication gouvernementale aussi bien que celle de Sonatrach sont pratiquement muette sur ce chapitre. On trouvera plutôt des éléments d’explication assez convaincants dans les analyses d’un ancien PDG de Sonatrach, Nazim Zouiouèche, qui évoquait en novembre dernier, dans un entretien à TSA Direct, une combinaison de facteurs tels que : « le vieillissement des gisements, l’absence presque complète de découvertes commercialement exploitable au cours des dernières années ainsi que le retard dans la mise en exploitation des nouveaux gisements du Sud-Ouest dont la découverte remonte pourtant à 2006 ».
Renégociation des contrats gaziers en 2018 et 2019
Un autre élément d’explication pourrait avoir joué un rôle important dans le recul de la valeur de nos exportations en janvier dernier. « L’Algérie a réussi à renouveler la majorité de ses contrats à long terme de livraison de gaz avec ses partenaires européens » avait indiqué, au cours d’une conférence de presse, le 20 novembre dernier à Alger, le ministre de l’Énergie
Mustapha Guitouni semblait ainsi mettre fin à plusieurs mois d’incertitude sur fond de polémique suscitée par la demande de certains pays européens d’acheter le gaz directement sur les marchés spot, chose qui leur assurait des prix inférieurs aux prix algériens.
« Il n’y a aucun problème », avait assuré le ministre algérien. « La majorité des contrats qui lient l’Algérie et l’Union européenne ont été signés de façon normale », avait-t-il encore soutenu.
Lors de cette conférence de presse, Mustapha Guitouni, tout en indiquant que l’Algérie avait renouvelé ses contrats avec ses partenaires traditionnels et historiques que sont l’Italie et l’Espagne, avait également souligné, que pour l’année 2018, le cap des 57 milliards de mètres cubes de gaz exportés vers l’Europe devrait être franchi. Il est appelé à augmenter durant les prochaines années, avec des contrats « sécurisants » pour les deux parties, selon lui.
À la fin de l’année dernière, l’interprétation la plus couramment retenue était donc que l’Algérie aurait finalement obtenu gain de cause en faisant jouer la carte de la fiabilité et de la stabilité, s’épargnant ainsi la chute de ses revenus en devises fortes.
L’inconnue des nouveaux prix du gaz algérien
Malheureusement, les nouveaux contrats gaziers conclus avec des partenaires européens n’ont sans doute pas encore révélés tous leurs aspects. Selon de nombreuses analyses d’experts, tout porte à croire qu’ils seraient, pour l’Algérie, moins avantageux que ceux qui les ont précédés.
La durée de ces contrats a tout d’abord été fortement révisée en baisse. Selon le Financial Times, elle serait de 12 ans dans un premier contrat signé en juin 2018 entre Sonatrach et la compagnie espagnole Gas Natural Fenosa et dont les quantités contractuelles sont estimées à environ 10 milliards de mètres cubes/an. On ne connait pas en revanche la durée des contrats conclus avec des partenaires italiens et français.
Aucun détails n’a par ailleurs été fourni sur les prix appliqués par ces différents contrats. Selon nos sources, Sonatrach est confrontée à un contexte nouveau, marqué par une remise en cause générale des contrats de long terme, dont les prix du gaz sont indexés à ceux du pétrole.
Pour un expert comme Ali Kefaifi, on s’oriente à grands pas vers « une situation dans laquelle 90% des contrats signés seront basés sur les prix de marché du gaz ». C’est d’ailleurs, ajoute l’expert algérien, le contenu essentiel d’ « un accord signé tout récemment entre l’Union européenne et le Japon qui est le premier importateur mondial de GNL dans le but d’encadrer les négociations de leurs opérateurs nationaux respectifs ».
Il est certainement encore beaucoup trop tôt pour affirmer avec certitude que les recettes nationales d’hydrocarbures vont subir un très fort choc externe en 2019. Mais les résultats du mois de janvier constituent sans aucun doute une indication sur une tendance qu’il faudra suivre avec attention au cours des prochains mois.
Une chose apparaît comme certaine cependant. Ainsi que beaucoup d’analystes ont déjà commencé à l’annoncer, nos revenus pétroliers risquent d’être sous pression constante au cours des prochaines années. Non seulement pour des raisons liées classiquement à la volatilité des prix du baril mais également désormais en raison de la réduction des quantités disponibles pour l’exportation et de la concurrence croissante entre les exportateurs de gaz.
Incertitude politique, discussions gelées
À ces problèmes opérationnels vient s’ajouter l’incertitude politique née du mouvement populaire qui conteste le président Bouteflika. Le géant pétrolier américain Exxon Mobil a suspendu, au moins temporairement, les discussions avec la compagnie pétrolière nationale Sonatrach en vue de développer le secteur du gaz naturel en Algérie à cause des manifestations populaires contre le président Bouteflika qui se déroulent depuis un mois à travers le pays, rapporte l’agence Reuters ce mercredi.
L’échec dans les discussions serait dû au fait que l’actuel PDG de Sonatrach, Abdelmoumen Ould Kaddour, a été nommé par le président Bouteflika, laissant penser que le sort du PDG est intimement lié à celui du président. « Dans la minute même où Bouteflika quitte le pouvoir, Ould Kaddour sera viré », affirme une source proche du dossier, citée par Reuters.