Société

Médecines complémentaires : les « médecines » des non médecins et des gourous thérapeutes

TRIBUNE. Les « médecines » complémentaires ont le vent en poupe un peu partout dans le monde.

Il en est de même dans notre pays, de plus en plus de citoyens ont recours à ces « médecines » tant et si bien que le Conseil national économique, social et environnement (CNESE) a, fort opportunément, jugé utile de lancer, lors d’un séminaire sur les médecines complémentaires tenu le 24 janvier 2023, une réflexion devant aboutir à des orientations destinées à la mise en place d’un cadre juridique réglementant les médecines complémentaires.

Il est à regretter que l’Ordre national des médecins, premier concerné par la qualification des médecins, n’ait pas participé au séminaire.

Dénommées en des termes utilisés de manière interchangeables : alternatives, complémentaires, traditionnelles, douces, parallèles, holistiques, ces « médecines » forment un groupe très hétérogène et d’approche thérapeutique très différente les unes des autres.

Pour la commodité, on les regroupera sous le terme de « médecines » non conventionnelles par opposition à la médecine conventionnelle.

La liste de ces « médecines » non conventionnelles ne cesse de s’allonger puisqu’environ 400 disciplines sont actuellement répertoriées dans cette catégorie, les plus plébiscitées en Algérie sont la phytothérapie, la hijama, et la roqia et plus occasionnellement voire plus rarement l’acupuncture, l’ostéopathie, l’apithérapie et l’hypnose.

Bien que de dénomination plurielle et très hétérogène, elles partagent en commun le fait qu’elles ne reposent sur aucune base scientifique à l’opposé de la médecine conventionnelle qui repose sur des bases scientifiques et l’efficacité thérapeutique sur les essais cliniques.

La médecine conventionnelle, moderne, est un art qui ne peut être exercé qu’après avoir acquis une formation médicale académique universitaire et une somme de connaissances en sciences fondamentales (anatomie, physiologie, physiopathologie), en sciences cliniques (pathologies, anatomo-pathologie), paracliniques (biologie et imagerie médicales) et de thérapeutique, sanctionnée par un diplôme d’Etat (DE) de docteur en médecine.

Lesdites médecines non conventionnelles ne reposent sur aucune de ces bases scientifiques académiques. Elles n’appréhendent pas la médecine et la profession dans la globalité des connaissances acquises lors des études médicales.

Elles se limitent à l’aspect pratiques thérapeutiques, soins et remèdes basés sur des connaissances empiriques tirées de l’observation et de l’expérience.

Exclure les « médecines » non conventionnelles du champ médical

Certes, certains soins et remèdes non conventionnels recèlent de nombreux bienfaits pour la santé. Ceux dont l’efficacité peut être démontrée sur des éléments scientifiques probants peuvent être incorporés dans la médecine conventionnelle.

Nombre de produits pharmaceutiques autorisés sont issus de substances naturelles, notamment des plantes médicinales, après en avoir extrait les principes actifs, à l’instar de l’aspirine à partir de l’écorce de saule.

Les pratiques thérapeutiques dont l’efficacité n’est pas prouvée par des éléments scientifiques probants, soit l’écrasante majorité si ce n’est la totalité des « médecines » alternatives et complémentaires doivent être exclus du champ médical et ne peuvent être dénommées par le terme de Médecine.

Le cadre juridique objet de la réflexion initiée par le CNESE devrait viser deux aspects : les « médecines » non conventionnelles et exercice médical dans le secteur libéral d’une part et d’autre part « médecines » non conventionnelles hors exercice médical.

« Médecine » non conventionnelles et l’exercice médical libéral

L’actuel décret 92/276 du 6 juillet 1992 portant Code de déontologie médicale énonce les principes, les règles et les usages que tout médecin doit observer dans l’exercice de sa profession sous peine de sanctions disciplinaires.

L’article 31 du Code énonce expressément que « le médecin ne peut proposer au malade ou à son entourage comme salutaire et sans danger un remède ou un procédé illusoire insuffisamment éprouvé. Toute pratique de charlatanisme lui est interdite ».

L’obligation du respect des dispositions de cet article interdit ipso-facto au médecin de prescrire des remèdes et de pratiquer des actes de soins non conventionnels car insuffisamment éprouvés voire illusoires.

Une pratique en rapport avec la santé non validée scientifiquement est toujours sujette à caution. L’Ordre des médecins ne saurait tolérer des pratiques en violation de son propre code de déontologie médicale.

Soucieux de la sécurité des soins et remèdes et de la préservation de la santé du citoyen, l’Ordre des médecins ne reconnait ni n’accorde une qualification ou une compétence dans le secteur libéral que pour les formations académiques sanctionnées par un diplôme délivré par une université ou un organisme de formation agréé par l’Etat.

L’Ordre des médecins doit veiller à ce que les médecins n’utilisent pas leur titre pour promouvoir et donner une caution scientifique à des pratiques dont l’efficacité n’est pas prouvée.

Des médecins peu scrupuleux motivés par le gain ou la cupidité pourraient profiter, certains le font déjà, de la confiance, la crédulité, la naïveté ou la détresse des patients pour leur proposer à des honoraires excessifs des prestations ou des produits soi-disant thérapeutiques.

Les termes, médecine, médecin et thérapeute doivent être protégés par la loi, leur usage règlementé et réservé à la médecine conventionnelle et au médecin.

« Médecine » non conventionnelle hors exercice médical

Il est de notoriété publique que dans notre pays, les citoyens ont recours, et de de façon importante à ces « médecines » alternatives tout particulièrement la phytothérapie, la hijama et la roqia exercés par des pseudo-praticiens en dehors de tout cadre règlementé.

D’un point de vue législatif, chacun est libre de croire ou non dans le bien-fondé d’une pratique de soins ou de remèdes non conventionnels et d’y recourir ou non.

Cependant, seuls les experts, les spécialistes et les sociétés savantes dûment reconnues sont habilités à se prononcer sur les bienfaits de certaines pratiques, soins et remèdes non conventionnels sur la santé physique et mentale.

La législation et la règlementation doivent encadrer l’exercice des pratiques thérapeutiques non conventionnelles pour préserver la santé du citoyen et le protéger des publicités mensongères, des dérives sectaires et des pratiques charlatanesques.

Le quotidien et les faits-divers montrent que tout malade aussi intelligent, riche et fortuné soit-il devient une proie potentielle pour les guérisseurs de toutes sortes, les imposteurs, les gourous, les charlatans, et les escrocs dès lors qu’il est malade.

*Président du Conseil régional de l’Ordre des médecins de Blida 


Important : Les tribunes publiées sur TSA ont pour but de permettre aux lecteurs de participer au débat. Elles ne reflètent pas la position de la rédaction de notre média.

Les plus lus