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Médias : ces enjeux que le pouvoir algérien n’arrive pas à saisir

Médias : ces enjeux que le pouvoir algérien n’arrive pas à saisir

Depuis quelques jours, des journalistes algériens croupissent en prison pour des chefs que personne ne semble pressé de préciser officiellement.

A ce stade, on ne peut préjuger de la culpabilité ou l’innocence des mis en cause ni spéculer sur les véritables motivations de ceux qui ont décidé d’engager des poursuites à leur encontre dans cette conjoncture précise.

Le silence de la justice

La partie la plus habilitée à s’exprimer, sinon la seule, à savoir le parquet, se mure dans le silence, laissant le terrain à des avis aux antipodes les uns des autres et qui ne font que déboussoler davantage l’opinion publique.

D’un côté ceux des avocats des prévenus qui crient au délit d’opinion donc à une atteinte à la liberté de la presse et d’expression. De l’autre, les affirmations de certains médias qui se sont érigé en partie, enfonçant les journalistes emprisonnés en les présentant comme des individus sans foi ni loi qui se sont adonnés des années durant à un odieux chantage sur des personnalités publiques jusqu’à se constituer des fortunes colossales.

Qui croire ? Avouons tout de suite que l’exercice le plus difficile c’est de faire la part des choses quand la justice refuse de divulguer les éléments qui permettent, à défaut de juger, au moins de se faire une opinion, à commencer par répondre à cette question centrale : de quoi sont accusés les journalistes Abdou Semmar, Merouane Boudiab et Adnane Mellah ?

Il est clair que si les charges retenues contre ces journalistes relèvent de la diffamation, comme le soutiennent leurs avocats, ce serait une grave entorse à la Constitution qui dispose dans son article 50 que « le délit de presse ne peut être sanctionné par une peine privative de liberté ». Il appartiendrait alors à la corporation et à tous les défenseurs de l’État de droit et des libertés de se mobiliser pour défendre cet acquis.

En revanche, si, au cours de leur procès, qui bien entendu sera public, des preuves irréfutables de leur implication dans des activités de chantage et d’extorsion sont apportées, la loi devra leur être appliquée dans toute sa rigueur et la solidarité de la corporation n’aura pas lieu d’être sollicitée.

Anarchie et vide sidéral

En attendant d’y voir plus clair, on ne peut ne pas incriminer l’anarchie et le vide sidéral dans lesquels se débat la profession par la faute de ceux qui ont tendance à confondre régulation et mise au pas.

L’occasion peut-être pour la corporation et les autorités d’enclencher un débat serein sur des questions cruciales mais longtemps laissées en suspens : le statut du journaliste professionnel, la place des médias électroniques et des chaînes de télévision privées, l’éthique et la déontologie, la liberté et la responsabilité des médias, le modèle économique des médias nouveaux et traditionnels, la lutte contre les fake-news, les moyens de doter le pays de médias forts et indépendants, donc crédibles…

L’urgence est d’abord de mettre fin à cette hypocrisie officielle qui consiste à « tolérer » l’activité de certains médias au lieu de dûment les agréer. On pense aux chaînes de télévision privées et aux sites d’information en ligne. Dans son message à la corporation à l’occasion de la journée nationale de la presse, le 22 octobre dernier, le président de la République égrenait les avancées du secteur, citant entre autres « plus d’une vingtaine de chaînes de télévision », « sans oublier le développement de la presse électronique ». Or, aucun de ces médias n’a d’existence légale. Les chaînes de télévision, toutes de droit étranger, ont tout juste été autorisées à ouvrir des bureaux de représentation en Algérie. Quant aux journaux électroniques, ils sont contraints de s’adonner à une gymnastique juridique pour pouvoir exercer.

La régulation, l’organisation de la corporation et le respect de l’éthique et de la déontologie passent nécessairement par la mise en place d’organes de régulation qui interviendront en amont et en aval de l’activité des titres, tous secteurs confondus. L’autorité de régulation de l’audiovisuel est opérationnelle depuis deux ans, mais, semble-t-il, ses prérogatives sont limitées, pour ne pas dire inexistantes. Celle de la presse écrite a pris des allures d’Arlésienne : on en parle depuis des années et elle n’est toujours pas installée.

Notons que le défaut d’agrément n’est pas sans conséquences pour les titres concernés. En 2016, la commission de délivrance de la carte de journaliste professionnel a retenu cet argument pour exclure les journalistes des chaînes de télévisions privées et ceux des sites électroniques. Aux yeux de la loi, ceux qui ont été interpelés, symboliquement le jour même où la corporation célébrait sa journée nationale, ne sont pas des journalistes.

« Tout ce que je ne contrôle pas n’est pas média »

Ce flou et ce vide sont sciemment entretenus et cachent mal le refus d’ouverture du pouvoir algérien et sa phobie d’une presse libre, particulièrement des nouveaux médias. En octobre 2017, son représentant à l’ONU faisait clairement part de l’inquiétude de l’Algérie de l’utilisation des TIC, appelant l’organisation planétaire à continuer à privilégier l’usage des « médias traditionnels ». Même ceux-ci n’ont de grâce aux yeux des autorités algériennes que lorsqu’ils sont sous leur total contrôle.

Les exemples de tentatives de mise au pas et d’asphyxie des entreprises de presse ne manquent pas. Le dernier en date c’est le plafonnement des dépenses publicitaires imposé aux entreprises économique, une clause contenue dans le projet de loi de finances 2019 qui devrait être adopté incessamment.

« Tout ce que nous ne contrôlons pas n’est pas média » semble être le crédo des autorités algériennes. Une stratégie qui s’apparente à une fuite en avant, une politique de l’autruche qui n’est pas sans risques dans une conjoncture faite de défis qu’aucun Etat ne peut relever sans des médias, nouveaux ou traditionnels, forts et crédibles. La nature a horreur du vide. Si les médias de son pays ne lui garantissent pas une information objective et crédible et un contenu de qualité, faute de moyens ou de marge de liberté, le citoyen ira inévitablement les puiser ailleurs. On n’a qu’à voir la forte audience que font en Algérie les chaînes occidentales ou moyen-orientales, ou encore le succès des sites étrangers et de certaines pages sur les réseaux sociaux pour s’en convaincre. Les autorités algériennes ne semblent pas avoir saisi l’enjeu de la production de contenus.

Les fake news ne sont pas une vue de l’esprit et ce n’est pas sans raison que les spécialistes leurs attribuent un rôle dans certains événements majeurs qui ont bouleversé ces dernières années des sociétés censées en être immunisées grâce à leurs médias érigés au rang d’institutions.

Le danger est d’autant plus grand pour l’Algérie dont la vulnérabilité se trouve aggravée par la faiblesse de ses médias auxquels la stratégie du pouvoir en place n’a pas laissé trop de choix : la mise au pas ou la mise à mort. Autrement dit la perte de toute crédibilité ou l’asphyxie financière.

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