Société

Médicaments, eau : les Algériens face à la hantise des pénuries

Eau potable, oxygène, farine panifiable, médicaments, véhicules, pièces de rechange… Le quotidien des Algériens est rythmé par les pénuries depuis quelques mois.

L’été qui s’achève aura été particulièrement difficile et les tensions ne s’atténuent que pour laisser place à d’autres, plus aigües. Ceux qui espèrent la fin des pénuries dans un proche avenir risquent de déchanter.

Le gouvernement vient de porter un tour de vis supplémentaire aux importations, ce qui pourrait se répercuter sur de nombreux produits.

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Le cycle des pénuries a commencé avec les premières mesures mises en place pour faire face à la pandémie de covid-19 au printemps 2020. D’abord, c’est la semoule qui a manqué dans les espaces de commerce à cause de la forte demande induite par la constitution de provisions par les citoyens en prévision d’un éventuel confinement drastique.

Puis c’est l’huile de table, pourtant produite par l’Algérie en quantités suffisantes, qui se fait introuvable sur les étals. La faute à une maladresse du ministère du Commerce qui a voulu imposer d’une manière brusque la facturation aux distributeurs.

Simultanément, certains produits non touchés par la pénurie ont vu leur prix flamber, comme le poulet et la sardine. La situation a été aggravée par une crise de liquidités dans les bureaux de poste qui a empêché les citoyens de disposer de leur argent.

Cet été 2021 est encore plus intenable avec le rationnement de l’eau potable et la grave crise de l’oxygène dans un contexte d’une vague virulente de covid-19.

L’épuisement des réserves d’eau de surface avait été prédit dès l’automne dernier à cause de trois hivers consécutifs de faible pluviométrie, mais les mises en garde des spécialistes ne semblent avoir été prises très au sérieux.

Même lorsque la Seaal, l’entreprise qui gère l’eau à Alger, a entrepris de mettre en œuvre un programme de rationnement, elle a été instruite de l’ajourner.

C’est la seule explication donnée en tout cas au retrait d’un communiqué annonçant le rationnement, en mai dernier. Pendant le même été, les boulangers ont unilatéralement augmenté le prix du pain -qui n’a pas bougé depuis le milieu des années 1990- à cause d’une autre pénurie, celle de la farine panifiable. Du moins, c’est l’explication qui a été avancée pour justifier cette hausse autant dangereuse qu’inattendue.

Des mesures qui font le bonheur de l’informel

La crise de l’oxygène a été plus dramatique puisqu’elle a emporté des dizaines de malades atteints de covid. Sans l’élan de solidarité des citoyens, tant en Algérie qu’à l’étranger, qui a permis d’équiper malades et hôpitaux en matériel d’oxygénothérapie, le bilan serait plus lourd.

Outre l’oxygène, une forte tension a été enregistrée sur certains médicaments entrant dans le cadre du protocole thérapeutique anti-covid, comme le Lovenox.

Dans le même registre, le professeur Kamel Bouzid, habitué des coups de gueule, a lancé un énième cri d’alarme concernant la disponibilité des médicaments pour les cancéreux.

« Pour ce qui est de la chimiothérapie, il y a d’énormes problèmes de disponibilité de médicaments. Que ce soit les médicaments « historiques » ou les médicaments innovants. Il y a actuellement des ruptures itératives en médicaments qui font que les patients ont des pertes de chances très claires (de guérir) notamment chez les enfants cancéreux », a dénoncé sur TSA le chef du service oncologie du centre Pierre et Marie Curie.

De nombreux autres médicaments manquent sur le marché, à tel point qu’un marché parallèle des produits pharmaceutiques, alimenté par le cabas, est en train de prendre de l’ampleur, en dépit des risques liés à la santé publique.

Les pénuries à répétition sont la résultante de facteurs naturels, comme pour l’eau, de l’incurie et du manque d’anticipation de certains responsables et peut être même d’actions intentionnelles de sabotage comme cela a été dénoncé par les plus hautes autorités du pays dans certains cas.

Mais il y a aussi cette obsession à préserver les réserves de change dans un contexte de recul des revenus pétroliers, quasiment l’unique source de devises pour le pays.

La politique de restriction des importations a déjà fait disparaître les voitures neuves sur le marché algérien et rendu l’occasion hors de prix. Les pièces détachées automobile manquent cruellement sur le marché, ont alerté des concessionnaires dans la lettre adressée au président de la République.

Une pénurie qui va profiter au marché noir des pièces de rechange, et poser un sérieux problème de sécurité routière. Sur le marché noir, il est souvent très difficile de faire la différence entre des pièces d’origine et sûres et des pièces provenant de la contrefaçon. D’autres produits sont devenus introuvables ou carrément inaccessibles au commun des Algériens comme les ordinateurs, les téléphones portables, et même parfois les produits électroménagers.

Cette histoire de véhicules, sur laquelle le gouvernement n’arrive pas à trancher, est la preuve que les restrictions ne touchent pas que les produits fabriqués localement.

Les pénuries risquent de s’aggraver et toucher d’autres produits et les prix pourraient flamber avec la décision prise le 30 août de suspendre les importations des produits destinés à la revente en l’état à partir du 31 octobre prochain.

Le ministère du Commerce a rectifié le tir et précisé que la suspension ne concerne que les importateurs n’ayant pas modifié les extraits de leurs registres de commerce conformément au nouveau décret exécutif régissant cette activité, mais cela reste une restriction supplémentaire qui risque de faire le bonheur de l’informel tout en rendant la vie encore plus insupportable au citoyen.

Aussi compréhensible soit-il, le souci de préserver les réserves de change ne peut justifier qu’on puisse laisser aux mains des petits commerçants du « cabas » et aux barons du marché noir des filières aussi importantes pour la santé et la sécurité des usagers que le médicament et la pièce de rechange, pour ne citer que ces deux produits.

D’autant que ces restrictions ne sont pas accompagnées d’une politique d’ouverture économique pour attirer les investisseurs nationaux et étrangers, produire localement et substituer les produits importés par des articles locaux.

Au contraire, et de l’aveu même du président de la République qui a souligné dans une récente construction que le « climat des affaires dans notre pays enregistre ces derniers mois un recul de la cadence des investissements qui se traduit par l’hésitation des investisseurs à entamer des projets à cause des lenteurs dans le traitement des dossiers relatifs à l’investissement local ».

Tétanisés par les enquêtes sur la grande corruption et la crainte des poursuites judiciaires, les cadres de l’administration rechignent à s’impliquer dans le développement économique du pays. La promesse des autorités de dépénaliser l’acte de gestion n’est pas encore concrétisée, ce qui plombe les initiatives dans le secteur public et les administrations publiques.

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