Politique

Messaoud Belambri, président du Snapo : « Pourquoi cette tentative de passage en force ? »

Dans une lettre au président de la République, vous avez dénoncé le projet d’ordonnance portant sur le transfert de l’Agence nationale des produits pharmaceutiques (ANPP) de la tutelle du ministère de la Santé à celle du ministère de l’Industrie pharmaceutique. Pourquoi ?

Messaoud Belambri président du Syndicat national des pharmaciens d’officine (SNAPO) : ce projet d’ordonnance a été préparé pratiquement dans le secret, sans concertation, sans associer les experts, sans ouvrir le débat. Pourquoi ce caractère d’urgence ? Pourquoi cette tentative de passage en force ? Nous sommes le 9 août, si ce projet passe au gouvernement, dans quelques jours, nous serons à la mi-août. Nous serons à 15 jours de l’ouverture de la session parlementaire. Une question aussi fondamentale, pourquoi ne pas la soumettre à l’avis des institutions habilitées ? Or, ce texte ne peut pas passer de cette façon. Il est d’une très haute importance. Si l’on veut vraiment réviser un sujet d’une si haute importance et fondamental, on doit le soumettre à débat. Il s’en trouve des voix qui disent que c’est anticonstitutionnel de placer une autorité sanitaire sous la tutelle de l’industrie. Pourquoi laisser de côté les experts constitutionnalistes et les spécialistes en droit ?

Certains pourraient dire que placer une agence du médicament sous la tutelle du ministère de l’Industrie pharmaceutique va de soi. Qu’en pensez-vous ?

Le ministère de l’Industrie pharmaceutique, comme son nom l’indique, s’occupe de l’industrie pharmaceutique. Autrement dit, c’est le développement, c’est l’investissement, l’encouragement à l’exportation, c’est l’orientation vers les médicaments dont on a besoin et qui manquent dans la nomenclature nationale et c’est aussi les médicaments innovants. C’est donc strictement industriel.

L’ANPP a des prérogatives beaucoup plus larges et qui dépassent le secteur de l’industrie. Ses missions ne se résument pas uniquement à l’industrie. Elles vont au-delà : ce sont aussi les essais cliniques, la délivrance des AMM (Autorisations de mise sur le marché) avec inscription et enregistrement officielles des indications précises des médicaments, l’Agence c’est une autorité de contrôle, de régulation. En fait, on ne peut pas être juge et partie. On ne peut pas être firme pharmaceutique et décider par soi-même que son produit est conforme, tout comme on ne peut pas s’attribuer les essais cliniques qui relèvent absolument des attributions naturelles du ministère de la Santé.

Il y a aussi les ATU (autorisations temporaires d’utilisation) de certains médicaments qui ne sont pas encore enregistrés dans la nomenclature nationale. La délivrance des ATU ne peut être faite que par l’autorité sanitaire. Ce n’est pas à une industrie pharmaceutique de délivrer ces ATU du fait qu’elles concernent directement le laboratoire ou la firme pharmaceutique qui désire introduire sur le marché ou bien mettre à l’utilisation par les cliniciens de médicaments qui ne sont pas autorisés et enregistrés, sachant que dans la plupart des cas ce sont des médicaments innovants.

Vous plaidez donc pour que l’ANPP reste sous l’autorité du ministère de la Santé, comme le stipule la loi 18/11, c’est bien cela ?

Absolument. Il s’agit pour l’instant d’un projet que le ministère de l’Industrie pharmaceutique soumet au gouvernement. Nous souhaitons que ce projet n’aboutisse pas. C’est une question très sensible. Nous souhaitons que les experts réagissent, que les conseillers au plus haut niveau de l’Etat qui maîtrisent la question tant sur son aspect réglementaire que sécurité sanitaire, interviennent et jouent leur rôle et remettent les choses à leur place. L’industrie pharmaceutique c’est une chose, et nous apportons tout notre soutien, mais la décision et l’homologation, le contrôle, les questions stratégiques de santé publique et les essais cliniques c’est l’Etat qui joue ce rôle.

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