Société

Migrants : « Ce n’est pas l’Algérie qui est à l’origine du drame humanitaire »

La publication cette semaine par l’agence américaine Associated Press (AP) d’une enquête sur des migrants subsahariens qui auraient été abandonnés dans l’extrême sud algérien continue de susciter des réactions en Algérie.

Abdelkader Messahel, ministre des Affaires étrangères, a répondu indirectement, ce mercredi 27 juin. À une question de RFI, Radio France internationale, sur « les reconductions qualifiées de brutales » par « les ONG et les Nations dans le désert du Sahara », le chef de la diplomatie algérienne a déclaré que les ONG « n’engagent qu’elles-mêmes ».

« Maintenant, que l’Algérie soit critiquée, nous savons dans quel contexte on fait face aux critiques. Mais ce n’est pas innocent, c’est une campagne que certains essaient de mener contre l’Algérie. Nous sommes très sereins parce que, ce que nous faisons, nous le faisons dans le cadre du respect de nos lois. Nous le faisons dans le cadre du respect de la dignité humaine et nous le faisons dans le cadre de la concertation avec les pays de transit », a-t-il précisé.

Contactée par TSA, Saida Benhabylès, présidente du Croissant rouge algérien (CRA), organisme concerné par la gestion du flux migratoire, a abondé dans le même sens en disant que certains veulent « déstabiliser l’Algérie par tous les moyens ».

« Ce qui me désole est qu’on se contente de parler du problème d’une manière superficielle pour déculpabiliser ceux qui sont à l’origine du problème. Nous assistons à un drame humanitaire que nous n’avons pas connu depuis la deuxième guerre mondiale (1936-1945). C’est une déclaration de l’actuelle secrétaire général des Nations Unies lors qu’il était Haut-commissaire aux Réfugiés.

 

Qui est à l’origine de ce drame humanitaire ? Ce n’est certainement pas l’Algérie. Ce sont ceux qui ont pesé de tout leur poids pour que l’OTAN intervienne en Libye (entre mars et octobre 2011). Cette intervention a déstabilisé la sécurité de la région et est à l’origine de ce flux migratoire. L’Algérie a toujours fait face à ses obligations humanitaires. Je ne dirais pas obligation parce que c’est une culture », a-t-elle souligné.

La reconduction aux frontières se fait à la demande du Niger

Selon elle, ceux qui sont à l’origine du drame cherche à fuir leurs responsabilités. « La politique de l’Algérie dans le domaine humanitaire puise ses origines et sa source dans les valeurs ancestrales que ne connaissent pas certains, ou font semblant de ne pas connaître. Il y a des liens familiaux entre les populations sub-sahariennes et les populations de l’extrême sud algérien. C’est une relation très ancienne. Lors de la grande sécheresse de 1984 qui a provoqué la famine, un flux migratoire important est venu vers Tamanrasset à partir du Sahel.

Les migrants ont été accueillis par les familles de Tamanrasset et d’Adrar. On ne peut pas accuser l’Algérie de ce qui se passe. Nous assumons notre rôle humanitaire et refusons qu’on porte atteinte à la sécurité du peuple algérien », a appuyé Saida Benhabylès.

Elle a rappelé que la reconduction aux frontières se fait à la demande du Niger. « C’est le gouvernement du Niger qui a sollicité l’Algérie pour l’aider à rapatrier ses ressortissants en situation irrégulière sur le sol algérien. Nous avons une copie d’un communiqué, publié en décembre 2014, du secrétariat général du gouvernement nigérien qui explique les raisons de cette de cette demande et qui dit avoir découvert des réseaux criminels nigériens activant au Niger et en Algérie en exploitant les femmes et les enfants par la mendicité et la prostitution.

Partant de là, l’Algérie a répondu à cet appel. Les opérations de refoulement se sont faites dans le respect des normes internationales. Nous avons reçu au CRA, la première dame du Niger, à sa demande », a détaillé Saida Benhabylès.

15.000 nigériens ont bénéficié de denrées alimentaires

Elle a rappelé que le CRA a remis des habits aux migrants et assuré des soins gratuits.« Tout le monde connaît le coût de la trithérapie pour les sidéens. Et bien, cette thérapie a été assurée gratuitement. Plus de 37 % des prestations sanitaires fournies par l’hôpital de Tamanrasset vont vers les subsahariens.Et les malades qui ne peuvent être traités dans cet hôpital sont transférés par avion sur les hôpitaux d’Alger ou de Tizi Ouzou.

On a placé des prothèses, traité à la chimiothérapie, assuré des accouchements et même des circoncisions pour les subsahariens. Lorsque les femmes accouchent à l’hôpital, elles sont accompagnées par les bénévoles du Croissant rouge. Plus de 15.000 nigériens ont bénéficié, chacun, de 71 kg de denrées alimentaires à leur sortie du territoire. Nous avons consacré de grosses sommes d’argent », a-t-il noté.

« L’Algérie est déjà un pays de destination »

« Le gouvernement algérien adopte une ligne dure de la plupart des États européens, essaye d’anticiper la fermeture totale de l’Europe et ne pas devenir un pays de destination par défaut. Cette approche est erronée, car l’Europe ne peut pas et ne veux pas se fermer totalement. Et d’un autre côté, l’Algérie est déjà un pays de destination et gagnerait à le rester, dans la mesure qu’elle continuera à produire sa propre migration », analyse Moumene Khelil, militant des droits humains, engagé dans la défense des droits des migrants.

L’Algérie doit, selon lui, cesser sa politique agressive envers les migrants. « Une politique indigne qui consiste à expulser collectivement les migrants. Pour que l’Algérie soit crédible dans sa quête de protection de ses ressortissants à l’étranger, elle doit cesser cette politique et adopter une approche multilatérale et globale dans le traitement de la question migratoire », propose-t-il.

L’avocat Mustapha Bouchachi estime, pour sa part, que le gouvernement algérien n’accorde pas de grande importance à la dignité des migrants subsahariens.

« Ils sont traités en dehors des normes internationales relatives à la protection des migrants et des demandeurs d’asile. Le régime algérien n’est pas démocratique. S’il ne respecte pas les droits et les libertés des algériens, comment peut-il prendre soin de la dignité et des droits des migrants subsahariens ? », s’interroge-t-il.

Éviter « le sentiment anti algérien » en Afrique

Selon lui, le mauvais traitement des migrants nuit à l’image de l’Algérie en Afrique et dans le monde. « Une réflexion sérieuse doit être engagée sur le sujet du phénomène de migration pour raisons économiques ou politiques. Nous devons adopter des instruments pour accueillir les migrants. Ceux qui se trouvent sur le territoire algérien doivent être pris en charge d’une manière correcte sur le plan humanitaire et sanitaire.

Il faut éviter le recours automatique à l’expulsion sous prétexte que les migrants sont entrés d’une manière illégale. Le système législatif interne doit prendre en charge cette question en permettant aux migrants de travailler et de scolariser leurs enfants, comme le font déjà beaucoup de pays. Ces migrants sont venus en Algérie pour fuir des situations dramatiques dans leurs pays », plaide Mustapha Bouchachi.

L’avocat estime que l’Algérie doit réfléchir à ses rapports futurs avec les pays africains. « Réfléchir aussi à la présence des banques et des hommes d’affaires algériens en Afrique. Ce genre de mauvais comportement avec les migrants risque de créer un sentiment anti-algérien en Afrique. On doit y prêter attention en changeant le traitement du phénomène pour sauvegarder les intérêts et la réputation de l’Algérie », a-t-il averti.

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