Pour la deuxième année, l’Algérie déploie des moyens considérables pour la récolte de blé dans le grand Sud. Elle se déroule au niveau d’exploitations éloignées des centres de stockage et nécessite un dispositif spécial.
Une opération suivie avec fierté partout en Algérie qui a décidé d’assurer son autosuffisance en blé dur. Pour l’occasion, les cadres de l’Office algérien des céréales (OAIC) sont sur le terrain.
À proximité d’un centre de collecte, Amina Belkheir, la responsable de la production de céréales dans le Sahara, confie à la Télévision algérienne que « les surfaces consacrées à la culture du blé ont augmenté au Sud et qu’aujourd’hui la wilaya d’Adrar constitue un pôle important ». De ce fait, cette wilaya a bénéficié en premier des moyens mobilisés.
Le responsable national du matériel agricole, Boumediene Amrani indique que ce sont 200 moissonneuses-batteuses qui viennent en renforcement des 100 déjà présentes sur le terrain et 129 camions ont été récemment acquis par le monopole public.
À ce parc de matériel, viennent s’ajouter des moyens privés, précise Mokhtar Hamadi, le directeur de la région Ouest du département transport de l’OAIC. Un ensemble de moyens qui doit permettre « d’envoyer les excédents de blé vers les autres wilayas, dont celles du Nord », indique-t-il.
L’heure est à la mobilisation générale. Mohamed Soufi, un des chauffeurs, déclare vouloir faire « le maximum avec les moissonneuses-batteuses et camions neufs mis à leur disposition. »
Tahar Belmir, le directeur de la CCLS (Coopérative des céréales et légumes secs) énumère la progression des superficies consacrées au blé et insiste sur le fait qu’une partie des récoltes est destinée à la production de semences pour la prochaine campagne.
Sur le terrain, les choses vont bon train. En bordure d’un champ, une moissonneuse-batteuse s’approche d’un camion à double essieux et déploie sa vis sans fin. Une fois celle-ci positionnée au-dessus de la benne, un flot de blé surgit. Une image autrefois seulement observée en Europe ou aux États-Unis.
Ce transbordement de l’engin de récolte au camion évite des pertes de charge. Celles-ci se produisent lorsque, faute de camions, les moissonneuses-batteuses vident directement les grains de leur trémie sur une bâche étendue à même le sol. Un pis-aller qui oblige ensuite à de pénibles manipulations à l’aide de pelles et de vis sans fin. Ces dernières années, il est arrivé que, par manque de camions, les engins de récolte s’arrêtent pour attendre leur retour.
La fluidité du ballet des camions entre champs et centre de collecte nécessite donc une coordination entre investisseurs, conducteurs d’engins de récolte ou de camions. Un rôle confié à un répartiteur.
Une fois chargés, les camions entreprennent un long périple jusqu’au point de collecte. Pour les chauffeurs, la difficulté réside dans l’acheminement de leur lourd chargement à travers des pistes où alternent ornières et rocailles.
Les centres de collecte sont le plus souvent de simples enceintes de forme carrée de la taille d’un terrain de football. Elles sont ceinturées sur leurs côtés par des tôles d’acier épaisses. Les camions viennent y vider à même le sol et à l’air libre leur chargement. Celui-ci est ensuite repris par le godet d’engins de chantier ou de suceuses à grains pour remplir les camions chargés de relier le Sud au Nord du pays.
Les remorques agricoles locales ne sont pas adaptées. Elles ne possèdent qu’un seul essieu et ne sont pas équipées d’un vérin hydraulique permettant de basculer leur contenu dans la fosse d’un silo ou l’aire d’un centre de collecte. L’importance des volumes et les distances à franchir les rend impropres à cet usage. Un des défis de la filière céréales algérienne est de disposer à l’avenir de remorques agricoles à grande capacité.
Ces centres de collecte possèdent tous un pont bascule permettant la pesée des camions. Des techniciens chargés de prélever des échantillons pour estimer la qualité des grains sont également présents.
Bien qu’encore imparfait du fait de ruptures de charges inhérentes au mode de stockage temporaire des centres de collecte, cette organisation a permis à l’OAIC de « se rapprocher des champs pour la livraison des récoltes », précise Boumediène Amrani. Ainsi, à El Ménia, il indique que ce sont 180 camions et 36 moissonneuses-batteuses qui sont mobilisés.
Une infographie de l’OAIC souligne comment chacune des directions régionales situées au Nord du pays est en charge de la région Sud lui correspondant.
Sitôt finies les moissons à Adrar, ces moyens logistiques sont immédiatement déployés vers d’autres pôles céréaliers. Dans le cas d’Adrar, l’imposant convoi de camions et de porte-chars a repris la route vers El Ménia. Ce sera au tour d’In Salah ensuite. Observé depuis les airs grâce à un drone, le convoi ressemble à un long train tant sont nombreux les camions.
Le convoi traverse des régions où parfois les pivots jouxtent la route et certains sont entourés d’arbres. Dans le Sud algérien, la demande en eau des plantes augmente dès qu’il y a du vent. Aussi, le vent est l’ennemi et les investisseurs font tout pour installer des brise-vent.
À El Ménea, ce sont 23.000 hectares de céréales qui sont à récolter, confie Amina Belkheir contre 18.000 en 2024.
Au niveau de la CCLS, les chauffeurs des camions vêtus de chasubles jaunes préparent les engins avant de prendre la direction des zones qui leur sont affectées. Khaled Ouled Mokhtar, le directeur de la CCLS d’El Menéa explique que « ces moyens sont répartis sur 3 secteurs : El Menéa, Mansourah et HassI El Fehal. » Durant leur séjour dans cette wilaya, chauffeurs et mécaniciens disposent de 3 bases de vie permettant leur accueil dans des conditions optimales.
Les investisseurs se disent satisfaits de l’aide de l’État. À Mansourah dans la wilaya de Ghardaïa, un nouvel investisseur déclare disposer de deux pivots, dont un de 30 hectares et un autre de 20. « La récolte s’annonce bonne », déclare-t-il. Il exprime son soulagement après les préoccupations que les dépenses pour installer les pivots et mettre en place les cultures lui ont causé.
Un autre investisseur témoigne s’être installé depuis 3 ans. Il exploite 7 pivots, dont 6 en blé dur et un autre en blé tendre. Ses rendements sont de 55 quintaux en blé tendre et entre 35 à 55 en blé dur. « On progresse », explique-t-il modestement. En arrière-plan, à perte de vue, dans le champ, les bottes de paille sont rassemblées par petit tas afin d’être vendues aux éleveurs. Comme au Nord, la tradition d’exporter la totalité des pailles hors des parcelles persiste au risque de priver le sol d’un indispensable humus nourricier.
Un autre investisseur déclare emblaver 360 hectares de blé dur. À raison de 6.000 DA le quintal de blé dur payé par l’OAIC contre 5.000 DA pour le blé dur, le calcul est vite fait.
Un investisseur multiplie par 6 la surface de son exploitation
Nourdine Farouahat témoigne avoir commencé avec deux pivots sur 60 hectares et en cultive aujourd’hui 360 hectares de blé dur. En arrière-plan, ce sont 10 moissonneuses batteuses qui s’activent dans l’immense champ circulaire. Il se félicite de l’aide de l’État et de l’organisation de la récolte malgré « quelques petits dysfonctionnements ».
Comme à Adrar, le ballet des camions reprend. Aussitôt chargés, les chauffeurs des camions rabattent une bâche au-dessus de leur précieux chargement. À leur arrivée dans les centres de collecte de blé, ils sont accueillis par des techniciens qui grimpent dans les remorques et qui, à l’aide d’une longue sonde, prélèvent des échantillons afin de déterminer le taux d’impuretés.
Un technicien confie : « la qualité des grains s’améliore ». Le taux d’impureté reste la hantise des techniciens. Aux débris de paille, de graines, de mauvaises herbes s’ajoutent parfois aux grains de blé des grains d’orge ou d’autres variétés de blé. Un critère disqualifiant dans le cas des parcelles de production de semences. Une situation parfois immédiatement détectée, car matérialisée par des épis de blé nettement plus hauts que les autres.
Agriculture saharienne en Algérie : le défi de l’eau
Au Sud de l’Algérie, ce sont un peu plus que 3 millions de quintaux de blé qui sont attendus cette année. Une estimation établie lors de la réunion de préparation de la récolte tenue au ministère de l’Agriculture et du Développement rural. Des chiffres modestes au regard de la production nationale qui selon les années oscille entre 30 et 40 millions de quintaux. Mais des chiffres d’autant plus spectaculaires qu’ils sont le fruit d’une politique ambitieuse dans l’environnement hostile du désert.
L’objectif des services agricoles au Sud est d’arriver à emblaver un million d’hectares. Outre les dispositifs d’irrigation, nombreux sont les investisseurs qui utilisent du matériel moderne, dont des tracteurs de forte puissance, mais aussi des semoirs perfectionnés qui assurent une mise en place optimale des semences.
Des engins qui manquent au Nord du pays, à l’image d’Oued Lili (Tiaret) où les parcelles des agriculteurs sont sinistrées du fait de la faiblesse des pluies, mais aussi suite à un mode de semis inadapté.
À 1.500 km d’Adrar se tient le Salon de l’agriculture (SISPA) à Alger où des exposants présentent notamment des pivots d’irrigation. La disponibilité en eau reste une condition capitale pour l’agriculture saharienne dont l’avenir repose sur le renouvellement des nappes d’eau souterraine. Au Sahara, les orages transforment les oueds sahariens en fleuve. Comment est-il possible de mettre au service de l’agriculture saharienne cette manne tombée du ciel ?
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