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Mokrane Ait Larbi, un militant des droits de l’Homme au service d’un général

Mokrane Ait Larbi, un militant des droits de l’Homme au service d’un général

« M. Ali Ghediri, général-major à la retraite, vient d’annoncer sa candidature à l’élection présidentielle prévue le 18 avril prochain (…) Après plusieurs échanges avec lui sur les grandes lignes de son projet, j’ai décidé d’apporter mon soutien à sa candidature, et de participer activement à sa campagne électorale ».

C’est par ces phrases que le célèbre avocat Mokrane Ait Larbi a annoncé, sur sa page Facebook, son ralliement au général inattendu de la prochaine compétition présidentielle. Un ralliement vite interprété comme un hiatus tant l’avocat jouit d’une célébrité inversement proportionnelle à l’anonymat du jeune retraité de l’ANP.

Ce qui naturellement aurait dû produire une inversion des rôles : le militaire dans celui de soutien et l’avocat dans celui de candidat au long parcours politique. En tout cas, c’est une caution morale et politique importante qui est apportée par l’avocat au candidat.

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Droits de l’Homme et RCD

Fils de chahid né dans la commune des Ait-Yahia à Tizi Ouzou, la même que Hocine Ait Ahmed, Mokrane Ait Larbi s’est lancé dans le bain de la lutte politique dès son adolescence. Il s’engage ensuite au FLN, parti unique, et se présentera aux premières élections législatives en 1977. Il s’en éloignera par la suite et en 1985, il fera partie des fondateurs de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’Homme (LADDH) qui fut un défi au régime de l’époque. Il en sera le vice-président auprès de M. Abdenour Ali-Yahia.

En 1989, M. Ait Larbi fera partie des fondateurs du RCD, créé juste avant la reconnaissance officielle du multipartisme. Il est le numéro 2 du parti après Said Sadi. Mais l’art oratoire ajouté à une grande capacité d’empathie avec le public rend l’avocat aussi populaire que le psychiatre. Avec sa maîtrise de la langue arabe et sa diplomatie, il apparaît consensuel quand Said Sadi, lui, est jugé clivant.

La popularité d’Ait Larbi vaudra même le respect des islamistes à ce militant de la laïcité. Illustration : en 1990, il était attendu pour un meeting à Constantine. La salle fut envahie dès les premières heures de la journée par les militants du FIS déterminés à le chahuter. Sans se laisser intimider, il prend place à la tribune et réussit à faire cesser les vociférations. À la fin de son intervention, il est respectueusement entouré par les « barbus » qui lui proposent de les rejoindre. « Ta place n’est pas au RCD », lui disaient-ils, sans se douter de leur prophétie. Car l’année d’après, M. Ait Larbi quittera le parti où certains camarades le suspectent de « baathisme ». On lui reproche une prise de position favorable à Saddam Hussein lors de l’invasion du Koweït alors que l’ambassadeur d’Irak avait protesté contre la reconnaissance du RCD.

Une rupture douloureuse, sur fond de graves reproches faits à la direction, accusée publiquement de prendre ses ordres auprès du pouvoir, de vouloir domestiquer le parti et de manquer de transparence sur son financement. « C’est un FLN venu au RCD faire un stage », répond pour sa part un ancien membre de la Direction en disant que l’avocat a été exclu après avoir été traduit en Conseil de discipline.

Les offres du pouvoir

La dénonciation des accointances entre son parti et le pouvoir conduit paradoxalement ce dernier à vouloir enrôler M. Ait Larbi. Nommé chef du gouvernement en remplacement de Bélaïd Abdesselam, Rédha Malek lui propose le poste de ministre de la Communication qu’il refuse de prendre. Il déclinera trois autres fois l’offre présentée par des émissaires.

Pourtant, quand le président Liamine Zeéroual lui offre le poste de sénateur, il accepte le maroquin. Son image se fissure. Le consensus autour de sa personne se rompt même s’il exerce une liberté de parole inhabituelle dans le palais Zirout Youcef, où il découvre des collègues plus motivés par les avantages liés au poste que par leur mission. Cela ne l’empêche pas d’éveiller les mêmes soupçons à son égard. D’être désigné parmi les sénateurs du tiers présidentiel le fait passer pour un « converti » aux yeux de quelques anciens frères de combat.

Le « Printemps noir » de Kabylie lui offre l’occasion de se réhabiliter. Il rend son mandat accompli à moitié. Il s’occupera de la défense des victimes et se consacrera essentiellement à son métier d’avocat. Lors d’une de ses plaidoiries, un magistrat avait eu ses mots d’admiration : « Si cela m’était permis, je vous aurais applaudi ». Un de ses derniers clients a été le général Hassan de l’ancien DRS, jugé devant le tribunal militaire d’Oran.

Comment un homme au parcours politique riche et ancré dans l’opposition a-t-il pu se laisser séduire par un général fraîchement retraité ? Sa réponse sur sa page Facebook : « Dans un climat d’angoisse, de tension et d’incertitude sur l’avenir immédiat du pays, cette candidature, à contre-courant des codes du système, ouvre le jeu politique et impose une redistribution des cartes par le recours à la volonté populaire comme unique source de légitimité’, plaide-t-il sans aucune forme de naïveté.

Ses arguments

« Si les conditions d’un scrutin loyal, transparent et régulier sont, pour l’instant, loin d’être réunies, la conjoncture impose de sortir des luttes d’appareils, des confrontations claniques et des débats entre initiés, pour impliquer le citoyen dans les choix qui engagent son avenir et celui de ses enfants. C’est par la seule voie démocratique et pacifique que le pays pourra éviter le fait accompli des coups de force autoritaires et les dérives aventurières qui risquent d’engendrer des conséquences tragiques. Dans cette situation grosse de risques pour la cohésion nationale et la paix civile, la conscience de tous les citoyens, dans le respect des convictions de chacun, est interpellée pour prendre part au sursaut solidaire qui permettra de restaurer l’espoir autour d’un nouveau contrat social », argumente encore l’avocat.

Cette fois pourtant, sa plaidoirie a déçu nombre de ses admirateurs car Mokrane n’est pas un individu mais un symbole. « Comme vous êtes un homme de Droit, vous avez le droit en tant que personne et en tant que citoyen de soutenir qui vous souhaitez. Sauf que vous n’êtes pas une personne simplement, ni un citoyen ordinairement. Vous êtes d’abord et avant tout un militant des droits de l’Homme, ensuite un avocat populaire. Par conséquent, votre position pèse et vous devriez en prendre compte », lui écrit un de ses admirateurs dans une lettre ouverte pleine d’amertume contre le choix de ce « mauvais chemin ».

M. Ait Larbi n’est pas connu pour regretter ses engagements. Le seul regret de sa carrière politique, de son propre aveu, est de ne pas avoir réussi l’union entre le FFS et le RCD.


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