Politique

Mouvement populaire : comment se présente le 16e vendredi ?

L’élection présidentielle du 4 juillet n’aura pas lieu. Sous la pression de la rue et faute de candidats, le scrutin a été reporté, mais les Algériens n’ont pas obtenu ce qu’ils veulent à savoir le départ du système. Dans ce contexte, comment se présente le 16e vendredi du mouvement populaire ?

Saïd Salhi, vice-président de la LADDH. À mon avis la mobilisation sera au rendez-vous, pas de la même intensité (que les vendredis précédents) car les gens sont rentrés pour les fêtes et visites de l’Aïd, mais ils sortiront là où ils se trouvent. Après la mise en échec des élections du 4 juillet, un autre cap se dessine, il s’agit de la transition démocratique négociée et apaisée pour l’instauration d’un nouveau système en rupture avec l’actuel et qui donnera naissance à la nouvelle république civile, démocratique et sociale.

La transition devra préparer les conditions pour que le peuple, à terme, puisse exprimer sa volonté à travers des élections libres, transparentes. Et pour se doter des institutions représentatives, légitimes et authentiques, il faudra refonder le dispositif législatif et l’ordre constitutionnel qui sont truffés de dispositions liberticides, arbitraires et antidémocratiques. Certains cercles intéressés seulement par les élections se positionnent déjà, à contre-courant du Hirak pour encenser la proposition de Gaid Salah pour un dialogue exclusif, à l’organisation d’une autre présidentielle dans le cadre de la même Constitution.

Les marches de demain seront un test pour le système qui, à la fois, appelle à trouver une solution mais ne ménage aucun effort pour restreindre les libertés démocratiques ce qui n’augure rien de bon pour la démocratie et le retour de la confiance. On ne peut aller vers le changement sous l’ère de l’interdit et de la pression qui rappelle le système de Bouteflika.

Abdelouhab Fersaoui (RAJ). La mobilisation de ce vendredi sera intacte comme les précédentes pour la simple raison que rien n’a changé. Le peuple algérien était mobilisé durant le mois de Ramadhan alors que le Pouvoir s’attendait que le mouvement faiblisse. Je prévois une forte mobilisation des Algériennes et des Algériens pour réitérer leur revendication principale pour le changement du système.

Me Noureddine Benissad, avocat et militant des droits de l’homme. Les marches de demain sont le prolongement de toutes les autres manifestations. Je suis sûr que la mobilisation sera intacte d’autant qu’à l’horizon rien ne se dessine. On parle de dialogue mais j’ai l’impression qu’il est déjà balisé. Qui dit dialogue dit dialogue sans préalables et sans conditions. Le principe même du dialogue c’est qu’il n’y ait pas de conditionna-lités, je ne vous trace pas la feuille de route pour vous dire venez dialoguer ! De plus, on ne sait toujours pas du côté du pouvoir réel qui va dialoguer ?

Le pouvoir a misé sur le mois de carême pour voir le mouvement s’essouffler, la réponse la rue été tout simplement sans appel…

Saïd Salhi. Exactement. La détermination du peuple est plus forte, ce mouvement qui nous a surpris déjà le 22 février, ne cesse de surprendre encore, sa volonté est plus forte ; il n’y a plus de place au pessimisme, au recul. Il a tellement gagné qu’il est déterminé à aller jusqu’à la victoire car elle est possible.

Abdelouhab Fersaoui (RAJ). Le mois de Ramadhan était pour un défi et un pari gagné pour le peuple. Le fait que le mouvement n’ait pas fléchi est pour moi une preuve que rien ne pourra arrêter cette mobilisation pacifique. Bien au contraire. Tant que le pouvoir poursuit sa fuite en avant, la mobilisation se renforcera davantage et se radicalisera en termes de revendications. En observant l’évolution des revendications du mouvement on remarque ceci : on est passé du rejet du 5e mandat au rejet de tout le système, ainsi que le refus de toutes les feuilles de route proposées par le pouvoir.

Aujourd’hui, le pouvoir en place n’a pas intérêt à continuer sa fuite en avant car rien ne pourra arrêter cette mobilisation pacifique. Mais plutôt accepter d’aller vers un processus constituant véritable transition démocratique et qui va redonner au peuple algérien sa parole et sa souveraineté.

Me Benissad. D’abord c’était une erreur que de miser sur l’essoufflement du mouvement et le pouvoir a dès le départ misé sur comment l’affaiblir par diverses manœuvres. Parallèlement, les réponses politiques viennent en retard mais le mouvement populaire a su déjouer tout cela et a compris que ce sont des manœuvres. C’est dommage car nous avons perdu trois mois. Si, dès le départ, il y avait de la lucidité politique chez le pouvoir on aurait dû déjà commencer à dialoguer avec la société pour, au moins, dégager les esquisses d’une solution.

Sur l’approche, je pense qu’il y a eu une erreur d’appréciation sur le fait qu’on ait perdu 3 mois, sur les fautes politiques par les diverses manœuvres ainsi que sur l’approche sécuritaire du fait que les services de sécurité n’ont pas vocation à régler des problèmes politiques qui doivent avoir une solution politique. Force est de constater que dans la Constitution actuelle il n’y a aucune sortie constitutionnelle. Le problème est d’ordre politique qui nécessite la mise en œuvre des articles 7 et 8 et aller vers une solution politique.

Cette semaine a été marquée par la libération de l’activiste Bennaoum. Un bon signe pour la suite du mouvement ?

Saïd Salhi. Oui la libération de Aouf et de Bennaoum est une réponse à la demande populaire, malheureusement, elle intervient après le drame de Fekhar, c’est lui et son sacrifice suprême qui a libéré Bennaoum, la revendication de la libération de tous les autres détenus d’opinion et du champ d’exercice des libertés démocratiques sera encore présente à la marche de demain, c’est même un préalable à toute solution.

Abdelouhab Fersaoui. Tout d’abord, il convient de signaler que la mort de Kamel Eddine Fekhar en prison reste une tâche noire pour le pouvoir algérien. Rien ne justifiait sa mort dans une prison. La libération de Bennaoum a été rendue possible par la mobilisation de la rue. On a vu la solidarité et l’élan de sympathie qu’il y a eu, notamment vendredi passé, envers Kamel Eddine Fekhar. Ce sont tous les Algériens qui ont affiché leur indignation suite à sa mort programmée.

Me Benissad. Tout à fait. Déjà pour donner des gages en vue d’amorcer le dialogue, il faut des mesures d’apaisement. A cet égard, je pense qu’il faut libérer rapidement tous les détenus politiques sans exception. Ils n’ont rien à faire en prison. La Constitution algérienne garantit la liberté d’opinion et les conventions internationales que l’Algérie a ratifiées garantissent les droits de l’homme et la libre opinion. Je suis pour la liberté d’avoir une opinion dès lors que la personne n’utilise pas la violence et la haine.

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