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Normalisation avec Israël : le pari risqué des monarchies du Golfe

La décision historique des Émirats arabes unis de normaliser ses relations diplomatiques avec Israël suscite de nombreuses réactions et des interrogations sur son timing qui intervient à 12 semaines de la présidentielle américaine où Donald Trump est candidat pour sa réélection.

D’abord, c’est le président américain qui a eu la primeur d’annoncer jeudi cet accord qui sera acté dans trois semaines à Washington. Le prince héritier d’Abu Dhabi Mohamed Bin Zayed, dit MBZ, et le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou signeront l’accord, en présence de Donald Trump qui apparait comme le principal bénéficiaire de l’accord, à l’heure actuelle.

« Donald Trump décroche dans les sondages en raison de la crise économique qui frappe les États-Unis et de son incapacité à gérer une autre crise, celle liée à la pandémie de coronavirus », rappelle un spécialiste de la région du Golfe.

« Ce n’est pas la paix qui intéresse les Émirats et ses alliés »

Les États-Unis sont en effet le premier pays touché par la pandémie de Covid-19 avec plus de 167.000 morts pour plus de 5,2 millions de cas positifs. Le président américain accuse un important retard dans les sondages sur son rival démocrate Joe Biden, dans la course à la Maison-Blanche.

Il tente rebondir au plan diplomatique, avec le dossier du conflit israélo-palestinien, après l’échec retentissant de son « deal du siècle », qui était censé instaure une paix durable au Proche-Orient.

« Cet accord vise à renforcer Donald Trump au plan diplomatique », explique la même source. « Tout le monde sait que les Émirats font partie des alliés de Washington. Le prince héritier d’Abu Dhabi Mohamed Bin Zayed est un fervent soutien de Trump, et il est très proche de Jared Kouchner, le gendre du président américain. Cet accord vise à favoriser une victoire de Trump. Ce n’est pas uniquement la paix entre Israéliens et Arabes qui intéressent les Émirats et ses alliés », développe-t-il.

Sauver le soldat Trump

L’accord entre les Émirats et Israël met en lumière l’alliance entre les États-Unis, les monarchies du Golfe et Israël. « L’objectif est de sauver le soldat Trump. En cas de victoire des Démocrates aux présidentielles américaines, la situation risque de changer pour les monarchies du Golfe parce qu’elles sont allées trop loin dans leur soutien à Trump », anticipe le même spécialiste.

Le prince héritier MBZ cherche à influencer en quelque sorte l’élection américaine, en s’assurant que Trump reste à la Maison-Blanche. La réélection de Trump renforcera au plan interne Benjamin Netanhayou, où il est en grandes difficultés, et qui reste extrêmement redevable au locataire de la Maison-Blanche, devenu le premier président américain à reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël.

« Le message de Trump à ses alliés du Golfe est le suivant : il faut m’aider à gagner les élections parce que vous aussi vous risquez d’être en difficultés en cas de victoire des Démocrates et de Joe Biden aux présidentielles. Parce que ces derniers vous feront très cher payer votre soutien à mon égard, et pourraient être beaucoup plus souples avec les Iraniens », explique notre source. Une perspective affreuse pour les riches monarchies du Golfe, en guerre de leadership avec l’Iran.

L’Arabie saoudite pourrait suivre

Mohamed Ben Salman, prince héritier d’Arabie saoudite, a sans doute donné sa bénédiction à l’accord. Et pour cause : Trump l’a « outrageusement soutenu » dans l’affaire du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, assassiné dans les locaux du consulat de son pays Istanbul en octobre 2018. Bien que l’implication de MBS dans cet assassinant ne fait aucun doute, le prince héritier saoudien n’a pas été inquiété, grâce au soutien de son allié Trump.

Or, une succession à la Maison-Blanche pourrait faire changer la donne. Du coup, la question du ralliement de l’Arabie saoudite à la position des Émirats sur la normalisation avec Israël se pose.

En devenant seulement le 3e pays arabe à reconnaître Israël depuis la création de l’État hébreu en 1948, après l’Égypte en 1979 et la Jordanie en 1994, Abu Dhabi risque d’entrainer avec elle d’autres pays du Golfe, sur la voie de la normalisation avec Israël. Si l’adhésion du Bahreïn et d’Oman est quasi certaine, celle de l’Arabie saoudite n’est pas encore entièrement certaine.

« L’Arabie saoudite pourrait suivre sauf que le Roi Salman semble moins ouvert à cette option que son fils MBS. Il est plus conservateur et surtout, il ne veut pas qu’il soit considéré comme celui qui a vendu Al-Qods pendant son règne. En revanche, MBS n’a pas le choix. Trump l’a sauvé de l’affaire Khashoggi », estime le même spécialiste.

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