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« On m’a déshabillée devant mes frères… »

Chronique livresque. A côté des célèbres héroïnes Hassiba Ben Bouali, Djamila Bouhired et Zohra Drif popularisées par les médias et le cinéma, Zhor Zerari* fait figure d’inconnue. Pourtant, elle est l’égale de toutes les autres en bravoure et en courage.

D’ailleurs l’héroïsme est de famille chez les Zerari. Outre son oncle le fameux commandant Azzedine, son père Mohamed Said Zerari fut arrêté à deux reprises et torturé par l’armée française. On lui brûla même la plante des pieds.

Elle gardera de lui une anecdote qu’il lui a racontée, ému. « Tous les soirs, pendant sa détention au stade municipal du Ruisseau, en février 1957, quelqu’un lui glissait une cigarette sous sa porte. Comme s’il se trouvait toujours un être pour témoigner du cœur de la conscience humaine ».

Belle anecdote pour un destin moins beau puisque ce père tant aimé fut arrêté quinze jours plus tard et ne réapparaîtra plus. Ni lui, ni son corps. Il avait juste la quarantaine. Zhor, meurtrie, dira : « Je suis orpheline d’une tombe », donc doublement orpheline. Il n’y a pas plus terrible.

Torturée nue dans une école

Après avoir déposé trois bombes à Alger qui ne feront aucune victime mais à l’impact psychologique certain, elle est arrêtée à son tour en 1957 et conduite illico presto dans un lieu d’éducation devenu un lieu de torture : l’école Sarouy. Elle le dit, elle le crie : « Culture rime avec torture ! Faire cela dans une école, c’est le comble de la perversité » .

Courageuse, endurante, stoïque comme savent l’être les Algériennes, c’est moins la torture physique que l’humiliation qui lui a brisé le cœur : « On m’a déshabillée, et le pire, c’est qu’on l’a fait devant mes frères ». Frères de combat, s’entend, dont les liens sont souvent plus forts que ceux de la consanguinité.

Exposée dans le plus simple appareil, ses tortionnaires la frappent, frappent, frappent jusqu’à en avoir mal aux mains puis on la soumet à la terrible torture de la gégène. Ensuite, on l’étend par terre, on la bâillonne avec un tricot empli… d’excréments. Puis on urine sur elle comme si elle était un urinoir. De peur, de frayeur, de honte aussi, elle mêle son urine à celle des tortionnaires.

Le lieutenant Schmitt qui finira général dans la République française est le maître d’œuvre du supplice. Mais si elle souffre mille morts, elle n’a pas oublié ceux qui ont autant souffert qu’elle, ces héros du quotidien dont nulle plaque de rue ne porte le nom et les souffrances comme cette jeune fille que les parachutistes ont ramené dans la salle de torture où elle se trouvait :

« Cette adolescente descendait de la salle de torture. Elle claquait des dents et s’est écroulée à côté de moi. Je connais son nom. Elle avait été violée et sodomisée avec une bouteille. Elle était en sang à partir de la taille. »

Un mot, un seul : inhumain. Jusqu’à sa mort le 19 août 2013 à l’âge de 76 ans, Zhor n’aura aucune nuit normale, ni ne pourra appuyer sur un interrupteur. Marquée pour la vie par la gégène.

« Dégage ! dégage d’ici ! »

Militante pour les droits de l’Homme, journaliste, poétesse, elle ne peut ni oublier ce qu’on lui a fait, ni pardonner : « Il est faux de dire que la torture a été employée pour sauver des vies innocentes. Qu’on puisse avancer cet argument me met hors de moi ! La France a toujours pratiqué la torture En Algérie, bien avant le soulèvement de 1954. Et les incendies des mechtas, les viols des femmes devant leurs maris, les déluges de bombes, sur les douars, c’était pour sauver des vies innocentes, tout cela. Peut-on comparer une armée régulière, avec ses avions, ses chars, ses bazookas, etc., avec nos bombes ? Nous étions des résistants, nous luttions contre l’occupant avec les moyens du bord ».

Elle en avait gros sur le cœur Zhor Zerari qui refuse qu’on mette sur un même pied d’égalité les tortionnaires de l’armée coloniale et les héros qui n’ont comme seul moyen de défense que des bombes artisanales.

Elle était révoltée la grande Zhor, elle ne comprenait pas pourquoi la France des Lumières, la France des Droits de l’homme, n’a pas encore demandé pardon au peuple algérien « pour toute sa politique d’extermination, de spoliation, de répression et de mépris. ».

A l’indépendance, la moudjahida torturée dans son corps et son cœur, l’héroïne qui s’est sacrifiée subira une autre humiliation, celle du mépris d’un jeune soldat de l’ALN qui n’a appris sans doute à porter une arme qu’à l’indépendance.

Nous sommes le 3 juillet à sidi Fredj où doit se tenir un meeting sur le référendum que devait animer Si Mohand Ouel Hadj et le commandant Azzedine. Elle est avec son frère et un de ses amis. Un jeune militaire s’approche d’elle. Va-t-il lui faire le salut militaire, lui rendre hommage pour son courage ?

Écoutons-là se raconter à Boukhalfa Amazit : « Vas avec les femmes te dis-je », vitupérait le jeune… »

Je me trouve bien ici, pourquoi irai-je ailleurs ? », ai-je répondu… Il a insisté, je me suis obstinée. « Donne-moi tes papiers ! » poursuivit-il. « Je n’en ai pas, je viens de sortir de prison », lui ai-je dit. « Toi ? Toi tu as la tête d’une moudjahida ? Dégage d’ici, dégage ! « Me dit-il me menaçant de son arme… J’ai dévalé la colline les yeux brouillés de larmes et dans mon dos, lardée par un poignard de glace, j’entendis le cliquetis caractéristique de la culasse qu’il manipulait pour engager une balle dans le canon de son arme… »

Dès 1962, c’était mal parti pour les vrais combattants…


*Florence Beaugé
Algérie une guerre sans gloire
Editions Chihab
PP : 585 DA

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