Économie

Piégé par la chute des prix du baril : que peut faire le gouvernement ?

Les députés de l’APN ont examiné et adopté en fin de semaine passée le projet de Loi de finances 2019.

Un texte, comme on le sait, qui consacre l’abandon par l’Exécutif du cap de la rigueur budgétaire, avec le renforcement de la politique sociale de l’État par le maintien des transferts sociaux et l’augmentation substantielle des dépenses de fonctionnement.

La teneur et l’orientation du PLF ont été doublement impactées par la conjoncture politique et économique qui prévalait au moment où les experts du gouvernement s’échinaient à rédiger le texte. C’est-à-dire au milieu de l’été dernier, soit juste après en avoir fini avec le projet de Loi de finances complémentaire 2018.

Même si le contexte politique était marqué –et l’est toujours – par la perspective d’une élection présidentielle aussi cruciale qu’indécise, l’élaboration d’un texte sans danger pour la paix sociale ne ressemblait pas à une gymnastique.

Le prix du baril frôlait les 80 dollars, soit son plus haut niveau depuis près de quatre ans et aucun indicateur ne laissait entrevoir un renversement de la tendance à court et même à moyen terme.

Les réserves de changes, certes en continuelle baisse, étaient toutefois à un niveau toujours appréciable (près de 100 milliards de dollars), de quoi couvrir deux ans et demi à trois ans d’importations même dans le cas où celles-ci maintiendraient leur volume actuel.

Au moment où le gouvernement entreprenait donc la prévision des recettes et des dépenses de l’État pour l’année à venir, tous les indicateurs étaient au vert. Rien, à première vue, ne le contraignait de serrer la ceinture au risque de mettre en péril les plans politiques retenus pour l’importante échéance qui attend le pays.

C’est à peine si l’Exécutif a pris la précaution de se réserver une marge de manœuvre en tablant sur un prix du baril à 50 dollars, soit nettement inférieur aux cours du moment. Concrètement, la connotation sociale voulue par l’Exécutif s’est traduite par une prévision de quasi-stagnation des recettes budgétaires de l’État à 6508 milliards de dinars, soit une insignifiante augmentation de 0.2% par rapport aux prévisions de l’exercice en cours.

La stagnation s’explique par l’absence de nouvelles niches fiscales, donc de nouvelles taxes, ni d’augmentation de celles existantes.

Ni l’eau ni l’électricité ni les carburants ou toute autre prestation publique ne connaîtront de hausse de leur tarif.

Pour une année « électorale », c’est le contraire qui aurait étonné. Mais la grosse surprise du projet de Loi de finances pour l’exercice à venir demeure la hausse sensible (près de 8%) du budget de fonctionnement de l’État qui devrait frôler les 5000 milliards de dinars. Les dépenses globales devant se stabiliser aux mêmes niveaux que ceux de l’exercice 2018 (un peu plus de 8500 milliards de dinars), on comprend vite que c’est le budget d’équipement qui fait les frais de l’augmentation du train de vie de l’État (3600 contre 4000 milliards de dinars en 2018). Cela au moment où les transferts sociaux sont maintenus à des niveaux élevés, couvrant les aides aux familles (subvention des produits de consommation de première nécessité), au logement, à la santé… 

Aucune volonté de réforme

Traduits, ces chiffres et tendances dénotent de l’absence de toute volonté de réforme de l’économie en dépit des voix internes et externes (comme le dernier rapport de Crisis Group) qui mettent en garde contre l’inéluctabilité du retour de la crise au train où sont menées les choses, signalant notamment l’érosion totale du matelas des réserves de changes à l’horizon 2022-2023.

Et alors que la Loi de finances est toujours au stade de projet (elle passera devant le Sénat avant d’être promulguée par le Président de la République), les données ont fondamentalement changé. La principale, c’est le prix du baril qui a brutalement chuté, perdant le quart de sa valeur en quelques semaines.

Certes, les cours sont toujours au-dessus du prix de référence retenu, mais une dégringolade comparable à celle de fin 2014 n’est pas exclue à cause notamment des retombées de l’affaire Khashoggi qui a affaibli dans sa souveraineté de décision l’Arabie saoudite, principal régulateur des prix du pétrole avec le schiste américain. Du moins, il est certain que l’opulence entrevue au moment où était rédigé le PLF ne surviendra pas.

Un seul choix : attendre et croiser les doigts

Le gouvernement algérien peut-il faire machine arrière et revoir son orientation et ses prévisions en fonction de la nouvelle conjoncture et des sombres perspectives ? De quels leviers dispose-t-il pour cela ?

Légalement, il peut instruire les sénateurs par le biais de leurs partis respectifs pour apporter des amendements. Mais pour changer quoi ? Revenir sur l’orientation sociale en instituant de nouvelles taxes, en augmentant les tarifs des prestations publiques ou en diminuant le montant des transferts sociaux (ce qui peut inclure la levée ou la révision de certaines subventions) est impensable pour les considérations politiques évoquées.

Pas plus que n’est envisageable l’engagement dans la précipitation de réformes structurelles profondes. D’ici l’élaboration d’une éventuelle Loi de finances complémentaire, qui n’interviendra pas avant au moins six mois, le gouvernement aura les mains liées. Il ne lui reste qu’à croiser les doigts pour que quelque miracle vienne freiner la chute vertigineuse des prix du pétrole.

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