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Planche à billets : une sortie qui s’annonce compliquée

Planche à billets : une sortie qui s’annonce compliquée

La déclaration faite dimanche 22 juin par le ministre de la Communication adopte des accents martiaux. Hassane Rabhi, annonce que l’ère de la planche à billets est « révolue » et affirme que l’Algérie tourne résolument, la page de ce mode de financement adopté en octobre 2017. Mais la sortie de la planche à billets risque d’être plus longue et plus compliquée que ne l’annonce le gouvernement.

Près de 55 milliards de dollars mobilisés en 18 mois

Rendu possible grâce à un amendement de la loi sur la monnaie et le crédit, autorisant le Trésor public de s’endetter directement auprès de la Banque d’Algérie, le financement non conventionnel était programmé pour une période transitoire de cinq ans, qui devait voir la concrétisation des réformes structurelles importantes.

Au bout de 18 mois, il avait déjà permis de mobiliser au profit du Trésor public des montants considérables chiffrés en avril dernier à plus de 6500 milliards de dinars (près de 55 milliards de dollars) par la dernière note de la Banque d’Algérie sur ce sujet. En revanche, on chercherait en vain la trace d’une réforme structurelle de l’économie mise en œuvre au cours de cette dernière période.

Dans le viseur du nouveau pouvoir politique

La planche à billets est clairement dans le collimateur du nouveau pouvoir politique qui semble même avoir éprouvé, pendant un temps, la tentation de criminaliser son application. Dans le sillage des convocations adressées en mai dernier à Ahmed Ouyahia et Mohamed Loukal, les juges ont ainsi eu à se pencher sur une loi adoptée par le Conseil des ministres et votée à une très large majorité par les 2 chambres du Parlement.

Même si cette démarche n’a pas été au bout de ses conséquences judiciaires, le gouvernement Bedoui en tire les conséquences et annonce donc que la page du financement conventionnel est désormais « définitivement » tournée. Mais les choses ne sont peut-être pas aussi simples et le sevrage financier d’un État habitué à dépenser sans compter risque de poser quelques problèmes que la communication gouvernementale s’est bien gardée de souligner.

La planche à billets ou comment en sortir ?

Dimanche, Hassan Rabhi a tenu à se montrer très rassurant en affirmant que « le gouvernement a pris toutes les mesures devant permettre au pays d’éviter les risques qui pourraient porter préjudice à l’économie nationale ».

Des risques ? La sortie de la planche à billets pourrait effectivement en comporter de nombreux. Dans l’état où se trouvent les finances publiques nationales, le gouvernement actuel aura bien du mal à se passer de la planche à billets.

Pour s’en convaincre, il suffit de se reporter aux différents usages qui en ont été faits depuis l’adoption de la loi en octobre 2017. La planche à billets a en effet irrigué très généreusement des dépenses aussi variées que celles liées au déficit du budget de l’État, à la compensation du coûteux système de subventions énergétiques et même dernièrement au financement des logements AADL et des retraites des Algériens.

Le déficit budgétaire fait de la résistance

Au cours des 18 derniers mois, le gonflement des dépenses du budget de l’État en contexte préélectoral explique le maintien du déficit à un niveau très élevé.

La Banque mondiale, qui a bénéficié d’informations qui ne sont pas communiquées aux médias et à l’opinion algérienne, indiquait en avril dernier que le déficit du budget de l’État a atteint en cumulé près de 2800 milliards de dinars en 2017 et 2018. Soit une moyenne de 1400 milliards de dinars par an.

Elle annonçait, sans doute sur la foi des assurances des autorités économiques algériennes, que « le rééquilibrage budgétaire pourra reprendre au second semestre de 2019 », en relevant qu’il « faudra tôt ou tard mettre un terme au financement des déficits budgétaires par la Banque centrale pour maîtriser l’inflation ».

Un pronostic qui vient donc de se vérifier au début de la semaine et qui n’empêche pas l’institution basée à Washington de s’attendre à un déficit budgétaire qui devrait encore atteindre 8,5 % du PIB soit largement plus de 1000 milliards de dinars en 2019.

Pour financer ce déficit le gouvernement Bedoui pourra compter en 2019 sur les 950 milliards de dinars logés dans le compte du Trésor à la Banque centrale et qui « n’avaient pas encore été injectés dans l’économie algérienne » à fin janvier selon le bilan dressé en avril dernier par la Banque d’Algérie.

Conclusion : la page de la planche à billets n’est pas encore tout à fait tournée et elle va encore servir en 2019 à passer un cap difficile pour les dépenses publiques.

Des coupes à venir dans les programmes d’équipements publics

Cette manne financière restera néanmoins insuffisante pour assurer le maintien des dépenses de l’Etat à leur niveau des deux dernières années. Comme les dépenses de fonctionnement sont à juste titre considérées comme quasiment incompressibles, ce sont logiquement les dépenses d’équipement qui vont faire les frais des économies imposées au train de vie de l’État au cours des mois à venir.

Dans ce domaine les choses ont selon toutes vraisemblances déjà commencé à se gâter très sérieusement. Depuis plusieurs mois, les associations patronales ont commencé à tirer la sonnette d’alarme.

Le 12 juin dernier, l’Association générale des entrepreneurs algériens (AGEA) adressait une lettre au premier ministre Noureddine Bedoui au sujet de « la situation alarmante des entreprises », causée par les impayés des entreprises publiques vis-à-vis de leurs contractants privés.

« La situation stagnante du pays et l’absence de réponse au dialogue que nous avons demandé aux ministères depuis plus de six mois a fait que nous sommes arrivés à la situation suivante : 3200 entreprises ont été fermées et 265 000 employés ont été mis au chômage depuis décembre dernier », indiquait cette association patronale.

Pour l’AGEA, cette situation a été causée par « les énormes impayés des entreprises, l’absence de plan de charge, le harcèlement des entreprises par les différentes caisses malgré leurs impayés, ainsi que le silence total de nos vis-à-vis publics quant à nos appels au dialogue ».

Ces premières réactions ne sont sans doute qu’un début et de nombreux spécialistes s’attendent désormais à une aggravation de la situation économique de notre pays au cours de la période à venir

Dans une contribution publiée voici quelques jours, le banquier algérien Rachid Sekak estime que « dans un contexte économique ou la commande publique reste encore le principal moteur, une morosité ambiante s’installe progressivement et les prochains mois seront complexes à gérer ».

Parmi les « facteurs de complexité » pour la période à venir, il mentionne notamment « des retards et arriérés de paiement domestiques » ainsi qu’ « un ralentissement de l’activité économique globale et une hausse sensible du chômage avec un risque d’exacerbation des tensions sociales ».

En attendant la réforme des subventions énergétiques

Mais, les problèmes en perspective ne s’arrêtent pas là, et le déficit budgétaire est loin d’avoir été la seule destination des ressources de la planche à billets. Une part d’environ 30% a contribué au remboursement de la dette publique à l’égard des entreprises nationales Sonatrach et Sonelgaz.

L’absence d’ajustement des prix de l’énergie et de l’eau est la première cause de l’augmentation de ces ressources consacrées au remboursement de la dette interne.

Comme rien n’a été prévu dans ce domaine par la Loi de finances pour 2019, les besoins de financements récurrents consacrés à cet usage des ressources de la planche à billets devraient encore augmenter au cours de l’année à venir en raison de la croissance d’une consommation interne stimulée par des prix souvent dérisoires notamment pour le carburant.

Selon nos sources, la seule « parade » disponible dans ce domaine pour les autorités financières du pays au cours des mois à venir va consister à « pousser la poussière sous le tapis ».

En clair à « laisser s’accumuler dans le portefeuille des banques publiques, des dettes qui incombent normalement au budget de l’État en raison des prix subventionnés imposés aux opérateurs ». Une solution disponible à court terme mais qui sera très difficile à maintenir dès l’année prochaine.

Le FNI au secours des retraites et des programmes AADL

Les nouvelles attributions surprenantes du FNI en matière de financement du déficit croissant du système national de retraite sont enfin aux côtés du financement des programmes AADL et de certains « investissements structurants » la principale explication de l’accroissement de sa part dans la planche à billet.

Elle est estimée à près de 1800 milliards de dinars dans la dernière note de la Banque d’Algérie. Cette dernière, rendue publique en avril et rédigée sous la supervision de Mohamed Loukal signalait de façon très significative que seul « un montant de 656 mds de DA est logé dans le compte du Fonds national d’investissement (FNI) auprès du Trésor dans la perspective de son utilisation, en fonction de besoins avérés ». Le reste a fait l’objet d’ « une stérilisation par la Banque d’Algérie, à travers ses différents instruments ».

Il se pourrait bien dans ce dernier cas que ce soit les programmes d’ « investissements structurants » du port de Cherchell et surtout du vaste et coûteux projet d’exploitation des phosphates de la région de Tebessa, cher à M. Ahmed Ouyahia, qui fasse les frais de cette « stérilisation » dont on ignore pour l’instant si elle sera définitive .

Au total tout se passe comme si le contexte présent d’illégitimité du pouvoir politique rendait quasiment impossible toute réforme profonde et nécessairement impopulaire du financement de notre économie. En l’absence de telles réformes, la sortie de la planche à billet va s’avérer beaucoup plus périlleuse que ne le dit le gouvernement Bedoui et risque fort d’entraîner notre pays dans une crise économique sévère.

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