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Pomme de terre : découverte d’un nouveau mode de stockage illicite

Pomme de terre : découverte d’un nouveau mode de stockage illicite

CONTRIBUTION. S’exprimant début mai sur les ondes de la Chaîne III, Sami Kolli, le directeur de la régulation au ministère du Commerce a fait part de la découverte d’une nouvelle forme de spéculation.  Concernant la pomme de terre, durant le mois de Ramadan : « le stockage illicite s’est fait sous terre ».

Une spéculation qui a eu lieu au niveau du sol

Afin d’éviter d’éventuelles tensions sur les produits de large consommation, ce responsable n’a pas manqué de rappeler les mesures prises. Ainsi, dès le mois de janvier, un comité mixte a été mis en place.

Bien qu’il se soit réuni à huit reprises rien n’y a fait. Le précieux tubercule a continué à subir des tensions. Les services du ministère ont alors multiplié les contrôles.

Cependant, ils n’ont constaté aucune rétention abusive de pomme de terre au niveau des entrepôts de stockage. Las, les agents du commerce ont décidé de remonter toute la chaîne de commercialisation, allant voir jusque dans les champs des principales zones de culture.

Et c’est là qu’a eu lieu la surprenante découverte. Une découverte pour laquelle avoue Samy Kolli : « Nous ne nous attendions pas. Cette fois-ci, la spéculation a eu lieu au niveau du sol ».

C’est ainsi qu’au niveau de la wilaya de Mostaganem, là où quotidiennement des centaines de camions viennent s’approvisionner, les agents du commerce ont constaté que le nombre de chargement journalier n’excédait pas dix camions. Samy Kolli s’est réjoui qu’après intervention des services de sécurité, « des centaines de camions ont pu se remplir et se diriger vers les marchés de gros ».

Ces dernières années, la part des pommes de terre dans la consommation des ménages n’a cessé de croître. Estimée à 34 kg/habitant/an en 1979-80, elle avoisinerait 113 kg/ habitant/an en 2015.

Aujourd’hui, les pommes de terre ont rattrapé les céréales qui traditionnellement, étaient l’aliment de base en Algérie. Pourtant, jusqu’à présent cette culture n’a pas bénéficié de toute l’attention nécessaire.

Ainsi, la récolte des pommes de terre est dans sa grande majorité réalisée de façon manuelle. Si dans certaines exploitations les tubercules sont déterrés à l’aide d’une arracheuse de pomme de terre, le chargement reste manuel. Les ouvriers agricoles sont payés au cageot ou au sac de pomme de terre ramassé. En absence d’arracheuse attelée à un tracteur, l’ensemble des opérations est manuelle.

Volonté délibérée de spéculation où manque de main d’œuvre durant la période de Ramadan ? Une étude plus poussée pourra permettre de dénouer cette nouvelle forme de spéculation.

Spéculation ou incitation à produire ?

Les propos de Samy Kolli n’ont pas échappé à la sagacité de l’agro-économiste Slimane Bédrani. S’exprimant sur les réseaux sociaux celui-ci a noté : « Autrement dit, l’agriculteur qui ne récolte pas ses pommes de terre dès qu’elles sont prêtes à l’être est un « spéculateur » d’après notre directeur qui pousse jusqu’à vouloir traduire devant la justice ce « spéculateur » ».

Reprenant son rôle de pédagogue, cet enseignant-chercheur qui a formé à l’analyse économique de nombreuses promotions d’étudiants reprends : « Ne voit-il pas que l’agriculteur fait preuve d’une bonne gestion de son exploitation en retardant le moment de la récolte pour bénéficier de prix plus intéressants, prix qui lui permettront d’améliorer sa consommation mais aussi d’investir pour améliorer sa productivité ».

Et de poursuivre : « S’il vend sa production dès qu’elle est prête (au temps T), il satisfait le consommateur de ce moment T, mais soit il gagne moins soit il perd de l’argent. S’il retarde sa récolte au moment T+x, il gagne plus d’argent, mais il satisfait le consommateur du moment T+x. Ce dernier n’aurait pas trouvé de produit si l’agriculteur n’avait pas « spéculé » ou l’aurait trouvé à un prix encore plus élevé ! Et de demander : « Un peu de bon sens, Monsieur le Directeur de la régulation ! « .

Régulariser le marché avec le « Syrpalac »

La pomme de terre a ceci de particulier : contrairement au blé, sa conservation est limitée dans le temps à moins d’être entreposée dans des chambres froides.

Par ailleurs, sa production connaît des pics saisonniers. Cela fait de ce tubercule, de plus en plus prisé par les ménages, un cas particulier. Les plus anciens des lecteurs se souviendront sans doute de cette scène datant du milieu des années 1970 qui s’est déroulée dans la salle des congrès du Club des Pins.

Profitant d’une rencontre nationale des hauts cadres de l’État, depuis la tribune le président Boumédiène avait demandé à chacun des walis le quota de pomme de terre que sa wilaya pouvait prendre pour réduire la surproduction de la région de Mascara.

À l’époque, les chambres froides n’étant pas légion et les précieux tubercules étaient entreposés à l’air sous l’ombre des arbres.

Depuis 2008, année marquée par de fortes tensions sur les produits alimentaires, les pouvoirs publics ont encouragé la construction de chambres froides et mis sur pied un système de régulation des produits de large consommation (SYRPALAC).

Ce dispositif comprend plusieurs mesures incitatives : une prime de stockage, la fixation d’un prix planché rémunérateur et la compensation en cas de vente à un prix inférieur à ce prix planché.

En 2008, la prime de stockage a été fixée à 1,8 Dinars/kg/mois ce qui pour de nombreux intervenants reste insuffisant. Après quelques tâtonnements, ce système a acquis une plus grande maturité.

Les techniques de stockage s’améliorent. Ainsi par exemple, on observe une plus grande utilisation de palox, ces grandes caisses pouvant être empilées et déplacées à l’aide d’un chariot élévateur.

Certes, il existe une préférence des consommateurs pour les pommes de terre fraîches. Pour Salim Hitouche, et Fatima Brabez de l’École nationale supérieure d’Agronomie : « C’est naturellement un désavantage des produits stockés, mais nous suggérons à l’autorité de régulation d’inciter les établissements de stockage à apporter une valeur ajoutée à leur marchandise, à travers des mesures tels que : le calibrage, le lavage et le conditionnement sous différents emballages. Sans cela, le cumul des « désintérêts » sera grand et pourra conduire à un échec de la politique« .

Sur le terrain, les opérations de stockage et de déstockage se poursuivent. Ainsi, en janvier 2020, lorsque la production nationale de pomme de terre de saison a atteint 20 000 tonnes, l’intervention du système SYRPALAC a permis le stockage de plus de 6 000 tonnes.

Le kilogramme de pomme de terre est acheté à l’agriculteur entre 18 ou 20 DA, puis en basse saison remis sur le marché. L’objectif étant que les prix de détail tournent autour de 60 à 80 DA.

À la mi-mai, l’Office national interprofessionnel des légumes et des viandes (ONILEV), en charge du SYRPALAC, a indiqué avoir procédé à une opération de déstockage de pomme de terre.

Celle-ci venant s’ajouter au 36 000 tonnes déjà livrées au marché en cette période de soudure entre deux récoltes. En visite dans la wilaya de Constantine, le ministre de l’Agriculture a annoncé que l’ensemble du déstockage atteignait les 50 000 tonnes.

Des pommes de terre, mais à quel prix ?

Dès son élection, lors de sa visite à la Foire de la production nationale, le président Abdelmadjid Tebboune s’était enquis des disponibilités en pomme de terre et de son prix : « La pomme de terre ne doit pas dépasser les 60 dinars le kilogramme, c’est le maximum supportable. Stockez les quantités qu’il faut et faites en sortir à chaque fois que l’exige le marché. Il faut que l’Algérien consomme de la pomme de terre à 60 DA, pas plus ! Il est inacceptable de revenir à de la pomme de terre à 100 DA et 120 DA le kilogramme ».

Ces dernières années, la production a considérablement augmenté. En janvier de l’année dernière face aux excédants, les prix ont chuté et des producteurs de Bouira ont été jusqu’à bloquer l’autoroute avec des pommes de terre afin d’alerter les autorités.

Actuellement, malgré les mesures prises, cela n’a pas empêché les prix de dépasser la barre symbolique des 60 DA, notamment lors des périodes de soudure. À qui la faute ?

Pour l’agro-économiste Ali Daoudi, qui s’exprimait fin avril dans l’émission « LSA Direct », il s’agit d’arriver à une baisse des coûts de production des produits agricoles. Pour cet universitaire, « il faut des mécanismes de régulation des prix qui tiennent compte des prix de production et d’accompagnement des agriculteurs ».

Le risque étant un découragement des agriculteurs. Suite aux dernières inondations, on a pu voir des agriculteurs de Béni-Slimane exposer devant les autorités locales venues constater les dégâts, les dépenses engagées pour chaque hectare de pomme de terre : labour, semences, engrais, produits phytosanitaires mais aussi location de terre.

La course vers le foncier et l’eau

Pour nombre d’agriculteurs l’accès au foncier demeure problématique. En l’absence d’un statut du fermage, la pratique informelle de la location des terres reste le passage obligé pour de nombreux agriculteurs.

Cette location se fait le plus souvent par accord oral. Un accord qui peut être dénoncé du jour au lendemain par le propriétaire ou l’ayant-droit là où l’agriculteur devrait pouvoir disposer d’un bail de plusieurs années lui permettant de sécuriser ses investissements comme par exemple enrichir sur le long terme la terre par des apports de fumier.

Face à cette situation, « Qu’attend l’État pour définir les règles de la location des terres et encadrer le marché des droits de location des terres alors que depuis 1987 ce marché est actif et fonctionne au détriment des producteurs de richesses ? », se demande l’agro-économiste Omar Bessoud.

La course vers le foncier et l’eau est le cas dans la commune de Rechaïga (Tiaret). Une équipe de chercheurs, dont fait partie Ali Daoudi, ont décrit minutieusement le cheminement de ces « agriculteurs itinérants : entrepreneurs chercheurs d’eau ».

Dès 1985, suite à la baisse de 30 à 40 mètres du niveau d’eau des nappes phréatiques de la plaine de Ghriss (Mascara), une poignée d’agriculteurs est venue s’installer à Rechaïga. Comme le notent l’équipe de chercheurs « l’information sur la disponibilité de l’eau et de la terre s’est diffusée progressivement auprès d’autres agriculteurs de Mascara. « En quelques années cette commune est devenue un pool maraîcher réputé pour son abondante production de pomme de terre et d’oignons.

À ce type de migration, il s’agit d’ajouter la politique d’attribution de concessions agricoles dans le Sud. Celle-ci a suscité de l’étonnement comme dans le cas de D. Dubost ; ce chercheur notant dès 1986 le « paradoxe évident à vouloir retirer du désert les denrées alimentaires qu’on a grand peine à obtenir dans les régions plus favorisées ».

En effet, qu’attendre de la mise en culture de la zone de dayat El Bagra, à Brézina ? Sur un sol profond mais léger, et donc sensible à l’érosion éolienne, d’énormes tracteurs y ont arraché la végétation steppique qui protégeait le sol du vent et retourné le sol sur des centaines d’hectares pour planter de la pomme de terre sans qu’aucun brise-vent ne soit installé.

À cette agriculture entrepreunariale, ne faudrait-il pas préférer celle des agriculteurs d’El Oued. Une agriculture à taille humaine ? À l’aide de pivots circulaires irriguant chacun un hectare et fabriqués localement, ils ont réussi à faire de cette région une zone de production de pomme de terre et à créer des milliers d’emplois.

Incontestablement, l’approvisionnement du marché en pomme de terre progresse. Cependant, le chemin reste semé d’écueils, il lui faudra faire avec ce « stockage illicite sous terre ».

 *Ingénieur agronome


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