Économie

Pomme de terre : percée des agriculteurs itinérants en Algérie

Un nouveau type d’agriculteurs est apparu ces dernières années en Algérie. Ils présentent la particularité de se déplacer constamment.

A chaque campagne agricole, ils changent de région. Ils se contentent de louer et ne sont pas intéressés par la possession de la terre. Les universitaires les qualifient d’agriculteurs itinérants. C’est le cas de Kamel, agriculteur à Maoussa (Mascara).

A 19 ans, commerce de produits agricoles

A 47 ans, lorsque Kamel se penche sur son parcours professionnel, 1987 lui semble bien loin. C’est à cette époque qu’il a interrompu sa scolarité.

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A 17 ans, il voulait travailler dans l’exploitation familiale. Progressivement, son père lui a proposé de l’accompagner au marché de gros où il amenait sa production de pomme de terre.

Kamel s’est rapidement familiarisé aux techniques de vente et à l’ambiance matinale du marché. Dès 1989, il décide de se lancer dans le commerce des produits agricoles. En plus des produits de l’exploitation familiale, il collecte la production de ses voisins.

Les marges bénéficiaires sont intéressantes. Elles le seraient d’autant plus s’il arrivait à produire lui-même ces pommes de terre si demandées sur le marché.

Installation comme entrepreneur maraîcher

Il décide alors de produire de la pomme de terre. Les gains accumulés dans le commerce de gros lui permettent de s’autofinancer. A Mascara, les terres et l’eau deviennent rares aussi il jette son dévolu sur la wilaya de Tiaret.

A Aïn Zarit, il loue 3 hectares de bonne terre anciennement cultivée de céréales. Le contrat comprend un accès à l’eau. Il se spécialise dans la production de pomme de terre en reproduisant ce qu’il a appris à Maoussa.

Les gains sont conséquents et lui permettent d’acquérir son propre matériel : pompe immergée, moteur, kit d’aspersion et même pick-up. Au bout de 4 ans d’exploitation intensive du sol, les rendements commencent à chuter.

Il doit se résoudre à trouver de nouvelles terres dont la fertilité n’a pas été épuisée par les retours fréquents de pomme de terre dont l’Algérie est l’un des plus gros consommateurs au monde.

Des terres n’ayant jamais produit de tubercules et donc indemnes de parasites. Même l’eau commence à manquer. Les constants pompages dans la nappe pour alimenter les rangées d’asperseurs de ses champs, ont provoqué un rabattement de la nappe.

Une connaissance de Maoussa lui a parlé des terres vierges de Mahdia. Il finit par trouver un propriétaire qui accepte de lui louer un lopin de terre avec accès à un forage.

Après Aïn Tzarit, installation à Rechaïga

Au bout de deux ans, nouveau déplacement. Ce sera dans une commune voisine : Rechaïga. Il loue 10 hectares, mais doit préfinancer le forage. Qu’importe, il s’agit de terres vierges. Nouveaux achats de matériel : tracteur, charrue, équipements d’irrigation, moyens de transport. Il restera 10 ans à Rechaïga. En 2005, le voilà à Aflou (Laghouat) sur 25 hectares pour produire pomme de terre et oignon.

En 2017, lorsque des universitaires de l’Ecole Nationale Supérieure d’Agronomie (ENSA) l’ont rencontré, et à qui il a confié son parcours, ce sont 11 millions de DA qu’il investissait à chaque campagne agricole.

Kamel dispose d’un semoir et de matériel de récolte. Sur ses 5 parcelles qu’il exploite en location, il dispose de 2 forages. Il est aidé par des membres de sa famille, chacun reçoit la moitié des bénéfices de la parcelle dont il a la responsabilité.

Des investissements sur fonds propres

Kamel est bien inséré au niveau d’un réseau personnel de connaissances ce qui lui permet l’accès à la terre et aux intrants agricoles. Le contact avec les grainetiers permet un accès privilégié aux nouveautés en matière de produits phytosanitaires et engrais.

Kamel et ses collègues investissent jusqu’à 450 000 dinars algériens par hectare. Leur perpétuelle itinérance ne leur permet pas de disposer de la carte fellah donnant accès aux prêts de la Banque algérienne de développement agricole (BADR). Aussi, s’agit-il le plus souvent de financements sur fonds propres et de crédits provenant de leurs fournisseurs.

Achat de terre, des investissements trop importants

L’agro-économiste Ali Daoudi de l’ENSA a longuement étudié le cas de ces agriculteurs itinérants : « L’achat de terre agricole n’est alors pas une priorité.»

Leurs déplacements permanents est lié à la recherche de nouvelles terres irrigables, de préférence des terres qui n’ont pas été exploitées en mode intensif et à la fertilité intacte.

La location constitue le mode le plus adapté pour accéder à la terre et à l’eau « sans les investissements importants qu’auraient nécessité l’achat de terre et la réalisation de forages. » Toute sa carrière, Kamel s’est déplacé, non pas par goût, mais par nécessité.

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