Économie

Poulet : les grands défis de la filière avicole en Algérie

À nouveau, consommateurs et éleveurs de volaille algériens se plaignent de la hausse des prix.  Les premiers à propos du prix du poulet et les seconds pris à la gorge par le prix de l’aliment volaille.

Un type d’élevage qui dépend exclusivement de l’importation du couple maïs-soja, de médicaments vétérinaires et de souches de poules. Le secteur de l’aviculture en Algérie fait face à un handicap structurel.

Le poids du poste aliment dans l’élevage avicole est illustré par la place de premier exportateur mondial qu’occupe le Brésil. Ce pays produit en effet des quantités illimitées de soja et de maïs. En Algérie, le défi est de développer une filière avicole locale en important la totalité de l’aliment volaille. C’est dire la hauteur du défi.

La filière peut compter sur un nombre considérable d’éleveurs et d’opérateurs intervenant dans la fabrication d’aliments du bétail, propriétaires de couvoirs, fabricants de matériel et abattoirs.

L’ensemble faisant intervenir 600.000 personnes. Même s’il a fallu attendre 2017, l’Office National des Aliments du Bétail fabrique aujourd’hui des premix, mélanges minéraux indispensables à la composition des rations.

L’aliment volaille, maillon faible de la filière avicole en Algérie

L’aliment constitue donc le poste le plus important du budget des élevages. Les souches de poules élevées en Algérie sont issues de la sélection réalisée par des firmes étrangères et ce sont des individus de très haut niveau.

Elles présentent un taux de croissance ou de production d’œufs particulièrement élevé. Encore faut-il leur assurer les quantités suffisantes de maïs et de soja.

En 2021, Mohamed Betraoui, le premier responsable de l’ONAB déclarait que l’Algérie importait annuellement 4 millions de tonnes de maïs et 1,25 million de tonnes de soja pour une valeur 1,2 milliard de dollars.

Il rappelait également le projet d’extension de la culture du maïs en Algérie sur 8.900 hectares. À raison d’un rendement moyen de 80 quintaux, cela représente une goutte d’eau dans l’océan des besoins locaux.

Une alternative serait de produire localement une partie des aliments de volaille importés. Les cultures du maïs et du soja ne sont possibles qu’avec l’irrigation, aussi la production algérienne reste limitée. Reste la solution de produire des cultures de substitution : orge, triticale, féverole.

De façon étonnante, alors qu’il s’agit là de leurs matières de base, les entreprises locales de fabrication d’aliment du bétail ne sont pas incitées à contribuer à la production locale, comme c’est pourtant le cas de la filière tomate en conserve.

La hausse des prix de l’aliment volaille est en partie liée aux volumes de maïs et de soja captés pour l’engraissement local des agneaux et des bœufs.

Or, ces ruminants peuvent utiliser une plus grande gamme d’aliments que les volailles : balles rondes de maïs, ensilage, foin de vesce, avoine ou luzerne. La production de viande rouge en Algérie se fait alors au détriment de la viande blanche, un produit plus accessible pour les ménages à faible revenu.

Filière avicole en Algérie : bâtiments inadaptés et hygiène à revoir

Une fois poussins et aliments disponibles, un simple local permet de lancer un élevage de volailles. Pour de nombreux agriculteurs et chômeurs en milieu rural, l’aviculture représente un moyen de s’assurer un revenu. En Algérie, on estime que 80 % des éleveurs agissent dans l’informel.

Face au coût de construction des bâtiments d’élevage, nombreux sont les aviculteurs qui utilisent des serres reconverties en poulailler sur terre battue.

Or, il s’agit là de locaux inadaptés aux strictes conditions d’hygiène de l’élevage des souches étrangères. Entre deux bandes de poulets, il est difficile d’assurer la désinfection au Karcher du sol. Celui-ci devrait être constitué d’une dalle de béton. Le problème se pose également pour les murs remplacés par une simple bâche plastique.

En hiver, celle-ci devient un piège pour les animaux. L’absence de faux plafond favorise la condensation de l’air ambiant sur les parois en plastique.

Résultat, les gouttes d’eau tombent sur les poules. Le non-respect du nombre d’animaux crée une promiscuité qui favorise la propagation des poux et un stress.

Celui-ci se traduit par des coups de bec entre individus entraînant blessures et infections. L’apport insuffisant de sciure et de paille au cours des 56 jours d’élevage rend la litière humide et incapable d’absorber les déjections tandis que le manque d’aération adaptée laisse les animaux dans une ambiance saturée d’ammoniac.

Dans ces conditions se développent des maladies respiratoires et des parasites tels que ceux à l’origine des coccidioses. Une affection qui se traduit par l’infestation de l’intestin des volailles par des vers. L’animal consomme alors plus d’aliment, sans prendre de poids.

L’expert agricole Laala Boukhalfa, ancien directeur du centre avicole de Tazoult (Batna), s’insurge des piètres performances de certains éleveurs : « L’indice de consommation doit être respecté, il ne devrait pas excéder 1,82. Alors que chez certains éleveurs, il dépasse de loin 3. »

Sans aucune formation, les aviculteurs algériens ont recours à l’automédication et se tournent vers l’utilisation d’antibiotiques là où des mesures d’hygiène de base auraient suffi.

Chaque bâtiment doit disposer d’un pédiluve où l’éleveur trempe ses bottes dans un désinfectant, les abreuvoirs et les canalisations doivent faire l’objet de nettoyage à l’aide de détergents spécifiques. Jusqu’à l’eau de boisson qui devrait être légèrement acidifiée pour réduire le développement des germes infectieux.

À la difficulté d’assurer une désinfection des locaux s’ajoute le non-respect du délai de 8 semaines de vide sanitaire entre deux bandes de poulets.

L’aviculteur est souvent tenté de maximiser son profit en raccourcissant cette période. Parfois l’injonction vient des autorités locales.

Cela a été le cas à Tiaret avant la période du ramadan. Croyant bien faire, lors d’une visite de terrain, le wali a demandé à un éleveur de raccourcir ce délai afin que sa production coïncide avec la période du ramadan.

Filière avicole en Algérie : l’éleveur pris entre deux feux

En mars 2021, Hamid, un éleveur de Khemis El Khechna confiait à El Watan : « Chez nous, on ne parle que quand il y a augmentation des prix. Il fut un temps où on ne trouvait pas d’acheteurs ».

De son côté, Madjid Yahia, président de la section du Conseil interprofessionnel de la filière avicole à Tizi Ouzou, se disait préoccupé par l’avenir de la profession : « On travaille à perte. Le soja coûte actuellement 5.700 DA le quintal, alors qu’il était à 2.600 DA avant octobre dernier. Le maïs a atteint 11.500 DA le quintal après avoir été à 4.800 DA, il y a quelques mois ».

Des prix aujourd’hui revus à la hausse. Face à cette situation, les éleveurs n’ont de cesse de réclamer une exonération de TVA sur les aliments pour volailles.

Le petit éleveur est pris entre deux contraintes : le prix de l’aliment et la nécessité de vendre ses poulets à 56 jours.

Face à la nécessité de nourrir chaque jour son cheptel, l’éleveur a peu de marge de manœuvre face aux fabricants d’aliments. Il en est de même avec les abattoirs et les intermédiaires.

Passés 56 jours, les animaux doivent aller à l’abattoir. Tout jour supplémentaire se traduit par une surconsommation d’aliments et donc des surcoûts. Une situation qui peut conduire à des abattages clandestins.

Prix de l’aliment et biosécurité

En Algérie, si des élevages de grandes capacités disposent de moyens conséquents et se rapprochent des normes internationales, une bonne partie des élevages informels se trouvent dans des conditions d’hygiène déplorables.

Or, en la matière, comme le note le vétérinaire Aloui Nadir, auteur d’un ouvrage sur le sujet, l’hygiène des élevages est une des clés du succès. À ce titre, utilise-t-il le terme de biosécurité.

Face à l’extension de l’aviculture, les services agricoles ont mis en place un Conseil national interprofessionnel de la filière avicole (Cnifa) regroupant les professionnels du secteur.

Une mesure louable de l’administration qui délègue une partie de ses prérogatives aux principaux concernés. Encore faut-il que ce type de structure dispose de moyens matériels et humains conséquents.

Parmi les défis, celui des éleveurs non déclarés. En janvier 2020, à l’occasion d’une rencontre technique séminaire, le DSA de la wilaya d’El Tarf, Kamel-Eddine Benseghir avait insisté sur la nécessité « d’identifier, au préalable, les personnes pratiquant cette activité de manière informelle en vue de les inclure dans le système connu de la filière, afin d’assurer la pérennité de leur activité. »

Après des décennies de croissance qui ont permis à la filière avicole d’améliorer la couverture locale en protéines, la stratégie algérienne d’un modèle avicole basé sur l’importation du couple maïs-soja trouve ses limites.

Aujourd’hui, le challenge est d’intégrer les éleveurs situés dans l’informel, d’améliorer leur niveau technique, mais également de réduire la dépendance de l’Algérie vis-à-vis de l’étranger en matière d’aliments, de produits vétérinaires et de souches de poules.

Précurseur dans le domaine des nouvelles technologies, Yacine Oualid le ministre chargé des starts-up suggère au secteur agricole et agro-alimentaire de s’ouvrir à la FoodTech.

Un secteur encore méconnu en Algérie, mais très porteur, notamment dans le cas des Protéines Végétales Texturées (PVT) issues de la trituration locale du soja et qui peuvent entrer dans l’alimentation humaine. Un moyen d’alléger la facture des importations de l’aliment de volaille.

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