Économie

Pourquoi la politique du gouvernement Bedoui va aggraver la crise économique

En s’abritant derrière un discours qui prône la « rigueur », le gouvernement Bedoui a en réalité fait le choix de la continuité et du laxisme. La mise en œuvre d’une politique de rigueur budgétaire exigerait, en effet, des ajustements douloureux qui sont hors de portée du gouvernement actuel confronté à l’urgence politique du maintien de la paix sociale dans la perspective d’échéances électorales rapprochées. Explications.

Prenant à contre-pied les annonces qui évoquent son départ « imminent » depuis plusieurs semaines, le gouvernement Bedoui semble s’installer dans la durée. Son porte-parole Hassan Rabhi a livré en fin de la semaine dernière une analyse qui dévoile sans doute le secret de sa longévité surprenante.

« La revendication du départ du gouvernement constitue une ingratitude par rapport aux réalisations cruciales qu’il a pu accomplir», a affirmé M. Rabhi lors d’une conférence de presse. Selon lui, le gouvernement Bedoui a accompli des réalisations « qu’aucun autre n’a fait avant lui depuis des années ».

La préparation de la prochaine Loi de finance figure très certainement au nombre de ces « réalisations cruciales » auxquelles fait allusion le porte parole du gouvernement.

Dans ses interventions publiques les plus récentes, le premier ministre Noureddine Bedoui affiche encore l’intention de son gouvernement d’instaurer une « logique de rigueur, de rationalisation et d’assainissement des finances publiques »

Ces bonnes intentions sont malheureusement contredites aussitôt par le contenu du projet de Loi de finances 2020. Les spécialistes consultés par TSA n’y aperçoivent pas la concrétisation de la rigueur annoncée et prévoient au contraire une poursuite de la détérioration de nos équilibres financiers internes et externes au cours de l’année à venir.

Peut-être plus grave encore, la nouvelle et très forte réduction des dépenses d’équipement de l’Etat, qui est la seule véritable mesure de « rigueur » budgétaire à laquelle le gouvernement Bedoui a pu se résoudre, devrait aggraver l’année prochaine le marasme de l’économie algérienne déjà sensible en 2019.

Quel déficit budgétaire en 2020 ?

Dans son communiqué publié à la suite du Conseil des ministres du 11 septembre dernier, le gouvernement se garde bien de mentionner aucun chiffre à propos du montant du déficit budgétaire prévu en 2020.

Dans un entretien à Liberté, l’économiste Mouloud Hedir relève : « le gouvernement n’a pas fourni d’indication précise concernant le niveau du déficit qui sera affiché dans le projet de loi de finances pour 2020. On peut néanmoins l’estimer à quelque 1 800 milliards de dinars, qu’il va falloir financer d’une façon ou d’une autre ».

Un pronostic assez proche de celui de celui de l’ancien ministre du Trésor Ali Benouari. « La Loi de finances 2020 ne sera pas très différente sur ce plan de celle de 2019 ». Il prévoit pour sa part un déficit « qui pourrait encore atteindre près de 2000 milliards de dinars », explique-t-il à TSA.

Ali Benouari va plus loin en affirmant : « Les objectifs de cette Loi de finances seront intenables pour le prochain gouvernement qui devra presque certainement recourir à une Loi de finances complémentaire dans le courant de l’année prochaine ». Il sera « impossible pour le prochain gouvernement d’éviter un programme de gestion de crise dans le but de s’attaquer aux sources du déficit », ajoute l’ancien ministre du Trésor.

La fausse sortie de la planche à billets

« La planche à billet, c’est fini » avait annoncé voici déjà quelques mois le gouvernement. Une « option » confirmée timidement par le dernier Conseil des ministres qui évoque un financement du déficit « par des moyens conventionnels ».

Personne n’y croit. Selon Mouloud Hedir : « le retour à la planche à billets sera inévitable. Le Trésor devra encore solliciter la Banque centrale, sachant que le niveau réel du déficit est plus important que celui affiché dans la loi de finances. Aux 1 800 milliards de dinars de déficit affiché, il faut ajouter d’autres engagements de dépenses non budgétisées telles que l’énorme déficit de la Caisse nationale des retraites ( plus de 600 milliards de dinars), la couverture des déficits des entreprises publiques, et la compensation de Sonatrach et de Sonelgaz, qui préfinancent les subventions publiques aux prix de l’électricité, du gaz et des carburants ».

Au total la facture sera largement supérieure à 3000 milliards de dinars pour l’année prochaine. Un montant totalement hors de portée des financements conventionnels évoqué par le dernier Conseil des ministres.

Pour Mouloud Hedir, « la dérive budgétaire est d’une gravité extrême. Voilà longtemps que notre pays dépense plus de ressources qu’il n’en génère. Une situation face à laquelle, le gouvernement, complètement délégitimé, ne peut rien entreprendre de sérieux ».

La réduction de la commande publique aggrave la crise

La « maitrise des dépenses » annoncée par le gouvernement Bedoui passera bien en revanche par une nouvelle réduction, de plus de 20 %, du budget d’équipement de l’Etat. Le mouvement a été d’ailleurs largement amorcé cette année et les dépenses d’équipement étaient en pleine dégringolade au premier trimestre 2019. Enregistrant une baisse de 28 %, elles ne représentaient plus que 890 milliards de dinars contre près de 1250 milliards l’année dernière à la même époque.

Le principal risque associé à cette démarche est de ralentir encore un peu plus une croissance économique qui est déjà en berne depuis le début de l’année. L’ONS a annoncé une forte réduction de la croissance au premier trimestre.

L’économiste Alexandre Kateb estime que « les coupes dans les crédits d’investissement risquent de précipiter la crise ». Un pronostic partagé par Ali Benouari qui considère que « compte tenu de l’instabilité politique et de la situation de l’économie qui n’était déjà pas très bonne, il est probable que la croissance sera proche de zéro cette année et probablement encore plus faible l’année prochaine ».

Endettement extérieur : ça prendra du temps

Le recours à l’endettement extérieur est clairement la parade sur laquelle le gouvernement Bedoui compte pour endiguer les effets de la baisse de l’investissement public sur la croissance. Le projet de Loi de finances, présenté le 11 septembre au gouvernement, propose « la possibilité de recourir, de façon sélective, au financement étranger auprès des institutions financières mondiales de développement en vue de financer les projets économiques structurels et rentables avec des montants et des délais conformes à la rentabilité de ces projets et leur solvabilité ».

Aux dernières nouvelles, il semble que le gouvernement ait déjà approché une institution comme la Banque Africaine de Développement auprès de laquelle le gouvernement Sellal avait d’ailleurs obtenu un crédit de près d’un milliard de dollars en 2016.

Cette démarche était recommandée depuis de nombreuses années par les économistes algériens. Mais, ainsi que le souligne Mouloud Hedir, « le recours potentiel à l’endettement extérieur ne sera d’aucun secours pour l’année qui vient, dans la mesure où, une fois autorisé, il concernera de nouveaux projets requérant des études et une maturation relativement longues ».

Face à des perspectives économiques très sombres, les maigres réponses prévues par le gouvernement Bedoui ont plus de chances d’aggraver la crise de l’économie algérienne que d’y apporter des solutions.

Le constat dressé par Mouloud Hedir résume les appréhensions de la plupart des économistes algériens : « L’économie tourne au ralenti, la dépense d’équipement public est sévèrement réduite, alors que l’investissement productif est, quant à lui, presque totalement à l’arrêt. Les nombreuses réformes qui ont été reportées à chaque fois depuis une vingtaine d’années vont devoir être menées sous la contrainte et dans les pires conditions. Cela est désagréable à dire, mais ce sont des années noires qui attendent notre pays, sur le front économique ».

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