Que faut-il retenir de cette première journée du procès de plusieurs anciens hauts responsables de l’État et hommes d’affaires ? D’abord que le grand déballage attendu n’a pas eu lieu. La présence à la barre de deux Premiers ministres qui ont cumulé près de 15 ans à la tête de l’exécutif sous Bouteflika ainsi que d’hommes d’affaires qu’on disait proches de l’entourage de l’ancien président, avait laissé penser que le procès allait être celui du système qui a dirigé l’Algérie ces vingt dernières années. Il n’en sera rien, ou presque.
Les Bouteflika, Abdelaziz, le président, ou Saïd, son frère et conseiller considéré comme le détenteur du pouvoir réel au moins depuis 2013, ne seront que très peu cités. Pourtant, cliché ou réalité, l’opinion s’est fait son idée sur la manière dont se passaient les choses au sommet de l’État et dans la sphère des affaires : le frère du président ordonne d’ouvrir toutes les portes à ses amis et les plus hauts responsables de l’État s’exécutent.
Les réponses des accusés aux questions du juge ne corroborent hélas pas un tel schéma. C’est l’omerta, à moins que ce ne soit la stratégie choisie pour leur défense, car reconnaître qu’ils ont exécuté les instructions de Saïd Bouteflika, qui n’avait aucune qualité légale pour le faire, c’est avouer une grave défaillance qui les enfoncera. Le seul rôle attribué au frère du président c’est d’avoir désigné Abdelmalek Sellal comme directeur de campagne pour le cinquième mandat avorté. C’est le concerné lui-même qui le dit à la barre.
À défaut donc de charger celui qui purge une peine de 15 ans à la prison militaire de Blida pour d’autres faits, on a tout mis sur le dos de l’autre grand absent : Abdeslam Bouchouareb, le ministre de l’Industrie (2014 – 2017) qui a lancé la filière d’assemblage de véhicules, objet même du procès avec le financement illégal de la dernière campagne électorale de Bouteflika. Bouchouareb est cité comme accusé mais il est en fuite à l’étranger d’où il aurait envoyé un certificat médical, « psychiatrique » dit-on, pour justifier l’impossibilité de se présenter.
« Ce n’est pas moi, c’est lui » est l’autre stratégie de défense que semblent avoir adoptée quasiment tous les accusés. Certains désignent leur prédécesseur ou leur successeur, d’autres encore leurs subalternes.
Abdelghani Zaâlane, poursuivi pour des irrégularités dans les comptes de campagne de Bouteflika, affirme que les financements ont été faits avant qu’il prenne la direction de la campagne en remplacement de Abdelmalek Sellal qui, lui, rejette tous sur ses collaborateurs, assurant qu’il signait des documents sans les lire.
Mme Zerhouni, ancienne wali de Boumerdès, assure que c’est son prédécesseur qui a attribué un terrain à l’homme d’affaires Baïri… Mahdjoub Bedda rappelle aussi qu’en arrivant au ministère de l’Industrie, les autorisations (pour les usines de montage) avaient déjà été attribuées et qu’il est le premier à avoir dénoncé une « importation déguisée ».
Des déclarations des prévenus ressortent aussi deux grosses anomalies : le manque de clarté des responsabilités dans le gouvernement et l’administration ainsi que la légèreté avec laquelle certains dossiers lourds sont expédiés.
Concernant la corruption proprement dite, l’opinion est restée sur sa faim. L’accusation n’a pas présenté la moindre preuve qu’un des prévenus à réellement perçu une contrepartie financière pour les largesses accordées aux hommes d’affaires, mis à part peut-être l’introduction sans apport du fils de Sellal comme actionnaire dans le groupe Mazouz.
On a entendu le juge interroger Ouyahia sur les affaires de sa femme et de son fils, les mouvements dans ses comptes bancaires (30 ou 300 milliards de centimes, le chiffre reste à confirmer), Mahdjoub Bedda sur une maison d’édition qui lui appartenait et un compte de 11 millions de dinars. Les réponses étaient peu convaincantes certes, mais il n’y a pas eu d’accusation franche de corruption, encore moins d’aveux.
À retenir aussi ce chiffre d’indécent qui illustre le zèle de certains à servir le puissant du moment : un homme d’affaires a mis à lui seul 39 milliards de centimes dans la campagne pour le cinquième mandat.