Politique

Présidentielles anticipées : entretien avec Soufiane Djilali

Dans cet entretien, Soufiane Djilali, président de Jil Jadid, revient sur les raisons de la tenue des présidentielles anticipées du 7 septembre prochain, donne son avis sur une éventuelle candidature du président Abdelmadjid Tebboune pour un second mandat, analyse la situation politique et économique du pays.

Il fait le bilan du premier mandat du président Tebboune, sans trancher sur sa participation au prochain scrutin présidentiel.

Quelle lecture faites-vous de la décision d’avancer la date de l’élection présidentielle de trois mois ?

Les raisons exactes de cette anticipation restent peu claires. Le président de la République a parlé de questions techniques sans plus de précision.

Par contre, l’éditorial de l’APS était parti dans un commentaire peu rassurant. C’est d’autant plus étonnant que le « gain » n’est que de trois mois au plus.

L’argument avancé qui était de revenir au calendrier régulier, c’est-à-dire tenir l’élection au printemps, n’a aucun sens, d’autant que la date choisie finalement se situe à la fin de l’été. En conclusion, cette décision trouvera probablement son explication après l’élection.

Les partis politiques ne se sont pas encore exprimés sur leur participation. Pourquoi ?

Je ne saurai parler au nom des partis politiques en général. Chacun doit avoir ses propres raisons.

Concernant Jil Jadid, je peux vous dire qu’un Conseil Politique est prévu à la fin du mois d’avril et sera suivi d’une conférence des cadres vers la mi-mai.

La question des élections présidentielles sera bien entendue à l’ordre du jour. D’ici là, espérons que les données politiques seront plus claires.

Pour l’instant, les partis politiques, comme les médias, naviguent à vue. Le fait qu’aucun débat sérieux n’ait été ouvert et que les médias publics et privés soient toujours très frileux sur la question n’encourage personne à se dévoiler.

J’ai, à plusieurs reprises, déclaré que la marginalisation des partis politiques et le retour à une forme de discours unique avec la fermeture des médias n’étaient pas une solution. Ce qui aurait dû être une mise en ordre pour un meilleur départ est devenu dans les faits la finalité. C’est une régression.

Quel bilan faites-vous du premier mandat du Président Tebboune ?

Je pense qu’il y a eu deux phases. Au début, il fallait remettre de l’ordre dans le pays. La fin du mandat de Bouteflika avait été chaotique.

Durant le Hirak, des événements internes au système avaient gravement affaibli la cohésion de l’État et provoqué sa déstabilisation. Le Président Tebboune a pu calmer le jeu. Il a, par ailleurs, enrayé la grande prédation.

Au plan diplomatique, il a tenté de réhabiliter les positions de principe de l’Algérie qu’elle avait quelque peu abandonnées ces dernières décennies. En outre, le pays a traversé sans trop de difficultés l’épisode Covid ainsi que la crise mondiale qui s’en était suivie.

Tout cela est incontestablement à son actif. Le leg de la période précédente était lourd. Il fallait donc lui donner le temps de se retourner, et même l’aider dans la mesure du possible.

Par contre, au plan des libertés, le bilan est plutôt mitigé. La vie politique a été anesthésiée et les choix de gestion des médias sont, de mon point de vue, très critiquables.

Cette situation n’est pas irrémédiable et s’il le décide, le pouvoir peut changer rapidement les choses. Par contre, ce qui m’inquiète le plus, c’est la politique économique.

Les choix stratégiques dans ce domaine ont un impact bien plus lourd sur le moyen et le long terme et il est difficile de rattraper les conséquences de mauvaises options. Le tâtonnement est évident et les discours ne sont pas suivis d’effets.

Vous savez, avec l’indépendance, l’Algérie s’était construite sur la base de principes politiques (souveraineté, justice sociale, soutien des causes justes…) et d’une méthode de gestion (centralisation du pouvoir politique, gestion administrative du territoire et des populations, secteur public hégémonique dans l’entreprise, monopoles d’État, etc.).

Durant cette période, il y avait donc une politique volontariste de développement basée sur l’autorité et l’austérité.

Après la disparition du Président Boumédiène, son successeur voulut donner du lest à la population en ouvrant les vannes de la consommation. Le Président Chadli voulait garder les principes de base, mais changer de méthode de gestion, sans toutefois savoir vraiment où aller.

Nous sommes alors tombés dans une économie de bazar qui n’avait aucune cohérence. En réalité, il avait initié le système de la distribution de la rente qui allait devenir la plus grande entrave au développement tout en s’enracinant dans la mentalité nationale.

Après l’intermède des années 1990, le Président Bouteflika, abandonna les principes de l’Algérie sans les remplacer par une nouvelle doctrine et prolongea le choix de l’économie rentière par la prédation au nom d’un pseudo libéralisme.

Aujourd’hui, et au vu des dérives de l’ancien régime, le Président Tebboune revient, sans le dire, aux principes et à la méthode de Boumédiène, sans l’austérité, mais avec la rente à distribuer, cette fois-ci non pas à une clique de prédateurs, mais aux potentiels électeurs. C’est un retour à la case départ. C’est là où il y a un malaise.

Il y a donc comme une fatalité pour l’Algérie de tourner en rond. Il aurait pourtant fallu briser ce cercle et en sortir définitivement. J’estime qu’il y a une incompréhension de fond du problème algérien. Le diagnostic est mal posé et le mal progresse.

Jusqu’à présent, en tant que société, nous sommes englués dans une vision passéiste. Nous voulons la prospérité, la consommation et le confort, mais nous refusons les conditions de création de richesse.

Nous voulons vivre les effets de la modernité, mais nous réfléchissons avec des outils caducs. Nous sortons avec beaucoup de dégâts de la tradition, mais nous n’avons aucune idée où aller.

Le pouvoir sent bien qu’il est en train de perdre la main, mais ne semble pas comprendre ce qu’il se passe. Par réaction sécuritaire, il veut augmenter sa capacité de contrôle sur la société, mais de ce fait, il aggrave la situation.

Revenir à l’ère fondatrice boumediéniste peut donner l’impression de s’octroyer les moyens de dépasser la crise. En fait, on l’aggrave.

Vous savez, nos valeurs anthropologiques nous poussent au conformisme et au retour aux formules du passé lorsque se dresse devant nous une difficulté. Au lieu d’être inventif, nous cherchons les solutions chez les prédécesseurs. Ce réflexe se retrouve à tous les niveaux.

Voilà pourquoi je suis dubitatif. L’Algérie vit une crise de transition culturelle, sociologique et économique. Nous sortons d’une tradition ancestrale sans savoir où aller.

La modernité s’est introduite dans notre société par effraction, car elle est impensée. Pour beaucoup, c’est une adresse à laquelle on doit se rendre alors que dans les faits, il s’agit d’une civilisation à construire.

La modernité n’est pas spontanée. Ce n’est pas parce que nous quittons la tradition que nous basculerons dans le monde moderne. C’est ce fond du problème qui n’a pas été compris, ni diagnostiqué, alors qu’il est urgent de le prendre en charge.

Notre inadéquation au monde d’aujourd’hui ne semble pas interpeller nos dirigeants. N’ayant pas saisi la profondeur du mal, ils veulent résoudre les dysfonctionnements sociétaux avec des politiques volontaristes pour gagner la paix sociale.

Pour revenir à votre question, j’attendais du pouvoir actuel qu’il responsabilise l’Algérien et non pas qu’il renforce l’assistanat ; qu’il ouvre le champ aux énergies nouvelles et non pas qu’il revienne aux méthodes répressives ; qu’il préserve les ressources du pays et non pas qu’il perpétue et amplifie les politiques de subventions.

J’attendais la dynamisation de la Bourse d’Alger, la privatisation transparente du secteur public improductif, la levée des contraintes administratives sur les opérateurs, la réforme de la justice, de l’éducation, de la santé, de l’enseignement supérieur…

Il y a tant de chantiers qui attendent une prise en main vigoureuse. Les gouvernements successifs ont été totalement passifs. Qui est responsable de cette léthargie ?

Le temps presse, mais le système refuse de s’adapter au nouveau monde. L’Algérie s’est recroquevillée, s’isole et se nombrilise.

Nous passons en mode affectif et pensons que les bons sentiments feront l’affaire. Ces présidentielles devraient être l’occasion de se secouer et de commencer à voir les dures réalités qui sont les nôtres pour les traiter.

C’est pour cela qu’il y a l’urgence d’un changement de paradigme dans la conduite des affaires de l’État. Il faut être résolu dans ses choix. Si nous continuons dans la vision d’aujourd’hui, nous serons non seulement déclassés pour très longtemps, mais nous risquons de très graves déconvenues. Tôt ou tard, l’Algérie devra faire sa révolution mentale et le plus tôt serait le mieux.

Vous avez rencontré le président de la République à plusieurs reprises. Pensez-vous qu’il se représentera pour un deuxième mandat ?

La dernière fois que je l’ai vu, c’était en mai 2022. Je n’ai donc pas d’informations actualisées. Cependant, au vu de sa dernière prestation télévisée, il m’a semblé décidé à rester aux commandes.

D’ailleurs, selon la dépêche de l’APS, il serait déterminé à accomplir ce qui reste de son programme. C’est là où le vrai débat devrait commencer. Est-ce que l’Algérie se portera mieux avec cette politique ? À mon avis, notre pays a besoin d’un changement paradigmatique.

Il faut résolument sortir de l’esprit de la distribution de la rente. Il faut mettre le pays au travail. L’organisation politico-administrative est sclérosée, nous avons donc besoin de profondes réformes qui sont d’autant plus indiquées que le pays est relativement stable pour le moment.

Cependant, à ce sujet, il faut lever une confusion qui est dans les esprits : la stabilité n’est pas l’immobilité, mais plutôt une saine dynamique. Il n’y a pas plus stable et définitif que la mort.

La vie, elle, est action, création, évolution, renouveau. Pour être stables, nous devons être actifs. Si vous vous arrêtez de pédaler, vous tombez avec votre vélo.

Revenir aux années 1970 en pensant que les walis feront le développement, que l’administration forte annulera la corruption et que le silence des partis politiques et des médias permettront la mobilisation des Algériens en faveur du pouvoir est une illusion. Les mêmes causes produisent les mêmes effets.

Les pouvoirs exorbitants que possède l’administration sur l’économique ne pourront mener qu’aux tensions sur le marché, aux pénuries, à la spéculation, à la corruption, à la prédation, à la fuite des capitaux et à la démobilisation générale.

Ni les inspections contre les commerçants, ni les sanctions pénales contre les spéculateurs, ni l’instauration systématique des autorisations et des dérogations pour tout acte commercial ou d’investissement, ne pourront dynamiser l’économie.

Aujourd’hui, l’argent est thésaurisé et surtout transféré à l’étranger. Nos banques sont encore archaïques et la devise est achetée sur les trottoirs sous les balcons du tribunal d’Alger.

Les nouvelles générations fuient le pays et aucune élite sérieuse n’a été constituée. La médiocrité règne. Quelle Algérie allons-nous construire ainsi ?

Autant la politique du Président a pu correspondre, dans une première phase, aux besoins du pays, autant maintenant la conjoncture a changé et ne permet plus les mêmes approches.

Est-ce que le Président est en mesure d’insuffler une nouvelle politique audacieuse, forcément différente de celle qu’il a menée jusqu’ici s’il est reconduit pour un deuxième mandat ? A-t-il l’envie, l’énergie, les hommes et l’ingénierie politique pour cela ? Le doute est permis.

Sincèrement, je pense qu’il a fait de son mieux durant ce premier mandat et les Algériens lui en seront reconnaissants. Un deuxième mandat a de fortes chances de se transformer en un malheureux échec qui sera autant pénible pour lui que pour le pays. Je mesure les conséquences de ma prise de position, mais je pense qu’il aura tout à gagner à renoncer au second mandat.

Il a encore le loisir de réfléchir et d’écouter celles et ceux qui lui parlent franchement et de ne pas succomber aux flatteurs. Il pourrait mener à bien la transition en parrainant une élection présidentielle enthousiasmante.

Il inscrira son nom dans l’histoire algérienne. Il doit méditer sur les défis qui attendent le pays et interroger sa conscience sur le meilleur service qu’il peut rendre au pays.

Allez-vous vous portez candidat à cette élection ?

Être candidat ne dépend pas uniquement de sa propre ambition. Une candidature sérieuse doit répondre à des impératifs politiques qui s’imposent à soi. Pour le moment, c’est le temps de la réflexion.

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