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Privatisations : les exemples russe et allemand

Privatisations : les exemples russe et allemand

Le 9 novembre 1989 enfonçait un peu plus l’idéologie communiste vers une défaite qui sera complète deux ans plus tard, signant la fin totale de la guerre froide et la victoire du libéralisme.

À Berlin, le « mur de la honte » tombait, et l’Allemagne se dirigeait vers la réunification qui allait s’ouvrir sur l’une des plus grandes privatisations de l’histoire. Cette union charriait bon nombre de chantiers à mener, notamment dans le domaine économique.

La déchéance communiste a laissé à la République démocratique allemande (RDA) un appareil productif vieillissant. Le gouvernement dirigé par Helmuth Kohl voit alors la solution dans la privatisation massive et rapide des entreprises et des terres agricoles de la désormais ex-RDA, puisque l’État manque de capitaux pour pallier ce défaut d’investissement.

Le défi est de taille et la mission tout aussi grande. Sous la gérance de la Treuhand – société chargée de privatiser les biens de la RDA –, c’est une « ruée vers l’or » qui s’organise. Industries et banques s’empressent de racheter à tour de bras et pour une bouchée de pain, les sociétés et terres cultivables. Cette vague de privatisation déferle comme une tempête, et brise déjà les rêves de « capitalisme populaire » de la population. Avant la réunification, les entreprises, la propriété foncière et l’ensemble des activités économiques appartenaient à la République est-allemande, et donc théoriquement aux citoyens. Pourtant, le chancelier Kohl avait promis que personne ne sortirait « perdant » de ce processus neuf.

Braquage à l’allemande

Si ce train de privatisation compte quelques réussites, de nombreux scandales entachent ce projet. Corruption, vente au rabais… la promesse du chancelier n’était donc qu’illusion. Les vrais « perdants » sont les Allemands de l’Est. Ils ont payé lourdement la nouvelle politique libérale orchestrée par le gouvernement. Les salaires de l’Est ne correspondent pas à la nouvelle productivité des entreprises quand celles-ci ne sont pas fermées, entraînant un chômage conséquent. Par ailleurs, l’État subit le chantage des nouveaux propriétaires, réclamant des fonds pour investir.

Le gouvernement Kohl voulait justement se décharger de cette responsabilité. C’est raté. Il prendra finalement en charge les investissements pour mettre à jour l’appareil productif. « Aucune grande banque allemande n’a risqué le moindre mark. Tout était garanti par l’État, par l’ensemble des citoyens », avouera un directeur de la Treuhand, qui fermera ses portes en 1995, laissant à l’Allemagne de lourdes dettes. La confession d’un autre employé est, quant à elle, édifiante : « Personne n’a de scrupules à dévaliser les caisses de l’État, car c’est bien de cela qu’il s’agit. »

Du communisme à une oligarchie économique

Touchée par une large dépression économique au mitan des années 90, la Russie se tourne vers une transition libérale. Ce changement s’opère dès 1987 avec les réformes économiques et sociales de Mikhaël Gorbatchev – ce que l’on a nommé la perestroïka –, mais la Russie empruntera réellement ce virage qu’après la chute officielle de l’URSS et l’arrivée au pouvoir de Boris Eltsine. Le pays engage une vague rapide et massive de privatisation de ses entreprises publiques, soutenue par l’Occident.

« Dès 1992, des centaines de millions de dollars ont été débloqués en faveur du Russian Privatization Center sous forme de dons mais aussi de prêts de la Banque Mondiale, de la Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement (BERD), de l’agence américaine USAID, de divers gouvernements européens et du gouvernement japonais », peut-on lire dans un document publié par le chercheur et économiste Cédric Durand.

Comme en Allemagne de l’Est, l’idée d’un capitalisme populaire séduit les Russes. Une façon que le gouvernement de montrer sa volonté de ne pas flouer le peuple. Mais l’enfer est pavé de bonnes intentions, dit-on. « Des coupons sont distribués à la population qui peut les utiliser pour acheter les actions des entreprises privatisées ou les revendre. Le résultat est impressionnant : à la mi-1994, un peu plus de 60 % du PIB provient du secteur privé. En revanche, les réformateurs ne bénéficient pratiquement plus d’aucun soutien dans la population. Et pour cause ! La plupart n’ont retiré aucun bénéfice des privatisations. Leurs actions ont été bloquées par les managers des firmes, rachetées pour une bouchée de pain alors que les salaires n’étaient plus versés ou bien ne valent plus rien, car les entreprises ont été vidées de leurs actifs », écrit l’économiste.

D’un point de vue économique, l’ombre du communisme ne pèse plus grand-chose aujourd’hui en Russie. Depuis cette vaste entreprise de libéralisation, le capitalisme y a pris racine. Mais comme ce fut le cas en Allemagne, ces réformes libérales se sont faites au détriment de la population russe, qui a vu le pouvoir économique être confisqué par une poignée d’oligarques. Une réalité qui s’inscrit à rebours de ce qu’arguait Boris Eltsine, il y a maintenant vingt-sept ans : « Il nous faut des millions de propriétaires, pas un petit groupe de millionnaires. »

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