Économie

Production de pois chiches et lentilles : l’Algérie manque de stratégie

Pour répondre à la demande en légumes secs sur son marché, l’Algérie cherche à produire plus de lentilles et de pois chiches. Les terres ne manquent pas, mais il y a peu de candidats pour se lancer dans la culture des légumineuses en raison des contraintes liées à cette filière.

Aussi, l’Office algérien des céréales (OAIC) a relevé le prix d’achat pour tenter de séduire plus d’agriculteurs, et le gouvernement a décidé de confier le monopole de l’importation des légumes secs à cet organisme public.

| Lire aussi : Préférer le houmous aux frites-omelettes par patriotisme économique ?

C’est en avril 2022 que suite à une décision du Conseil des ministres que l’OAIC a relevé le prix d’achat des légumes secs auprès des agriculteurs.

Les prix du quintal de lentilles et de pois chiches ont été relevés respectivement de 3.000 DA et 2.000 DA atteignant aujourd’hui 10.000 DA. En plus, une prime de soutien de 4.000 est accordée aux producteurs. Mais le relèvement des prix ne suffit pas face aux contraintes rencontrées par les agriculteurs.

Contacté par TSA, un représentant de la société Axium de Constantine confie que cette décision est appréciée des producteurs et a « donné un véritable coup de fouet » à la culture des légumes secs en Algérie.

Lentilles et pois chiches : l’Algérie encourage la production

Depuis 2006, à Constantine, Axium développe une politique de contractualisation avec les producteurs de lentilles. Démarrée sur 73 ha, les surfaces atteignaient 9.300 ha en 2010.

Cette entreprise privée assure l’approvisionnement des agriculteurs sous contrat en produits phytosanitaires ainsi qu’en semences et réalise le suivi technique des producteurs. Elle assure également l’achat de la production.

Pour Axium, le point positif est l’apparition d’une catégorie d’agriculteurs qui maîtrisent aujourd’hui cette culture. C’est le cas dans les wilayas de Constantine, Mila et Sétif mais aussi de Souk-Ahras.

Cette wilaya, partie de rien, emblave aujourd’hui plus de 3.000 ha de lentilles. Les producteurs recherchent des variétés à port érigé, plus faciles à récolter, mais ils restent handicapés par le manque d’herbicides spécifiques.

La société, qui a importé déjà des variétés de blé d’origine italienne, a demandé à des organismes canadiens des variétés à haut rendement, mais sans succès.

Lentille, une culture capricieuse

La culture des lentilles a ceci de particulier : la plante est handicapée par sa petite taille et a une maturation hétérogène ce qui provoque des pertes à la récolte par égrenage. Une partie du champ peut être mûre alors que subsistent des zones encore vertes.

Traditionnellement, dans le Sersou (Tiaret), les lentilles étaient cultivées avec un large espacement entre les rangs, ce qui permettait le passage d’une bineuse.

Depuis, elles sont semées avec le même espacement que le blé ce qui exige un désherbage chimique et permet de mécaniser la récolte. Mais, nombreuses sont les exploitations qui ne maîtrisent pas l’emploi des herbicides.

À Draâ El Kaïd (Béjaïa), Salah Mouatem découvre cette culture. Il a semé quelques hectares de lentilles. Debout dans son champ, il confie à Ennahar TV sa satisfaction. Les mauvaises herbes n’ont pas posé de problème particulier même si la maturation de la parcelle est hétérogène.

Concurrence du Canada

Chez Axium, à la réception de la récolte, un examen des lots de lentille est immédiatement analysé par un technicien en présence de l’agriculteur.

En fonction du pourcentage de déchets constaté, une réfaction est appliquée et le prix en est diminué d’autant. Quant à la prime de 4 000 DA, après réception de la récolte, Axium adresse aux services agricoles de la wilaya concernée un bordereau de réception attestant la livraison. Ce qui permet ensuite à la banque de verser les fonds à l’agriculteur.

La démarche d’Axium est parfois contrecarrée par le marché informel. Dès qu’apparaissent des tensions sur le marché, des intermédiaires proposent aux agriculteurs de leur acheter sur pied leur récolte.

Ils proposent systématiquement des prix supérieurs à ceux proposés par Axium. Un petit jeu dangereux également vécu par les laiteries et qui peut fragiliser les entreprises de collecte.

Plus redoutable est la concurrence des agriculteurs canadiens. « Les importations de lentilles du Canada nous causent beaucoup de tort » déclare-t-on chez Axium.

Depuis peu, Axium a lancé une démarche de contractualisation concernant la culture du pois chiche.

Le pois chiche de Témouchent, une tradition

En matière de culture de pois chiche, avec 7.000 hectares cultivés, la wilaya d’Aïn Témouchent possède une solide tradition. Mais toutes les années ne se ressemblent pas.

En 2015, des agriculteurs s’étaient plaints de ne pas pouvoir écouler leur production. La CCLS refusant leur produit au motif que le pois chiche est de petit calibre.

Selon Le Courrier d’Algérie qui avait enquêté auprès d’un producteur, « les consommateurs refusent de s’approvisionner et préfèrent le produit importé de gros calibre qui coûte deux fois plus que celui produit localement ». Le seul débouché restant alors leur utilisation sous forme de farine afin de produire la garantita locale.

Des pois chiches terrassés par les maladies

L’été 2022 a été l’occasion de nouveaux déboires. À Aïn Témouchent, la récolte bat son plein. Houari Belkirane suit attentivement les opérations, il est responsable d’un essai variétal. Il confie à la chaîne Filaha : « Les conditions climatiques de cette année ont permis de tester les variétés sensibles à la sécheresse et aux maladies ».

L’ingénieur Massaoudi El Hadj retrace les conditions difficiles de l’année : « Nous n’avons pas reçu les semences au moment voulu. Et les conditions climatiques ont été difficiles. Ce qui a conduit à des rendements de 5 qx/ha. Les maladies au printemps ont été très présentes. Certaines parcelles sinistrées n’ont même pas pu être récoltées ».

Présent dans le champ, le président de la Chambre locale d’agriculture, Ahmed Belemou, confirme les traditions de production de pois chiche de la région : « Les années précédentes, nous atteignions des rendements de 14 à 15 qx/ha ».

Trop de semences non traitées

Découragé, un agriculteur dit ne plus comprendre la situation : « Les maladies étaient présentes en force. Avant, on ne rencontrait pas une telle intensité, les pois chiches n’étaient pas atteints par les maladies. Depuis quelques années, qu’on traite ou pas, c’est la même chose. Ils sont attaqués ».

L’explication réside dans l’apparition au niveau de l’ADN du parasite de mutations qui lui permettent de vaincre la résistance des variétés.

Bon connaisseur de la question, Houari Belkirane analyse la situation : « Certes le printemps a été propice à l’anthracnose et à la fusariose. Mais, contre cette dernière maladie, le traitement des semences avant semis reste efficace. Mais les agriculteurs n’ont pas l’habitude de traiter leurs semences. Ils pensent que ces traitements ne concernent que les semences de blé ».

Des semis d’hiver plus productifs

Comme pour les lentilles, la culture du pois chiche enrichit le sol en azote. Ce qui bénéficie l’année suivante au blé. Des essais montrent aussi qu’il est possible de doubler, voire de tripler le rendement simplement en décalant vers décembre les traditionnels semis de printemps.

Mais les semis d’hiver coïncident avec le développement des mauvaises herbes qui, dans certains cas, peuvent étouffer la culture et entraîner 100 % de pertes.

Les pois chiches sont victimes de leur petite taille, aussi, en culture traditionnelle, c’est-à-dire sans désherbage chimique, le semis de printemps avec une perte de rendement de 30 %, est considéré comme un moindre mal.

Relèvement des prix et nouvelles variétés

Entre mauvaises herbes, maladies et égrenage, la culture des légumes secs en Algérie n’est pas de tout repos. Elle exige de la part des producteurs un réel savoir-faire.

Après le relèvement des prix accordés aux producteurs, l’espoir se porte vers les variétés à haut rendement sélectionnées par l’Institut technique des grandes cultures (ITGC).

Les plus lus