Le réchauffement annoncé de la relation franco-algérienne est d’ores et déjà perçu comme l’échec d’une méthode, celle du « rapport de force » prôné par le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, et le triomphe d’une autre, celle de la diplomatie voulue par le président Emmanuel Macron et son chef de la diplomatie Jean-Noël Barrot.
Le ministre des Affaires étrangères français est à Alger ce dimanche 6 avril. Le fait que c’est lui vienne discuter de questions relevant en principe du département de l’Intérieur, comme l’exécution des OQTF et les laissez-passer consulaires, est un signe qui ne trompe pas.
Algérie – France : Bruno Retailleau désavoué sur la méthode
Pour avoir causé beaucoup de tort à la relation bilatérale par son ton comminatoire et sa démarche belliciste, Emmanuel Macron a décidé, comme le réclamaient Alger et les voix censées à Paris, de retirer le dossier Algérie à Bruno Retailleau. Le dossier est trop sensible pour le laisser trop longtemps livré aux calculs politiciens.
Le ministre de l’Intérieur continue à soutenir qu’il est « toujours dans le dossier ». Reconnaître qu’il en est exclu serait un aveu d’échec qu’il ne peut se permettre en pleine campagne pour le congrès du parti Les Républicains en juin prochain.
Bruno Retailleau anticipe aussi une éventuelle avancée majeure sur les questions litigieuses entre les deux capitales et en réclame d’ores et déjà sa part des dividendes.
Comme en témoigne cette déclaration faite à France 2 : « Dans une négociation, il faut à la fois de la fermeté et le dialogue, la diplomatie et la fermeté du ministère de l’Intérieur. (…) Si je n’avais pas été au gouvernement, je pense que cette ligne de fermeté peut-être n’aurait pas été suivie ».
Mais l’avis n’est pas très largement partagé. Bruno Retailleau avait menacé de démissionner si le gouvernement « cède face à l’Algérie » et il se trouve que, dans son propre camp politique, il y en a qui estiment que la France a fait plus que céder.
Laurent Wauquiez, chef de file des députés de droite à l’Assemblée et concurrent direct de Retailleau dans la course à la présidence des Républicains, a évoqué une « capitulation » et accusé son rival d’avoir « amusé » la galerie « pendant quelques semaines » en « faisant croire » qu’il « allait faire un rapport de force avec l’Algérie ».
Bruno Retailleau et l’Algérie : une démarche « irrationnelle, pour ne pas dire stupide »
Wauquiez est dans son rôle de mettre en exergue les faiblesses et les échecs de son concurrent, mais il n’est pas le seul à constater l’échec de la démarche de Bruno Retailleau.
Le règlement qui s’annonce de la crise franco-algérienne par la diplomatie est même un « échec cuisant » pour le ministre de l’intérieur et sa ligne « irrationnelle », estime auprès du Huffington post le politologue Bertrand Badie.
« L’interdépendance entre l’Algérie et la France depuis 1962 est telle, que la stratégie prônée par monsieur Retailleau avec son rapport de force était irrationnelle pour ne pas dire stupide », assène-t-il, se félicitant que « la sagesse » a fini par l’emporter sur « les rodomontades ».
« Après des mois de crise diplomatique, la méthode du rapport de force en question », titre pour sa part le journal Le Monde un article consacré à la visite de Jean-Noël Barrot à Alger ce dimanche.
Le constat d’échec de la méthode Retailleau a été précédé, avant même ce début de dégel, par des désaveux publics successifs, émanant du président Macron et de son chef de la diplomatie.
Fin de la crise Algérie-France, Bruno Retailleau, le grand perdant
« C’est au Quai d’Orsay, sous l’autorité du président de la République, que se forge la politique étrangère de la France », a signifié Jean-Noël Barrot au Parlement et dans les médias en janvier dernier, alors que son collègue de l’Intérieur soufflait sur les braises de la crise en poussant à des mesures de rétorsion contre l’Algérie qui, selon sa rhétorique, cherchait à « humilier la France » en refusant l’expulsion d’un influenceur algérien.
« L’accord de 1968, c’est le président de la République », a signifié pour sa part le président Macron début mars, en réponse à la menace brandie par le ministre de l’Intérieur de révoquer cet accord qui régule le séjour des ressortissants algériens en France.
Il était du reste évident que la sortie de crise devait se faire sans Bruno Retailleau et sa méthode dès lors que l’autre partie, l’Algérie, a posé sa mise à l’écart du dossier comme un préalable.
« Tout ce qui est Retailleau est douteux compte tenu de ses déclarations hostiles et incendiaires envers notre pays », avait fait savoir le président Tebboune début février dans un entretien au journal L’Opinion.