Économie

Rencontre avec Abdelhak Boublenza, 2e exportateur mondial de la poudre de caroube

La Sarl Boublenza a obtenu jeudi dernier le trophée du meilleur exportateur algérien de l’année 2017. Basée à Tlemcen, cette entreprise est spécialisée dans la transformation de la caroube dont elle est l’un des principaux exportateurs dans le monde. Dans cet entretien, son gérant Abdelhak Boublenza revient sur son parcours, les difficultés rencontrées par les exportateurs et fait des propositions pour développer les exportations hors hydrocarbures.

Tout d’abord, pourriez-vous nous présenter votre entreprise ?

Natif de la wilaya de Tlemcen en 1942, j’ai suivi un cursus universitaire d’ingénieur d’État en hydraulique. Fort de mes expériences aussi bien professionnelles que familiales (issu d’une famille d’agriculteurs et exportateurs), mon centre d’intérêt s’est orienté vers l’agroalimentaire à partir de la fin des années 1980 .

Le démarrage de la réalisation du projet (transformation de la caroube) date de 1994.

À partir de 2007, sur fonds propres, l’entreprise a réalisé l’usine de production de poudre de caroube à Zenata, wilaya de Tlemcen, destinée exclusivement à l’exportation. La Société est en continuel investissement afin de produire les quantités demandées par ses clients à la meilleure qualité, au meilleur prix et aux meilleurs services.

Je suis entouré de mes quatre enfants pour la gestion de la société : Karim diplômé en maintenance industrielle pour superviser la production, Chakib, diplômé en sciences commerciales, pour encadrer l’administration, les ventes et les finances, Ikram, docteur d’État en biologie pour gérer le Centre de recherche et d’innovation et du laboratoire qualité et enfin Ibtissem, ingénieur agronome pour développer la pépinière.

Depuis sa création, la Sarl Boublenza réalise 100% de son chiffre d’affaires à l’export en exportant vers les 5 continents, vers une trentaine de pays.

Elle est actuellement premier exportateur national de produits forestiers transformés, quatrième exportateur dans l’agroalimentaire en Algérie, dépassant ainsi le premier exportateur de dattes, et surtout deuxième exportateur mondial de poudre de caroube.

Qu’en est-il de la filière de la transformation de la caroube ?

C’est une activité très rentable mais aussi très coûteuse. Nous y réfléchissons dans le cadre de notre plan d’investissements futurs.

Qu’est ce que ça vous fait de voir votre entreprise décrocher le ‘’Trophée Export 2017’’ décerné à la meilleure entreprise algérienne exportatrice en dehors des hydrocarbures ?

Ce trophée nous donne encore plus de courage pour le chemin qu’il nous reste à parcourir pour être le leader mondial dans le domaine de la caroube. Aussi, il va nous pousser à nous diversifier pour trouver de nouvelles niches dans la transformation et valorisation de produits agricoles.

La tendance mondiale est actuellement orientée vers les produits naturels et nous avons choisi de nous y investir.

Quelle est la valeur (montant) de vos exportations en 2017 et quelle est sa part dans votre chiffre d’affaires ?

Par pudeur, nous nous interdisons de parler chiffres mais nous pouvons vous dire que depuis la création de notre société, nous réalisons 100% de notre chiffre d’affaires à l’exportation.

Pensez-vous que votre entreprise peut faire mieux, c’est-à-dire exporter davantage, dans les prochaines années ?

Si les facteurs essentiels suivants sont réunis : plantation de caroubiers à grande échelle en Algérie (dans le cadre de la politique nationale de développement forestier) pour laquelle nous tenons à remercier le ministre de l’Agriculture et le DG des Forêts pour leur écoute et l’autorisation d’ouvrir des bureaux de représentations au niveau international, je pense que nous pourrons arriver à notre but d’être les leaders mondiaux dans ce domaine.

Aussi, le centre de recherche et d’innovation que nous avons créé l’année dernière va nous permettre de développer de nouveaux produits issus de notre riche terroir. Nous lancerons d’ici l’année prochaine trois nouveaux produits qui ont fort intéressé les spécialistes de l’agroalimentaire lors de nos participations au niveau de divers salons mondiaux.

L’acte d’exporter est-il facile ou difficile?

Il est assez compliqué de répondre à cette question car je dirai que l’acte d’exporter n’est pas encore bien ancré dans nos mœurs.

Nous avons beaucoup de facilités avec les douanes algériennes qui se sont vraiment mises aux normes internationales et nous facilitent vraiment la chose en venant contrôler et sceller nos containers au niveau de notre usine.

Aussi, notre banque, la Banque extérieure d’Algérie et la Cagex nous accompagnent et sécurisent nos opérations d’exportation.

L’Anexal, la Caci, Algex et la Safex nous permettent d’avoir une veille commerciale et de participer à des salons internationaux fort intéressants.

En plus, il y a l’aide du ministère du Commerce, qui subventionne une partie de notre logistique à l’export et nous rembourse une partie de nos frais de participation aux salons internationaux à travers le FSPE qui est géré par une équipe vraiment dynamique. Et avec la nomination du nouveau ministre, nous sommes convaincus que les choses iront très vite car il connait très bien le département.

Quels genres de problèmes rencontrez-vous dans ce domaine ?

Nous perdons sur le plan logistique tout ce que nous gagnons sur la main d’œuvre et la consommation énergétique. Nous payons par rapport à nos concurrents européens pratiquement le double en fret maritime.

Enfin, tant que nous ne pourrons pas ouvrir, sur simple déclaration, à la Banque d’Algérie nos bureaux de représentation à l’étranger qui nous permettront de nous rapprocher de nos clients et de distribuer des petites quantités (actuellement nous sommes obligés de vendre par container alors que nous pourrons augmenter nos ventes d’au moins 10% si nous pouvions vendre par palette).

Notre principal concurrent direct a une vingtaine de bureaux à travers le monde. Nous avons lancé un appel dans ce sens au premier ministre lors de la remise du trophée et nous sommes persuadés qu’il nous a prêté une oreille attentive.

La structure des exportations algériennes, constituées à 97% des hydrocarbures, n’a pas changé malgré les appels répétés et autres encouragements des pouvoirs publics envers les entreprises à aller à la conquête des marchés extérieurs. Où ça bloque ?

Je vais reprendre,ce que j’ai déjà dit plus tôt : l’acte d’exporter n’est pas encore rentré dans nos mœurs pour deux raisons essentielles. Le marché local n’est pas très exigeant concernant les normes de qualité internationales et que l’opérateur a un peu peur de la législation en vigueur. Je dirais que l’opérateur a tort car l’acte d’exporter permet de tirer l’entreprise vers le haut, cela nous oblige de nous mettre à niveau et surtout d’innover pour conquérir des marchés.

Le ministère de l’Industrie encourage de telles initiatives à travers des aides, et il est même allé plus loin en fédérant les sociétés productrices à travers des consortiums d’exportation ; nous en sommes les témoins par la création de Algerian export consortium qui nous a permis d’aller en groupe vers l’Éthiopie, le Sénégal et le Soudan. Nous avons dans ce cadre plusieurs projets et appelons les sociétés intéressées à nous rejoindre.

Que proposez-vous pour faciliter les exportations ?

Au risque de me répéter, je proposerai, entre autres :

– Dépénalisation de l’acte d’exporter

– Autorisation de financement des bureaux de liaison à travers nos comptes devise exportateurs

– Régler le problème de la logistique à travers nos ports et aéroports

– Dans le cadre du programme officiel de participation aux salons internationaux, favoriser la participation aux salons professionnels

– Accélérer la mise en place de processus de libre-échange avec les pays africains

– Recenser l’offre algérienne et la proposer officiellement à nos partenaires étrangers

Ouyahia a suggéré aux opérateurs algériens de s’appuyer sur la diaspora et les pieds noirs pour exporter. Est-ce que c’est nécessaire ? Est-ce que vous le faites déjà ?

La présence, pour la première fois depuis 15 ans, du Premier ministre lors de la remise du trophée export est un signal fort de l’engagement de l’Algérie en faveur des exportations hors-hydrocarbures. Il a montré son engagement lors d’un discours qui nous a captivés. Notre diaspora algérienne occupe parfois des postes très intéressants au sein des sociétés mondiales et peut influer très positivement sur la décision d’achat.

Quant aux anciens étudiants africains d’Algérie, ils occupent des postes très importants au sommet de leurs États et ils peuvent nous faciliter la tâche pour l’approche de leurs pays.

En ce qui nous concerne, nous avons une petite expérience qui nous ramène beaucoup du point de vue technologique suite à l’approche d’un scientifique algérien expatrié de très haut niveau qui nous assiste à développer de nouveaux produits, à qui nous tenons à rendre hommage.

Qu’en est-il de la pénalisation de l’acte d’exporter, notamment le défaut de rapatriement des devises issues des exportations ? Est-ce que c’est un frein ?

Nous avons toujours une frilosité, et je pense que c’est une raison qui freine un peu les producteurs à exporter, vis-à-vis du risque de non-paiement lors des exportations.

En effet, car en plus de ne pas être payés sur notre exportation, nous risquons le pénal en cas de non-rapatriement (des devises). Un client peut être régulier pendant des années (avec un CA cumulé de centaines de milliers de dollars) mais il peut avoir des déboires (par exemple un accident ou autres) et s’il ne paie pas une facture de 5000 dollars, et là nous risquons la prison. À cet effet, nous proposons la dépénalisation de l’acte d’exporter.

Quel est le rôle que doivent jouer les représentations diplomatiques algériennes à l’étranger pour aider les exportateurs ?

Nous ne pouvons pas jeter la pierre à nos représentations diplomatiques qui ne peuvent rien faire si nous ne leur demandons rien. Nous sentons leur volonté à apporter un plus pour nos exportations. Elles pourront par exemple nous aider à enregistrer nos produits dans certains pays, nous assister dans nos déplacements d’affaires et surtout mettre en place des outils de veille et réunir des bases de données. Ce sont normalement nos premiers commerciaux.

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