Elle semble bien finie l’époque encore toute récente où les responsables du secteur de l’énergie tenaient un discours rassurant sur la situation et les performances de notre pays en matière de production d’hydrocarbures.
Depuis quelques semaines, le ton a complètement changé. Les officiels algériens reconnaissent désormais ce que beaucoup d’experts et d’observateurs disaient depuis des années. La production et les réserves sont en baisse depuis plus de 10 ans. Les exportations reculent en valeur comme en volume.
La consommation interne explose et c’est le ministre de l’Énergie, Mohamed Arkab lui-même qui l’a affirmé devant les députés : « A l’horizon 2025-2030, un déficit structurel entre l’offre et la demande est en vue sur le marché national qui impactera négativement les engagements du pays envers les clients étrangers ».
En réalité, nul besoin d’attendre 2025 et les informations qui renseignent sur un rétrécissement sensible et régulier de la rente pétrolière se multiplient presque au quotidien.
Pas plus tard que dimanche, les statistiques du commerce extérieur communiquées par les Douanes algériennes indiquaient que, pour les 9 premiers mois de l’année, les exportations d’hydrocarbures ont atteint 25, 3 milliards de dollars et sont en baisse de plus de 12,5 % sur un an. Pour l’ensemble de l’année 2019, elles ne devraient pas dépasser 34 milliards de dollars. On est bien loin des 70 à 80 milliards du début de la décennie.
Ce ne sont pas seulement les exportations qui diminuent mais aussi et surtout la fiscalité pétrolière qui est un instrument de mesure plus précis du niveau de la rente pétrolière. Pour les 9 premiers mois de l’année 2019, elle a atteint précisément 2016 milliards de dinars ; ce qui devrait la situer un peu au-dessous de 2.700 milliards de dinars (l’équivalent d’environ 22 milliards de dollars) pour l’ensemble de l’année en cours. Dans la Loi de finance 2020, la fiscalité pétrolière ne représente plus que 2.200 milliards de dinars, soit à peine plus de 35% des recettes du budget de l’Etat.
Il n’y a pas que les prix du baril qui baissent
Devant les députés, Mohamed Arkab a détaillé les raisons de cette nouvelle baisse de nos revenus pétroliers en indiquant que le prix moyen de pétrole algérien avait atteint, fin septembre 2019, les 65 dollars pour un baril contre 72 dollars durant la même période en 2018.
Mais la chute des prix du baril est loin d’être la seule cause de la réduction de nos revenus pétroliers. C’est désormais aussi la baisse des quantités produites et exportées par Sonatrach et ses partenaires qui contribue au rétrécissement de la rente pétrolière.
C’est ainsi que, toujours selon le ministre de l’Energie, la production nationale en matière d’hydrocarbures a atteint 140 millions de TEP à fin septembre 2019 contre 143 million TEP durant la même période en 2018 en enregistrant un recul de 2%.
Mais ce sont surtout les quantités exportées qui enregistrent la baisse la plus sensible à 67 millions TEP fin septembre 2019 contre 74 millions TEP durant la même période en 2018, soit une chute de 9%.
La consommation interne bat des records
Pour le ministre de l’Energie, la raison essentielle de la baisse de nos exportations en volume est à rechercher dans l’augmentation de la consommation interne qui a atteint le niveau très soutenu de 8% depuis le début de l’année. La consommation nationale a augmenté à 45 millions TEP à fin septembre 2019 contre 42 millions TEP durant la même période en 2018, soit une augmentation de 8%. En année pleine, ce niveau de consommation devrait atteindre pour la première fois 60 millions de TEP en 2019.
Il n’y a pas beaucoup de doutes sur les causes d’une telle boulimie de consommation de produits pétroliers et gaziers. Les prix des carburants et de l’électricité sont en Algérie parmi les plus bas du monde ainsi que le révèlent régulièrement les enquêtes internationales. Les augmentations appliquées en 2016 pour l’essence et les tarifs de l’électricité, puis de nouveau en 2017 pour les seuls carburants, avaient permis de réduire sensiblement le rythme de croissance de la consommation. En l’absence de nouveaux ajustements des prix, l’augmentation a repris de plus belle depuis 2 ans.
Réduction des parts de marché de l’Algérie à l’export
Cette réduction sensible des exportations algériennes d’hydrocarbures en volume a également trouvé des échos et des explications dans la presse internationale.
L’agence d’information financière Bloomberg vient d’annoncer que « les clients européens de Sonatrach ont considérablement réduit leur demande » en gaz conventionnel provenant d’Algérie, ce qui a entraîné « une chute de 25% du niveau des ventes attendu cette année ». L’agence cite les déclarations de Ahmed El-Hachemi Mazighi, vice-président du marketing de Sonatrach.
Selon Bloomberg, « Sonatrach a transformé une plus grande partie de son gaz en GNL, afin de compenser ces pertes de parts de marché. La société vend ses approvisionnements sur le marché au comptant pour une livraison immédiate. En 2019, pour la première fois les ventes au comptant représentent 30% des exportations de GNL de Sonatrach dont plus de la moitié des volumes de GNL ont été vendus en Asie ».
Cette annonce était la seconde mauvaise nouvelle relayée par la presse internationale pour le secteur des hydrocarbures en moins de cinq jours. Mercredi dernier, c’était le média spécialisé Kallanish Energy qui expliquait cette fois que c’est également le pétrole algérien qui est confronté à la concurrence des exportations américaines de schiste.
« La production américaine de pétrole de schiste inonde l’Europe, le plus gros marché d’exportation de l’Algérie, et L’Algérie doit chercher de nouveaux marchés pour son pétrole brut et ses condensats », ajoutait la même source.
Sonatrach peut-elle enrayer le déclin ?
Baisse des prix du baril et des revenus de Sonatrach et de l’Etat algérien, réduction de la production et des exportations en volume, augmentation de la consommation interne et perte de parts de marché : le déclin du secteur algérien des hydrocarbures est-il irréversible ?
Le gouvernement semble placer beaucoup d’espoir dans la nouvelle loi sur les hydrocarbures qui vient d’être adoptée par les députés.
Elle est censée avoir pour effet de renforcer l’attractivité du domaine minier algérien. Ses principales caractéristiques sont, si on en juge par les différents avis d’experts exprimés au cours des dernières semaines, une baisse du niveau général du prélèvement fiscal, la modulation des formules de partenariat et de la fiscalité en fonction de la nature plus ou moins complexe des périmètres attribués et la possibilité donnée à Sonatrach de faire intervenir des partenaires éventuels sur des gisements déjà découverts ou en cours d’exploitation.
Simultanément, Sonatrach va maintenir un effort d’investissement de plus en plus lourd au regard de la réduction de ses revenus. Mohamed Arkab fait état d’une enveloppe de 50 milliards de dollars, soit 10 milliards de dollars par an, « allouée principalement aux activités de recherche et d’exploration, pour la période 2020-2024 ».
Des réactions mitigées
Ces évolutions récentes provoquent des réactions mitigées. Pour un expert comme Mustapha Mékidèche, il y a bien « urgence » du fait que « les choses traînent depuis des années tandis que la production nationale a diminué de 17% en 10 ans entre 2007 et 2017. La déplétion des gisements et leur vieillissement rendent problématique le maintien des niveaux de production atteints dans les hydrocarbures conventionnels ». Il pointe une « situation très préoccupante, accentuée par une consommation locale explosive et un contexte énergétique mondial incertain mais qui peut être transformé en opportunité avec des stratégies adaptées ».
Un ancien cadre dirigeant de Sonatrach, comme Tewfik Hasni, dresse un constat beaucoup plus alarmant. Il estime que l’« adoption d’une loi dans l’urgence ne suffira pas pour améliorer la situation du secteur des hydrocarbures en Algérie. Les perspectives pour le secteur sont très sombres aussi bien pour le pétrole que pour le gaz. La disparition de la moitié de la production pétrolière saoudienne pendant plusieurs semaines a à peine fait frémir les prix du baril. L’AIE prévoit un baril à moins de 60 dollars les prochaines années et le gaz naturel se négocie à 2 dollars le million de btu avec un GNL à moins de 4 dollars alors que le coût de revient algérien est de 6 à 8 dollars ». Pour ce spécialiste, « il faut absolument réduire nos coûts de production sinon nous allons continuer à perdre des parts de marché à l’exportation ».
Les énergies renouvelables sacrifiées ?
Le même expert pointe l’absence de prise en considération sérieuse de notre potentiel solaire . « Pas de volonté politique véritable », estime Tewfik Hasni. Il en veut pour preuve les derniers objectifs formulés par le ministre de l’Energie qui évoque désormais un « programme qui vise l’installation de 6.000 mégawatt d’énergies renouvelables sur le moyen terme (2027), et ce en recourant à l’industrie locale ».
« De quel droit est-ce qu’un ministre remet en cause un programme érigé en priorité nationale et qui fixait un objectif de 22.000 MW en 2030 ? », interroge Tewfik Hasni qui estime que le « gouvernement algérien se trompe d’époque à un moment où des pays et des opérateurs de plus en plus nombreux se tournent vers les énergies renouvelables ».
De façon plus nuancée, Mustapha Mékidèche estime qu’en matière d’énergies renouvelables, « les retards sont importants. Le programme lancé en 2011 par les pouvoirs publics n’a toujours pas été mis en œuvre de façon significative, en dépit de la volonté politique affichée et réitérée régulièrement ».
Des solutions, explique-t-il, « peuvent être trouvées en limitant par exemple les gaspillages du modèle de consommation et en transférant les économies à un fonds des énergies renouvelables, d’autant que les coûts dans l’électro-solaire, à technologie photovoltaïque, ont considérablement baissé ».