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REPORTAGE – Les vieux ksours de la Saoura tombent en ruine

REPORTAGE – Les vieux ksours de la Saoura tombent en ruine

Le vieux ksar de Taghit, situé à 90 km au sud-est de Béchar, date déjà de huit siècles. Perché sur une colline surplombant la palmeraie et oued Zouzfana et faisant face aux dunes, la vieille citadelle, construite sur un plateau rocheux, a résisté tant bien que mal aux épreuves du temps, aux changements climatiques, aux vents de sable et aux comportements humains.

Mais, sa résistance semble avoir des limites. Vidé de sa population au début des années 2000, le vieux ksar, construit en toub, en pierres et en tronc de palmiers, dépérit à vue d’oeil. « Un ksar qui est abandonné et déserté par la population, nécessairement, il est voué à la ruine », prévient l’architecte Yasmine Terki, directrice du Capterre, Centre algérien du patrimoine culturel bâti en terre de Timimoun (Adrar).

Des habitations abandonnées au vieux ksar de Taghit (© TSA)


« Les populations ne veulent plus vivre dans des habitats construits avec des matériaux locaux. L’image de ces matériaux a été totalement ternie dans leur esprit », regrette-t-elle.

Les 150 maisons sont aujourd’hui abandonnées ou presque. Zouaoui Bouamama a ouvert, depuis plus de quatorze ans, une maison d’hôte composée de cinq grandes chambres pour y accueillir les touristes en plein cœur du vieux ksar.

Au « Dortoir Cheikh Boufeldja », situé dans une ruelle étroite, Zouaoui peut accueillir une vingtaine de visiteurs et leur assurer les repas surtout durant la haute saison, en hiver et au printemps. Une manière de souffler un peu de vie dans cet espace millénaire et fier.

Des habitations chutent au vieux ksar de Taghit (© TSA)


« J’organise parfois des circuits pour les touristes. Je souhaite que les autorités m’aident pour construire les conduites des eaux usées et me connecter au réseau de distribution d’eau potable. Nous voulons que le vieux ksar ne tombe pas. Je fais ce que je peux pour sauvegarder les lieux. Il y a des enfants de Taghit qui tentent ce qu’ils peuvent pour éviter la disparition du ksar, notre patrimoine à tous », souhaite Zouaoui Bouamama.

« La maison en terre a besoin d’une âme »

Une dizaine de maisons d’hôte existent à l’intérieur du vieux ksar .Tayeb Mebarki, qui est guide touristique, gère, comme il peut, une maison, dotée d’une terrasse donnant sur la palmeraie. « Je veux en faire un musée pour exposer des objets d’artisanat et des anciens instruments utilisés dans l’agriculture dans la Saoura. C’est là où je suis né et vécu. Je veux perpétuer la vie au vieux ksar d’une manière ou d’une autre », confie-t-il.

Une vue sur le minaret de l’ancienne mosquée (© TSA)


Il rappelle que l’explorateur Hassan El Wazzane (Léon l’africain) a évoqué dans ses écrits sur l’Afrique les quinze ksours de Taghit (notamment dans « Cosmographia de Affrica », publiée à Venise en 1530 à la demande du Pape Léon X). « La plupart de ces ksour ont aujourd’hui disparu. Jadis, on ramenait la terre de oued Zouzfana, le bois de la palmeraie et les pierres des falaises environnantes pour construire sa maison. Tous les matériaux étaient d’ici. Aujourd’hui, on construit avec du béton et des briques », martèle Tayeb Mebarki.

À l’intérieur du vieux ksar, on peut passer par des ruelles comme « Derb Ennaouder » ou « Derb Ahfir » ou par des placettes à l’image de « Meguizera » ou de « Djemaa ». Des plaques existent toujours pour « orienter » les visiteurs. L’ancienne mosquée a été plus ou moins réhabilitée mais semble livrée à la tristesse des jours qui passent.

Le minaret de l’ancienne mosquée du vieux ksar de Taghit (© TSA)


« Ce que nous avons vu ici est qu’ils n’ont restauré que l’ancienne mosquée et l’entrée du ksar. On nous a dit que la restauration se fait par étapes. Mais les gens ont engagé aussi des travaux de réhabilitation, selon leurs moyens financiers », confie Jaber, qui gère un espace pour y servir du thé, des cacahuètes, sous les chants d’Oum Keltoum ou les airs foundou de Alla. Bachir Benaich s’occupe, lui aussi, d’un petit salon traditionnel de thé. Il offre parfois, à la demande, des plats locaux comme le merdoum ou le mkhel’aa. Il maintient le lieu ouvert pour que le vieux ksar ne sombre pas dans l’oublie et le silence mortifère.

La place Djemaa au vieux ksar de Taghit (© TSA)


Abdelali Allali, rencontré chez Bachir, est guide touristique. Il rejoint Zouaoui Bouamama dans l’idée d’ouvrir davantage de maisons d’hôtes à l’intérieur du ksar. « C’est une manière d’encourager la préservation du patrimoine et de contribuer à la promotion du tourisme. Vous savez le mode de vie des gens a changé. Pour rester intacte, la maison en terre a besoin d’une âme. Il faut qu’elle soit habitée pour que la restauration soit permanente. Quand un habitant constate qu’un mur se fissure, il réagit vite pour éviter l’effondrement. Il n’a pas le choix »,explique Abdelali Allali.

Les fissures apparaissent sur les murs du vieux ksar de Taghit (© TSA)


Le vieux ksar de Taghit, un patrimoine national

« Le vieux Ksar de Taghit est un monument classé au niveau national au même titre que ceux de Beni Abbes et de Kenadsa », rappelle Ahmed Taghiti, président de l’APC de Taghit. « Il y a eu quelques travaux de réhabilitation mais qui n’étaient pas à la hauteur. Après la chute des pluies, cette réhabilitation n’a plus laissé de trace. À l’intérieur du ksar, les habitations sont liées les unes aux autres. Dès que l’une d’elles se dégrade, elle touche les structures voisines. Aussi, la réhabilitation doit-elle être globale. C’est de la responsabilité de la direction de la Culture de Béchar », appuie-t-il.

Le vieux ksar de Taghit tombe en ruines (© TSA)


La région de la Saoura a subi deux inondations majeures, en 2008 et en 2014, qui ont grandement contribué à la dégradation des ksours de Taghit, Beni Abbes, Kenadsa, Kerzaz, Igli, Bekhti et Moughel. Le taux d’effondrement pour certains d’entre eux aurait dépassé les 70% en raison notamment de l’absence de réseau d’évacuation des eaux pluviales et de « la mauvaise restauration » faite au niveau des ksours.

« Comme le ksar de Taghit est classé patrimoine national, personne ne peut engager des travaux de restauration sans l’autorisation de la direction de la culture de Béchar. Le problème est qu’on a envoyé des opérateurs qui ne maîtrisent pas les règles techniques de réhabilitation et de restauration de sites culturels anciens construits en terre. Des ouvriers non spécialisés ont été engagés. Les résultats sont aujourd’hui catastrophiques », dénonce Réda Hamouya, président de l’Association de l’Ecotourisme de Taghit.

Maison effondrée au vieux ksar de Taghit (© TSA)


Abdelali Allali critique, comme Réda Hamouya, l’engagement d’entrepreneurs de travaux publics dans la restauration du ksar de Taghit alors que l’opération nécessite de la spécialisation surtout dans le choix et l’utilisation des matériaux.

« Ce genre de travaux doit être pris en charge par des professionnels et par les gens de la région qui connaissent bien les modes de construction de l’habitat saharien ancien. On a vu qu’ils ont utilisé du ciment et du plastique pour réhabiliter des maisons construites en terre qui peuvent s’écrouler après. L’argile utilisée était mal préparée et mal mélangée », constate Abdelali Allali qui regrette la marginalisation de la population dans ce genre d’opérations.

Le vieux ksar de Taghit a besoin d’un plan de sauvegarde (© TSA)


« Nous voulons que les touristes découvrent les traces des anciennes civilisations »

Dans la région de Taghit, il existe six vieux ksours : Zaouia Fougania, Taghit, Brika, Barbi, Bekhti et Zaouia Tahtania. « D’autres vieux ksours ont disparu dans l’indifférence générale et ceux qui restent sont menacés de disparition. Ils ont besoin en urgence d’une prise en charge. Nous ne voulons pas que des pans entiers de notre patrimoine national et de notre identité disparaissent à tout jamais », alerte Réda Hamouya.

« Nous voulons que les touristes découvrent les traces des anciennes civilisations présentes ici. Si elles trouvent l’aide, les associations locales sont prêtes à contribuer à la protection des sites culturels pour au moins sauver ce qui peut l’être », propose-t-il. Selon Ahmed Taghiti, à peine une dizaine d’habitations ont subi des travaux de réparation. « Le vieux ksar de Taghit risque de disparaître si rien n’est fait pour le sauver », avertit le maire.

Une toiture en tronc de palmier au vieux ksar de Taghit (© TSA)


Le vieux ksar de Beni Abbes partiellement effacé

À 144 km au sud de Taghit, Beni Abbes, située à 235 km au sud-est de Béchar et à plus de 1200 km au sud ouest d’Alger, compte sept ksour. Le vieux ksar, sans doute le plus beau, est perdu au milieu de la palmeraie. En décembre 2014, il a subi de plein fouet les intempéries.

« C’était la première fois dans l’Histoire que les eaux de oued Saoura s’infiltraient à l’intérieur du ksar. Presque les deux-tiers du ksar se sont effondrés. Même des habitations rénovées, à la faveur du projet de l’Unesco de 2005, se sont écroulées. Le ksar est aujourd’hui en danger. L’ancienne mosquée, qui est l’un des points les plus éloignés d’el oued, a des murs fissurés. La mosquée est menacée d’effondrement à tout moment », prévient Abdelkader Telmani, président de l’Association Ouarourout pour la solidarité et pour la revivification du patrimoine.

Le vieux ksar de Beni Abbes au milieu de la palmeraie (© TSA)


Selon lui, il n’existe pas de réels programmes de prise en charge du patrimoine matériel de Beni Abbes pour le protéger et le sauvegarder. « Le vieux ksar date de plus de sept siècles. Lors de la réhabilitation, de graves erreurs ont été commises. C’est irrécupérable. Par exemple, un entrepreneur a été chargé de construire un mur de clôture avec du ciment et des pierres. Il a utilisé des engins qui ont arraché une surface large du ksar avec tous ses repères, ses murs, ses toitures et ses fondations. Plus de 400 mètres carré ont été effacés à tout jamais. C’est criminel », dénonce Abdelkader Telmani.

Mohamed Tayebi, président de l’APC de Beni Abbes, confirme que le ksar, bâti en terre, en pisé, en pierres et en troncs de palmiers, est en mauvais état. « Il y a des promesses, beaucoup de promesses, pour le réhabiliter. Mais, il n’y a rien pour le moment », se désole-t-il. Il demande à ce que les habitants du vieux ksar soient impliqués dans d’éventuels travaux de réhabilitation.

Le vieux ksar, construit par quatre tribus fédérées par Cheikh Sidi Ben Abdesselam vers les années 1600, a été complètement vidé de sa population en 1957 par les militaires français, ce qui a accéléré sa dégradation au fil du temps. Plus de 230 millions de dinars ont été dégagés ces dernières années par l’État pour la réhabilitation des ksours de Beni Abbes et d’autres de la région de Béchar mais sans réelles évolutions. Les techniques et les normes architecturales traditionnelles de construction et de restauration n’ont pas été respectées. D’où le manque de résultat.

Le béton attaque l’habitat traditionnel à Taghit (© TSA)


Cela repose inévitablement la question des critères de choix par les pouvoirs publics des bureaux d’études chargés des travaux de réhabilitation des ksours sahariens.

« Nous avons à Beni Abbès deux autres ksours qui tentent de résister. Il s’agit de ceux de Ouarourout et d’El Gsiba. De 2008 à 2010, nous avons travaillé pour rénover et équiper le ksar de Ouarourout qui a été construit depuis plus de deux siècles et demi. Nous avons été soutenus financièrement par l’Union européenne et le ministère de Solidarité nationale. Et depuis 2010, nous gérons des programmes culturels et touristiques dans ce ksar. Nous avons développé par exemple un tourisme populaire solidaire dont le but n’est pas commercial. Nous avons pu avoir quelques fonds pour mieux entretenir le ksar », souligne Abdelkader Telmani qui a ouvert un gîte à l’intérieur du ksar pour y accueillir les touristes. Pour lui, la protection du patrimoine ancestral contribue grandement à la relance de l’activité touristique et culturelle dans la région.

Derb et porte au vieux ksar de Taghit (© TSA)


« Taghit est classée site historique, pas secteur sauvegardé »

Mourad Bouteflika, directeur de la conservation et de la restauration du patrimoine culturel au ministère de la Culture, précise, pour sa part, que certains ksours du Sahara, malgré leur architecture fragile, ne sont pas encore considérés comme des « secteurs sauvegardés ».

« Dans ces ksours, on assiste à une désaffection. Probablement que les habitants considèrent que ces lieux ne sont plus adaptés à la vie moderne. Là aussi, il y a un effort considérable qui doit être fait par les pouvoirs publics pour réinjecter de l’utilité dans le vécu des habitations des ksours et permettre aux gens de retourner y habiter ne serait-ce qu’en partie. Vous avez remarqué que dans la plupart des villes du Sud, on construit des villes nouvelles, parfois avec du parpaing et du béton, qui ne répondent pas aux normes esthétiques reconnues dans le monde et qui s’avèrent très vite inadaptées aux rigueurs climatiques du Sahara. Il faut repenser ces ksours pour faire revenir les populations », souligne-t-il.

Les murs perdent leurs pierres au vieux ksar de Taghit (© TSA)


Durant la période coloniale, la France a, selon lui, tout fait pour vider le vieux ksar de Beni Abbes de ses habitants. « Les ksours de la Souara et du Touat-Gourara méritent une attention particulière des pouvoirs publics pour remettre au goût, dans le système de l’habitat traditionnel, les rapports dialectiques avec les populations locales », propose-t-il.

Un plan existe déjà pour sauvegarder les ksours bâtis en terre dans la Saoura. « Il fonctionnera d’abord sur un premier pallier stratégique qui est la reconnaissance patrimoniale, donc par la protection. Et nous irons progressivement vers une plus grande opérationnalité par l’inscription d’opérations spécifiques pour ces ksours. Il faut savoir que Taghit est classée site historique, pas secteur sauvegardé. Il y a une réadaptation des instruments de prise en charge par rapport à la nature de la protection. Si les ksours seront demain susceptibles d’être érigés en secteurs sauvegardés, ils seront éventuellement dotés des instruments les mieux adaptés que sont les plans de sauvegarde », détaille Mourad Bouteflika.

Interrogé sur la même question, Azzeddine Mihoubi, ministre de la Culture, souligne que l’opération de réhabilitation et de rénovation des ksours du Sahara va se poursuivre. « Mais elle va durer dans le temps. Elle requiert une certaine expertise. Il faut dire que nous manquons d’architectes et de bureaux d’études spécialisés dans la sauvegarde des sites et monuments culturels. Dernièrement, vingt huit architectes spécialisés en patrimoine ont été agréés. Nous voulons avoir plus de cent architectes dans le future pour ne plus recourir aux bureaux d’études étrangers. C’est important pour nous. Nous voulons donner plus de chance aux experts algériens. Nous avons constaté que nos architectes s’intéressent de plus en plus au patrimoine culturel parce qu’il y a de la valeur ajoutée. Cela aide également à enrichir les CV des architectes », explique Azzeddine Mihoubi.

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