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Reportage. L’olive, la future reine des Aurès

Reportage. L’olive, la future reine des Aurès

La région de Batna est connue par ses abricots, ses pommes et ses céréales. Bientôt, elle le sera par ses olives. L’oléiculture connaît un véritable boom dans les plaines ou dans les zones rurales des Aurès comme à Boumia, à Madher, à Sefiane, à Bitam, à Maâfa, à Tifrène ou à Seriana.

Des nouvelles oliveraies redonnent des couleurs à des terres parfois abandonnées et font nourrir l’espoir de voir les Aurès produire et exporter l’or vert.

« Il y a un vrai regain d’intérêt pour l’olivier. C’est un retour vers un arbre qui a toujours existé dans les Aurès. C’est un legs des ancêtres. Les fellahs savent s’en occuper, mais pas tous. C’est un arbre très rentable », soutient Rachid Hamatou, journaliste à Batna, grand amateur des métiers de la terre.

À Sefiane, Ali Krimil perpétue la tradition du moulin à l’huile avec meule et cuve. « Ali est le seul à presser l’huile à l’ancienne ici », soutient Rachid.

Des champs d’oliviers au Moulin Fatima

 

À Boumia, à 35 km au nord de Batna, dans la daïra d’El Madher, et à un jet de pierres du mausolée numide Medghassen, Moussa Serairi, la soixantaine, vérifie, ce matin de printemps, timidement ensoleillé, ses arbres, accompagné d’une chèvre blanche. Ici, la verdure est partout. Autant que les petites fleurs de champs qui célèbrent la belle saison en un éclat de couleurs, « volé » à la palette d’un peintre créatif.

« Avant de décéder, mon père m’a ordonné de travailler notre terre. Mes six enfants, devenus adultes, ne m’aident pas. Chacun a fait sa vie. Ils ne s’intéressent pas à l’agriculture. J’essaie d’initier les plus jeunes de mes enfants au travail de la terre et à son amour. Je viens d’acheter cette chèvre pour avoir un peu de lait. J’avais un troupeau d’une cinquantaine de têtes de chèvre. Je les ai confiés à un homme pour s’en occuper, il les a revendus et a pris la fuite avec l’argent », confie-t-il quelque peu amer.

« Je me débrouille comme je peux »

En 2008, Moussa a planté des pommiers, rachetés à son voisin Sebti Benchadi qui a ouvert une huilerie, à quelques kilomètres de sa maison.

« Au début, j’ai eu une belle récolte de pommes rouges et jaunes. Mais, après, j’ai commencé à perdre les arbres. Même les fruits ont perdu de leur volume, surtout les pommes jaunes. Je ne sais même pourquoi. Est-ce à cause de la terre ? Dans la région, il n’y a pas de paysans qui maîtrisent les techniques de récolte des pommes. Parfois, on donne des pesticides mais qui peuvent être nocifs aux arbres », souligne le fellah.

Il soupçonne les arbres Kazarina, plantés tout autour pour briser le vent, de diffuser des substances toxiques dans l’air, mais il n’est pas totalement sûr. Ne perdant pas espoir, il décide de planter des oliviers, comme pour suivre la tendance locale.

« Cela fait deux ans que j’ai planté ces arbres. Je commence à avoir une petite récolte, olives à presser et olives de table (Zit ou makla). J’ai actuellement 200 arbres. J’ai mon propre forage. J’arrose deux à trois rangées d’arbres. J’éteins ensuite le moteur pendant une heure avant de reprendre l’arrosage. Je me débrouille comme je peux. Il n’y a pas beaucoup d’eau dans notre région malheureusement », détaille Moussa Serairi. Il fait montrer d’une grande détermination pour réussir.

Des oliviers à côté du Moulin Fatima

 

« L’important est d’avoir de l’eau »

Même détermination chez Sebti Benchadi, qui est établi actuellement en France, et qui a changé de cultures après avoir planté 17.000 pommiers, toujours dans la plaine de Boumia, au début des années 2000.

« Faute d’eau, il a été obligé de les arracher pour les remplacer par des oliviers. Depuis, l’exploitation n’a pas cessé de s’étendre pour atteindre les 55 hectares. Nous aurons aussi bientôt 250 hectares supplémentaires. L’important est d’avoir de l’eau pour récolter des fruits de bonne qualité.

Le dosage en eau doit être stable pour éviter le stress. Nous ajoutons du compost naturel aussi », déclare Djemai Rahmoune, responsable de l’exploitation agricole et du moulin qui produisent de l’huile d’olive Fatima.

Deux variétés sont récoltées chez Benchadi, Chemllal et Azeradj avec, en tout, 8000 arbres. « Azeradj, qui ressemble à la Sigoise, est un pollinisateur. Nous récoltons l’olive de terroir. La Chemllal est une variété algérienne. Il y a aussi la Ferkani. Ces variétés donnent une bonne qualité d’huile. Nous ramenons les plants des pépinières de Zerad et Boufarik », précise-t-il.

La Sigoise, qui doit son nom à la ville de Sig (Mascara), est considérée comme la meilleure variété d’olive en Algérie. En volume, la production à l’exploitation de Benchadi évolue d’année en année, selon la pluviométrie, pour dépasser parfois les 40 tonnes par an.

« Nous avons eu une mauvaise saison l’année écoulée faute de pluie. Pour avoir un forage, il faut une autorisation. Sur les onze forages que nous avons, deux fonctionnent seulement. Nous avons aussi une retenue de 1000 mètres cube. C’est une région qui manque d’eau. Et, la pluviométrie de cette saison est au-dessous de la moyenne. Nous utilisons le système de goutte à goutte pour arroser nos arbres. Nous avons acheté une parcelle de terre après une prospection hydrique. Nous attendons l’autorisation de la direction des Ressources en eau pour forer. Il est nécessaire d’avoir une attestation de « bon voisinage » pour éviter d’éventuelles oppositions», détaille Djemai Rahmoune.

L’autorisation de forer n’est, parfois, accordée qu’une année après. La mesure est prise après déplacement d’une commission de contrôle.

De l’huile d’olive bio

À l’exploitation Benchadi, où travaillent une quinzaine d’employés, on produit de l’huile d’olive bio. « Nous sommes les seuls à en produire en Algérie. Nous sommes certifiés ISO. Nous produisons de l’extra vierge à 100 %. Nous n’utilisons pas de pesticides. La norme veut que l’olive soit broyée, malaxée et pressée, vingt-quatre heures après sa cueillette et son lavage. Nous pressons l’olive à froid. Nous ne dépassons pas les 25 degrés. Nous faisons attention aux conditions de stockage en utilisant des cuves d’inox alimentaire », souligne le responsable du moulin.

La plaque indiquant le chemin vers le Moulin Fatima

 

Le processus de production n’est pas compliqué, selon Yacine Bendjadi, employé à l’exploitation Benchadi.

« On cultive les olives le matin pour les presser le soir. Après pression, on met les olives dans les citernes pour se reposer pendant un mois. C’est une période nécessaire pour perdre l’acide. Ce n’est qu’après qu’on commence à remplir les bouteilles, on met les étiquettes et on met dans l’emballage », explique-t-il.

L’emballage est importé de Tunisie et d’Italie (bouteilles, bouchons et étiquettes). Pour augmenter sa capacité de production, un deuxième moulin va être acheté par l’exploitation Benchadi.

L’objectif est également de répondre à la demande croissante des autres arboriculteurs qui sollicitent le moulin pour presser leurs olives. « Nous allons également acquérir un petit labo pour faire des analyses sur place. Certains cultivateurs d’olives, qui ne connaissent pas les caractères physico-chimiques que doit avoir le fruit, n’arrivent pas à vendre leur marchandise. Ils n’arrivent pas à sortir de la mentalité quantitative, accordent peu d’intérêt à la qualité. Les Tunisiens arrivent à écouler facilement leurs marchandises sur les marchés internationaux parce qu’ils respectent le processus scientifique de production », souligne Djemai Rahmoune.

La Tunisie est aujourd’hui le premier exportateur mondial de l’huile d’olive alors que l’Espagne est le premier producteur.

 

Une exploitation d’oliviers en Argentine

L’huile Fatima est distribuée actuellement dans l’Est du pays, dans la région des Aurès, comme Khenchela, Batna et Oum El Bouaghi, dans le sud-Est comme Biskra et dans les Hauts-Plateaux, comme Sétif.

« Nous avons tenté de vendre à Alger. Mais, nous perdons beaucoup de temps dans la circulation automobile. Les gens ont pris habitude de consommer l’huile d’olive de certaines régions du pays, selon des critères de goût définis. Certains préfèrent l’amertume d’autres le piquant ou le fruité. La culture bio n’est pas assez répandue chez nous », regrette Djemai Rahmoune.

L’huile d’olive est vendue dans des bouteilles d’un litre, d’un demi-litre et d’un quart de litre, avec des prix variant entre 860 et 280 dinars, tout dépend du volume. La vente se fait parfois sur place. Une partie de la production a été exportée vers le Qatar et le Bahreïn.

« Mais, nous n’avons pas la quantité suffisante pour continuer à exporter. Il faut de vastes surfaces pour produire de l’olive et de l’huile d’olive. Après, nous sommes obligés de recourir à la mécanisation. Le travail manuel ne suffit pas. Nous pouvons par exemple utiliser une récolteuse sur 250 hectares et travailler dans des conditions idoines pour avoir de la vierge extra (qui est obtenue après pression des olives matures). Avec une récolteuse, on peut facilement moduler et organiser le travail chaque jour. De plus, l’huile doit répondre à certaines normes pour être exportable », relève Djemai Rahmoune.

Il évoque l’exploitation d’oliviers de 3000 hectares que possède Sebti Benchadi en Argentine « notre production est cotée à la bourse de Chicago (spécialisée en matières premières) », appuie-t-il.

Le-chemin-dentrée-vers-le-Moulin-Fatima

 

Selon Rachid Hamatou, l’ouverture du moulin de Sebti Benchadi a encouragé d’autres à investir dans l’oléiculture. « Ils ont notamment planté une variété d’olive importée d’Espagne qui donne le fruit rapidement, après deux ans », précise-t-il. D’autres variétés d’olives existent à Séfiane et à Barika où le climat est différent par rapport à Boumia et El Madher.

« L’oléiculture est une priorité »

L’oléiculture occupe à Batna 12.146 hectares avec une superficie productive de 8114 hectares. Pour la dernière saison, selon la direction des services agricoles de la wilaya, la production globale d’olives a été de 389.117 quintaux.

D’après la même source, la production de l’huile d’olive a été de 38.720 hectolitres avec une moyenne de 17,5 litres par quintal d’olives (la norme universelle est de 18 litres par quintal).

« La production de l’huile d’olive est en nette augmentation. Nous voulons développer davantage l’oléiculture vers le sud de Batna. Nous avons déjà créé un périmètre de 1650 hectares au profit de cinq investisseurs dans la commune de Mdoukel. J’ai discuté avec les présidents d’APC de Mdoukel et de Bitam pour créer d’autres périmètres pour l’oléiculture. Idem pour Seggana. Pour nous, l’oléiculture est une priorité. Il y a une forte demande pour planter des oliviers. C’est une culture qui n’exige pas beaucoup de technicité.L’olivier est un arbre semi-rustique, contrairement au pommier qui est exigeant », souligne Smail Zerguine, directeur des services agricoles (DAS) de Batna.

Après les oliviers, les pommiers sont les vedettes dans les Aurès avec presque 1,5 million arbres plantés sur 3760 hectares. « C’est une culture rentable », explique le DAS.

Ichemoul et Arris se sont, par exemple, « spécialisés » dans la culture des pommes. Trois variétés de pommes existent à Batna : Golden (jaunes), Starkrimson (rouge violacé) et Royal gala (rouge-jaune).

« Batna est parmi les plus grands producteurs de pommes avec Khenchela et Médéa au niveau national. Les pommiers ont besoin d’une période de froid. C’est pour cette raison qu’ils s’adaptent bien aux zones montagneuses.

À Batna, l’agriculture de montagne se développe bien. Nous avons reçu des instructions de la tutelle pour exploiter toutes les poches. Le but est de limiter l’importation de certains fruits et légumes à terme », explique le DAS. La dernière récolte de pommes a été de 825.717 quintaux (avec un rendement de 219 quintaux par hectare).

Les abricotiers de Ngaoues se meurent

Smail Zerguine rappelle que la région de Menâa (70 km au sud de Batna) est connue par les abricotiers. « C’est une zone proche de Biskra, donc, l’abricotier s’adapte bien au climat », dit-il. Mais qu’en est-il des abricots de Ngaoues, célèbres dans toute l’Algérie ?

« À Ngaoues, les abricotiers sont en train de disparaître en raison de la sécheresse. Certains paysans ont même procédé à des arrachages d’arbres. D’autres tentent de résister. Mais, la situation est grave. Il est nécessaire d’exploiter les ressources hydriques souterraines », conseille-t-il.

Une retenue d’eau est en projet du côté de Tifrène pour assurer une irrigation des vergers de Ngaoues. Certains arboriculteurs ont opté pour le système du goutte à goutte pour arroser les arbres d’une manière plus économique.

À Ngaoues, l’oléiculture arrive également à grands pas. Abricots et olives y seront bientôt au coude à coude dans cette région agricole, proche des montagnes de Belezma.

Une faible production de légumes

À Seriana, à 30 km au nord de Batna, la culture des légumes est petit à petit remplacée par les fourrages. « Pour les fellahs, les fourrages rapportent mieux que les légumes. À Ksar Belezma, on continue à cultiver l’ail et l’oignon. Même chose à Bitam. Là, où il y a de l’eau. Mais, la culture des légumes reste faible à Batna. Pour les légumes, nous nous approvisionnons à Biskra voisine. Quant au rendement de la céréaliculture, il est encore modeste », précise Smail Zerguine.

À Batna, la céréaliculture occupe pourtant 35 % de la surface agricole globale avec presque 150.000 hectares, soit 6,5 fois plus que l’arboriculture.

Un pommier en fleurs à côté d’un champs d’oliviers du Moulin Fatima

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