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REPORTAGE. Restaurée, la mosquée Ketchaoua va rouvrir ses portes aux fidèles et aux visiteurs

REPORTAGE. Restaurée, la mosquée Ketchaoua va rouvrir ses portes aux fidèles et aux visiteurs

La mosquée Ketchaoua de la basse-Casbah d’Alger va bientôt rouvrir ses portes aux fidèles. Les tarawih du Ramadan 2018 y seront assurées pour la première fois en dix ans.

Fermée depuis 2008, ce lieu de culte, sans doute le plus célèbre de la capitale algérienne, a été restauré par l’Agence de coopération internationale turque (TIKA). TIKA, qui a financé l’étude et les travaux et a parlé de « cadeau offert au peuple algérien frère ».

Ce mardi 27 février, Ketchaoua a été visitée par la Première dame de Turquie, Emine Gulbaran Erdogan, alors qu’elle devait être inaugurée initialement par les présidents algérien et turc. La cérémonie a été annulée sans explications.


Aucune date n’est encore avancée pour l’ouverture « officielle » alors que les travaux de restauration ont été complètement achevés et l’édifice réceptionné. Sans pénétrer dans la salle de prière, Emine Gulbaran Erdogan s’est contentée de visiter la façade principale de la mosquée où trois plaques en marbre blanc ont été accrochées pour expliquer l’Histoire ancienne du lieu, classé avec la Casbah d’Alger au patrimoine mondial de l’humanité depuis 1992 dans la liste de l’Unesco.

Une plaque du ministère des Affaires religieuses, qui date de mai 1981, rappelle que le 2 novembre 1962, quelques semaines après l’indépendance de l’Algérie, Cheikh Bachir El Ibrahimi, alors président de l’Association des Oulémas algériens, a dirigé la première prière dans un lieu de culte affecté de nouveau à la religion musulmane après avoir été transformé par l’occupant français en une cathédrale.

Plaque en hommage à Bachir Ibrahimi qui date de 1981. (© TSA)


En 1832, le Duc de Rovigo ou le général Réné Savary (commandant en chef des troupes françaises en Algérie) avait d’autorité décidé de remplacer la Mosquée par une église. L’autel fut, selon les historiens, érigé en trois jours seulement pour célébrer la Noël et l’Abbé Colin (préfet apostolique d’Alger) est venu bénir le lieu. La Cathédrale Saint-Philippe sera l’une des premières à être « ouvertes » en Algérie durant la période coloniale française. Elle fut la parfaite illustration de la complicité entre militaires et religieux dans les conquêtes coloniales.

La mosquée d’Hassan Pacha démolie en 1842

« Ici, il y avait une petite mosquée, à peine le tiers de l’actuelle, qui date du XIVe siècle. Cette mosquée fut agrandie et embellie au XVIe siècle puis au XVIIIe siècle. Lorsque Hassan Pacha (Dey d’Alger de 1791 à 1798) avait construit son palais, il a agrandi cette mosquée et a mis en place un minaret. Les Français, arrivés en 1830, ont pénétré dans l’ancienne mosquée pour changer les symboles remplaçant l’étoile et le croissant par une croix. À partir de 1842, ils ont démoli complètement la mosquée d’Hassan Pacha et ont construit la cathédrale Saint-Philippe en trois parties. La partie arrière, là où il y a l’abside et la coupole, ensuite, la nef centrale et, enfin, tout ce qui est périphérique avec les clochers. Donc, quand ils ont rasé l’ancienne mosquée, ils ont gardé les colonnes pour les utiliser. C’est-à-dire qu’à l’intérieur de l’ex-cathédral, les colonnes étaient originaux », détaille Abdelwahab Zekagh, directeur général de l’Office national de gestion et d’exploitation des biens culturels protégés (OGEBC).

L’Office, dont le siège est à Dar Aziza, juste en face de la mosquée Ketchaoua, a la charge de la gestion du lieu du culte puisqu’il figure dans un secteur culturel sauvegardé. L’opération de restauration a été lancée en 2013. Les Turcs se sont engagés à restaurer également le Palais du Bey et la Mosquée du Pacha à Oran. Un don d’Ankara.

Les deux minarets de la mosquée Ketchaoua à partir de Dar Aziza. (© TSA)


Les travaux de restauration ont duré 37 mois. « Nous avons pu injecter dans le chantier une trentaine de jeunes algériens de l’architecte jusqu’au maçon. Ils ont appris les métiers (sculpture, maçonnerie ancienne, menuiserie, travail sur la pierre, etc). Ces jeunes sont toujours chez nous. On va les orienter dans d’autres projets », a souligné Abdelwahab Zekgah.

Minarets démontés pièce par pièce

Toute la structure de la mosquée a été rénovée surtout qu’elle n’a pas été bien protégée depuis l’indépendance du pays. Elle a subi trois séismes majeurs en 1980, 1989 et 2003 qui ont laissé des « traces » surtout au niveau des deux minarets, dangereusement fissurés.

La Mosquée Ketchoua avant sa restauration. (© TSA)


Les ceintures en béton n’ont pas servi à grand-chose. Aussi, à la faveur du Plan permanent de sauvegarde et de mise en valeur de la Casbah, lancé en octobre 2003, des travaux d’urgence ont été retenus pour la mosquée historique Ketchaoua.

« Nous avons cintré les minarets en protégeant la structure contre les pluies avant de lancer le projet de restauration », a souligné le responsable de l’OEGBC. Le projet ne sera lancé que dix ans plus tard. Heureusement que les deux minarets ne sont pas effondrés entre temps. Pièce par pièce, les minarets ont été démontés. Tout a été numéroté et calpiné.

Après, les restaurateurs, appuyés par un bureau d’études, s’étaient mis à la recherche de la pierre qui devait être chimiquement, physiquement et mécaniquement identique à l’originale. Exercice difficile. « Mais, finalement nous l’avons trouvée dans une carrière à Sidi Bel Abbes. La pierre, meilleure que l’originale, a été découpée à Ain-Temouchent. Ce que nous avons découvert de nouveau est qu’il existe une structure métallique à l’intérieur de la mosquée. Au XIXe siècle, il était à la mode d’utiliser ces structures pour renforcer l’édifice en pierres. Avec le temps, le métal a corrodé, a gonflé et a fait éclater la pierre. Nous avons intervenu sur le squelette métallique, réparer là où il le faut, remplacer ce qui devait l’être avec de l’inox. À chaque deux ou trois rangée de pierres, nous avons introduit de l’inox, une structure spéciale et flexible qui permet aux minarets de bouger, en cas de tremblement de terre, sans tomber. Nous avons refait l’étanchéité à la traditionnelle et complètement revu l’aspect structurel », explique Abdelwahab Zekagh.

Les deux minarets de la mosquée Ketchaoua après la rénovation. (© TSA)


Un problème d’eau souterraine a été pris en charge également. « La Mosquée est en basse Casbah. Elle reçoit donc l’eau pluviale qui coule d’en haut. Nous avons installé deux gaines d’aération et creusé une grande tranchée au milieu pour stopper l’arrivée de ces eaux. Cela nous a permis de mettre en place un système de ventilation et de climatisation de l’édifice à l’intérieur », a-t-il ajouté.

« Une boutique ottomane sous terre »

« Lorsque nous avons creusé la tranchée, nous avons découvert une boutique ottomane sous terre à trois mètres de profondeur. En fait, l’ancienne mosquée, qui était petite au fond, faisait face à une place avec des boutiques tout autour. Les revenus de ces boutiques servaient à l’entretien de la mosquée. Toutes les mosquées d’Alger, peut-être même de toute l’Algérie, étaient gérées de la même manière. Nous avons mis la boutique sous un plancher en verre en l’illuminant pour que les visiteurs puissent la voir d’en haut », a relevé le directeur de l’OGEBC.

À l’intérieur, la décoration s’est appuyée sur le maintien autant que faire se peut de la faïence originale, avec imitation parfois. Les symboles chrétiens de l’ex-Cathédrale Saint-Philippe ont été cachés ou mis à l’abri des regards comme la fresque qui était au fond de l’abside, recouverte par un enduit de ciment.

« Nous avons décapé le ciment pour redécouvrir et restaurer la fresque. Elle est aujourd’hui derrière une plaque de plâtre. On peut facilement voir cette fresque. Au niveau du couloir principal, à l’entrée, deux calottes étaient installées avec de la mosaïque qui représentait certains symboles de la chrétienté. Nous l’avons cachée avec des calottes synthétiques ouvrables. Nous avons caché, pas détruit, quelques symboles de croix pour permettre aux musulmans de faire leurs pierres », précise Abdelwahab Zekagh.

Les minarets ont retrouvé la couleur vert-océan originale de leurs décorations. « Il y a aussi des carreaux foncés et clairs. Les foncés sont originaux. Idem pour la pierre. La pierre blanche est nouvelle, celle qui tend vers le beige est plus ancienne. Les boules en haut des minarets ont été ramenées d’Istanbul. Elles sont en cuivre recouvertes de feuilles d’or. Nous avons essayé de rester fidèles au monument original », a-t-il indiqué.

Les voutes de la façade principale ont été finement décorées. (© TSA)


Le tapis de prière sera chauffé

Les fidèles ne vont plus entrer par les trois grandes portes en bois de la façade principale de la mosquée Ketchaoua qui sourit à la mer. La tradition veut qu’on ne donne pas le dos à la Qibla (El Qods ou la Mecque, Est-Sud-Est) vers laquelle se dirigent les croyants. Les fidèles vont accéder à la salle de prière (d’une capacité de 1.200 places) à partir de la porte latérale droite alors qu’une entrée est réservée aux femmes. Une fois la prière terminée, les fidèles sortiront par les portes de la façade principale, le visage en face de la Qibla.

« La nouveauté est que la partie arrière de l’abside sera réservée aux femmes avec une séparation. Avant, les femmes ne faisaient pas la prière à la mosquée Ketchaoua. Au milieu, il y a un ascenseur pour les handicapés. Il y a deux espaces d’ablutions, hommes et femmes, dans les sous-sols. Nous avons également mis en place un système de chauffage électrique sous les tapis de la mosquée. Sur les côtés, il existe la climatisation et la vidéosurveillance », a précisé le premier responsable de l’OGEBC.

Les colonnes et les portes de la Mosquée Ketchoua. (© TSA)


Le projet de restauration a, selon lui, bien réussi. Reste la suite. Abewahab Zekagh a confié que le département des Affaires religieuses va assurer les prières légales mais ne s’occupera pas de la gestion de l’édifice. « Nous avons proposé à ce que notre office gère cette mosquée en tant qu’espace culturel. C’est-à-dire qu’entre la prière du Sobh et celle d’El Dhor, il y a quatre ou cinq heures. Nous pouvons utiliser cette période pour faire visiter la mosquée aux touristes. C’est également un endroit touristique », a-t-il dit.

Ailleurs dans les pays musulmans comme en Égypte, en Turquie, en Iran, en Irak ou en Malaisie, les mosquées historiques sont également considérées comme des lieux culturels et des attractions touristiques. Elles ne ferment pas leurs portes entre les prières mais s’ouvrent aux visiteurs de toutes les religions. La règle veut que La Maison d’Allah doit garder sa porte ouverte.

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