
Le Maroc fait face à une révolte populaire d’ampleur. Dans la nuit du 1er au 2 octobre, les premières victimes parmi les manifestants sont tombées sous les balles des gendarmes. Le mouvement GenZ 212 ébranle le royaume et surtout dévoile son vrai visage aux yeux du monde entier.
Un visage très différent de l’image que les autorités tentent de vendre au monde par une politique de prestige aussi coûteuse qu’inefficace à la fin.
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Il n’est pas d’ailleurs étonnant que l’un des slogans phares de la contestation cible la coupe du monde 2030 que le Maroc co-organise avec l’Espagne et le Portugal.
La priorité c’est l’éducation et la santé, tonne la jeunesse marocaine, quelques jours après le décès de huit femmes enceintes dans un hôpital d’Agadir dépourvu de tout. Quelques semaines auparavant, un stade à plusieurs centaines de millions d’euros était inauguré en grande pompe à Rabat. Le décalage est choquant.
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La révolte des jeunes marocains et la répression féroce qui a suivi ne constituent pas une surprise, sauf pour qui ne suit pas l’actualité et la réalité du royaume.
Depuis quelques années, le pays vit au rythme de mouvements de protestation sporadiques, dénonçant l’inflation à deux chiffres, le chômage, les inégalités et la normalisation avec Israël.
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Une réalité que ne démentent pas les chiffres des organismes internationaux spécialisés. Le World inequality report 2022 a classé le Maroc parmi les pays les plus inégalitaires au monde.
L’inégalité des revenus est élevée, avec une classe moyenne “relativement pauvre” et 10% de la population qui accaparent la moitié des revenus du pays, résume le rapport.
Pour dire les choses autrement, le Maroc n’a pas cette classe moyenne nécessaire pour l’équilibre et la stabilité des sociétés et des États modernes, mais globalement deux castes : une minorité de privilégiés et une majorité qui ploie sous le poids de la pauvreté. Le faste de la première contraste avec l’indigence de la seconde.
Un roi qui coûte cher à des sujets pauvres
En haut de la pyramide, il y a évidemment le roi, sa famille et son entourage. Le journaliste français spécialiste du monde arabe Quentin Muller a partagé quelques chiffres de ce que coûtent le roi et sa cour au contribuable marocain : 657.000 euros par jour.
Mohamed VI est en effet payé 2,36 millions d’euros annuels, auxquels s’ajoute la “dotation de souveraineté” qui rémunère les “missions de la monarchie” à pour 47 millions d’euros, en plus de 52 millions d’euros de salaires des domestiques et 138 millions d’euros annuels consacrés au matériel et dépenses diverses.
Pour illustrer le faste du train de vie de la famille royale, celle-ci est dotée d’un budget supérieur à ceux de six ministères réunis et 23 fois plus élevé que celui du chef du gouvernement.
En plus de posséder des résidences luxueuses à l’étranger, notamment en France, le roi Mohammed VI dispose aussi de 17 palais officiels au Maroc et d’une résidence dans chaque ville du royaume, même les plus petites, avec des employés, des domestiques et des gardes en permanence dans chacune d’elles.
Pourtant, le souverain marocain est extrêmement riche et n’avait pas besoin de puiser dans l’argent public pour financer son train de vie. Sa holding privée Siger contrôle des pans entiers de l’économie marocaine. Tout ce qui est lucratif n’échappe pas à sa mainmise.
En dessous du souverain et de sa famille, il y a toute la clientèle du régime qui baigne dans l’opulence. Le piratage des données de plusieurs organismes sensibles par le groupe de hackers JabaRoot à partir d’avril dernier a dévoilé une facette des inégalités indécentes.
Le secrétaire du roi et gérant de sa holding, Mounir Al Majidi, est payé 120 000 euros par mois, alors que le Smig vient tout juste d’être augmenté à 3120 dirhams (283 euros). Et encore, seuls 10% de la population en âge de travailler touchent ce salaire minimum. Le chômage touche 14% de la population et 38% des jeunes de 15 à 24 ans.
Les difficultés sociales sont telles que seulement 1,8% des familles marocaines sont capables d’économiser une partie de leurs revenus. Ce n’est pas étonnant que le royaume soit classé 120e au monde dans l’indice de développement humain (IDH).
Injustice sociale, corruption et normalisation, le coktail explosif
La corruption y est aussi endémique, avec une peu reluisante 97e place à l’indice annuel de perception de la corruption (IPC), de l’International center for dialogue initiatives (ICDI).
En plus d’être pauvre, la population marocaine compte un taux important d’analphabètes : seulement 27% des femmes de plus 50 ans savent lire et écrire.
Face à une telle situation, une seule perspective s’offre à la jeunesse : l’exil. Plus de la moitié des Marocains de 18 à 29 ans envisagent d’émigrer.
En juin 2024, les autorités marocaines se sont données en spectacle en mobilisant des moyens de répression impressionnants pour empêcher une tentative d’évasion collective vers l’enclave espagnole de Ceuta.
La tentative avait dévoilé la réalité de la situation du royaume que le palais royal et son gouvernement tentent de masquer par leur politique de prestige, aidés en cela par leurs relais à l’étranger notamment en France où une partie de la classe politique ne cesse de vanter un Maroc moderne qui se développe.
En septembre 2023, c’est le séisme meurtrier du Haut Atlas qui a révélé au monde la face hideuse des villages de montagne, construits en terre cuite et dépourvus de voies de communication. Aussi, le gouvernement n’a pas pu tenir ses promesses de reloger les dizaines de milliers de sinistrés, plus de deux ans après la catastrophe.
Et pour ne rien arranger, le royaume s’est engagé depuis quelques années dans une politique ruineuse d’achat d’armements, particulièrement israéliens après la normalisation des relations entre les deux pays.
La normalisation, largement rejetée par la société marocaine, s’est greffée aux inégalités et aux injustices sociales pour former ce cocktail explosif qui, fatalement, a fini par éclater à la face du régime.