L’amphithéâtre A-M050 de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) s’est avéré exigu pour contenir les quelques 300 personnes venues écouter l’ancien patron du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) en ce samedi montréalais où la ville est à la veille d’un épisode de pluie verglaçante – un avertissement, le BMS dans le langage local, a même été émis pour la population.
Libéré de la réserve que pouvait lui imposer sa carte du RCD qu’il a rendue en février dernier, Said Sadi n’est pas allé par quatre chemins devant une assistance composée de beaucoup de sympathisants mais aussi de quelques militants du MAK prêts à en découdre avec lui.
La conférence à laquelle il était invité par la Fédération des Amazighs d’Amérique du Nord (FAAN) dans le cadre de la troisième édition du Festival amazigh de Montréal, portait sur l’émigration nord-africaine d’hier et d’aujourd’hui. Un exercice auquel il s’est attelé avec la rigueur et le sérieux qu’on lui connaît en comparant les spécificités des émigrations de trois pays (Algérie, Maroc et Tunisie).
Si le Maroc et la Tunisie ont pu bénéficier de leur émigration en Europe, l’Algérie qui a vu la sienne bondir après l’indépendance grâce aux accord d’Evian, n’arrivera jamais « à trouver un point d’équilibre » particulièrement avec les binationaux.
Il a rapporté que lors d’une discussion avec le président Bouteflika sur le rôle que pourrait jouer les Algériens de la diaspora dans le développement national, ce dernier est resté fermé à cette option en répondant qu’ils « sont incontrôlables », témoigne Said Sadi. Des années avant, le président Boudiaf s’était montré disposé à explorer cette possibilité, selon le fondateur du RCD qui comparait les deux hommes.
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Rattrapé par l’actualité
La salle qui a écouté religieusement Said Sadi, pendant 40 minutes, l’a vite ramené à l’actualité pendant la période des questions. Certes sensibles à l’avenir d’une intégration nord-africaine à laquelle participerait l’émigration des trois pays, les intervenants ont vite imposé le 5e mandant dès l’ouverture du micro au public.
« Je crois que vous prenez l’affaire par le mauvais bout. Si on commence à s’enfermer dans des agendas électoraux dans une crise comme celle-la, on est cuits. Nous n’avons pas une crise de programme ou un crise qui affecte un parti. Nous avons une crise qui est fondamentale sur la construction de la Nation. Et si on ne remet pas tout à plat, je ne le souhaite pas mais je le redoute, on peut aller vers une implosion chaotique de la nation », a-t-il répondu.
Il a réfuté que ces risques viendraient de Kabylie. « Il y a des forces centrifuges qui sont en mouvement. On parle souvent de la Kabylie mais ce n’est pas vrai, ce n’est pas par là que risque de venir le grand danger. Il faut voir ce qui se passe au Sud. J’étais à Tamanrasset et à Djanet au mois de décembre, il y a le M’zab qui est en train de bouillir, le Sud-Ouest. C’est une erreur de croire que nous sommes dans un pays normal et qu’il s’agit de gérer une élection à venir », dira-t-il.
« Il ne faut pas se leurrer, sauf miracle, pourvu qu’il advienne. c’est parti pour un cinquième mandat », avertit Said Sadi.
À ceux qui l’accusent d’exagération ou de noircir le tableau ou de partialité car il n’est pas possible qu’un homme sur une chaise roulante et qui n’a pas présidé que quelques conseils des ministres reste, il répond : « Ce n’est pas nouveau tout ça. C’était vrai aussi en 2014, je ne vois pas pourquoi on ne continuerait pas à élire une chaise roulante cette fois aussi », provoquant l’hilarité générale dans la salle.
Clash avec le MAK
À une question sur le Mouvement de l’autodétermination de la Kabylie (MAK) de Ferhat Mehenni et sa présence au sein de l’émigration, il répond : « Quand on est démocrate, il faut reconnaître à n’importe qui le droit d’émettre une idée. Tout ce que l’esprit conçoit peut être possible. Mais à partir du moment qu’on a émis son idée, il faut accepter deux choses : elle peut être sujette à critique et il faut reconnaître aux autres le droit d’avoir des idées. Si on commence à baptiser la mentalité qui se veut différente de celle du pouvoir, on ne s’en sortira jamais. J’entends ceux qui disent celui qui n’est pas avec nous est contre nous ce n’est pas sérieux tout ça. Je crois que le pouvoir applaudit à chaque fois qu’il entend ce genre de choses. »
Interpellé par un intervenant qui a brandi le drapeau du MAK en lui rappelant qu’au Canada chaque province avait son drapeau, sous l’œil de la caméra de TQ5 la chaîne de télévision satellitaire du MAK basée au Canada, Said Sadi lui répond qu’il lui reconnaît le droit d’avoir son propre drapeau. « Vous allez aux États-Unis d’Amérique, chaque État à son drapeau. Mais je ne crois pas à cette démarche qui commence à porter les références symboliques avant la réflexion stratégique », a-t-il rétorqué, interrompu par des applaudissements.
« C’est bien la monnaie, l’hymne national, le drapeau, mais ça vient après. On m’a montré une pièce de monnaie où il y a l’effigie de Mouloud Mammeri. C’est une imposture. Je le connais, il n’a jamais été sécessionniste…», ajoute-il. « Je dis que le schéma actuel en Algérie est condamné mais débattons. Que chacun donne son point de vue mais pas d’invectives. Je suis traîné matin et soir dans la boue par certains sites sur Internet », conclut-il.
Said Sadi a profité de son passage à Montréal pour dédicacer son dernier livre Cherif Kheddam, le chemin du devoir ainsi que son roman en kabyle Askuti et son essai Algérie, l’échec recommencé.