search-form-close
Santé : et si on supprimait le service civil ?

Santé : et si on supprimait le service civil ?

Les médecins, pharmaciens et dentistes résidents ont entamé en novembre un mouvement de protestation inédit qui a plongé les structures sanitaires du pays dans une situation de blocage jamais vue auparavant.

Les revendications des résidents sont nombreuses et concernent plusieurs volets : formation, statut, service national, œuvres sociales, etc. Mais le point sur lequel se concentrent toutes les tensions et attentions est bien le service civil.

| LIRE AUSSI : Grève des médecins résidents : le dégel ?

Les arguments d’Ouyahia

Les résidents ont, dès le début de leur mouvement, réclamé la « suppression du caractère obligatoire du service civil », cette disposition qui impose à tout médecin spécialiste nouvellement diplômé d’exercer dans une structure de santé publique à laquelle il est affecté « selon les besoins sur le territoire national ».

Dans la plateforme de revendications transmise par le Camra au ministère de la Santé, figure un point réclamant « l’abrogation de la loi 84-10 du 11 février 1984 relative au service civil ». L’abrogation de cette loi équivaudrait à la suppression pure et simple du service civil, ce à quoi le ministère de la Santé a opposé un niet catégorique.

Lors des négociations, la commission intersectorielle a fait plusieurs propositions, dont la suppression du service civil pour une vingtaine de spécialités et la modulation de sa durée pour les autres. Des propositions insuffisantes pour les résidents pour qui « le service civil est une mesure anticonstitutionnelle » car ne respectant pas l’égalité des droits et des devoirs entre les citoyens ». Le service civil qui était, à une époque, imposé aussi bien aux médecins qu’aux architectes et ingénieurs, ne concerne plus que les médecins spécialistes.

Le service civil a été qualifié par le ministre de la Santé de « patrimoine », c’est-à-dire intouchable. Mais le service civil a bien été supprimé en partie dans le secteur de la santé, pour certaines spécialités, et complètement dans les autres secteurs où il était en vigueur autrefois.

Le premier ministre Ouyahia et le ministre de la Santé Hasbellaoui ont justifié le refus de l’État de supprimer le service civil par le manque de médecins spécialistes que cette suppression pourrait créer au Sud et dans les Hauts-Plateaux. « Il est facile pour le ministre de la Santé ou aux autres responsables de satisfaire les revendications portant sur l’abrogation du service civil. Le ministre habite la capitale mais est-ce que nous voulons un désert médical en Algérie ? », a déclaré Ouyahia lors d’un meeting à Biskra, le 16 février.

| LIRE AUSSI : Pourquoi les médecins résidents sont en grève

Les arguments des résidents

À cet argument des déserts médicaux qui guetteraient l’Algérie en cas de suppression du service civil, les résidents rétorquent que ceux-ci existent dans le Sud, dans les Hauts-Plateaux et même dans certaines régions du Nord, malgré l’existence du service civil.

Pour les résidents, ce système est un échec total qui n’a pas permis de fournir aux populations, notamment à celles des régions les plus reculées, des soins suffisants et de qualité. Un constat partagé par le ministre de la Santé lui-même qui a reconnu, lors de sa première rencontre avec les résidents que « le service civil est un échec », avant de se raviser quelque temps plus tard.

L’échec du service civil est dû à sa forme : des jeunes spécialistes envoyés seuls, dans des zones reculées qu’ils ne connaissent pas, où ils ont peu de contacts, souvent affectés dans des structures de santé dont les dirigeants sont peu coopératifs, les jeunes médecins spécialistes se retrouvent sans encadrement et avec des moyens faibles, voire inexistants.

Ceci fait que les médecins du service civil affectés au Sud se plaignent d’être obligés de rester sur place, sans pouvoir exercer, sans formation continue durant toute la durée du service civil et sans pouvoir apporter d’amélioration aux structures de santé auxquelles ils sont affectés.

Deux options…

Cette situation ne laisse aux autorités que deux options. La première est de continuer à se donner bonne conscience vis-à-vis des populations isolées et maintenir un système défectueux qui n’a jamais atteint ses objectifs, en plus de pénaliser des milliers de jeunes médecins spécialistes chaque année.

La seconde option est de renoncer à un discours démagogique qui veut que « le service civil prémunit des déserts médicaux » et supprimer une disposition de la loi de santé inefficace, ressentie comme une injustice par ceux sur qui elle s’applique tout en proposant de meilleures alternatives.

Et les alternatives existent, elles ont été formulées par les résidents dans leur plateforme de revendications et certaines ont même été proposées, voire déjà appliquées en partie par le ministère de la Santé.

Salaires en rapport avec la pénibilité de l’exercice de la médecine dans les zones reculées, primes d’installation conséquentes, primes de zones, primes de déplacement, facilitation du regroupement familial, non seulement pour les couples de médecins –ce qui a déjà été acquis par les résidents – mais également des couples ne comportant qu’un seul médecin, en recrutant l’autre conjoint dans la même ville d’affectation du médecin spécialiste, des logements décents, des congés supplémentaires, etc.

Ce sont là des solutions réclamées par les résidents et qui, une fois accordées, pourraient permettre à l’Algérie de se passer du service civil, puisque ces mesures sont à même d’encourager les médecins spécialistes, même les plus expérimentés à s’installer dans les zones reculées du pays.

Dans les autres secteurs, comme l’industrie, les transports, le pétrole et les mines, les travailleurs à hautes compétences bénéficient déjà de ces mesures incitatives qui font que les postes de travail au Sud sont ceux sur lesquels il y a le plus de concurrence entre travailleurs, car plus avantageux et plus rémunérateurs.

En attendant que le pouvoir ait le courage d’adopter une approche réaliste et volontariste des problèmes dont souffre le système de santé algérien et, à leur tête, celui du service civil, les jeunes médecins spécialistes continueront à souffrir, tout autant que les populations du Sud et des Hauts-Plateaux qui ne bénéficient toujours pas de soins de qualité, malgré l’existence du service civil depuis plus de trente ans.

  • Les derniers articles

close