Économie

Sécheresse en Algérie : menace sur la récolte de blé

Partout dans les zones céréalières en Algérie apparaissent des signes de sécheresse. Dans des parcelles proches de l’épiaison, les feuilles commencent à jaunir du fait du manque de pluie.

La récolte 2023 de blé semble compromise, atteindra-t-elle l’objectif national des 30 quintaux à l’hectare ?

À Mila, dans les champs de blé, une teinte marron remplace la belle couleur verte du début de campagne. La situation est la même à Tiaret ou à Guelma. Bouira est en alerte, de même qu’à Constantine où les services agricoles dénombrent des parcelles en état de stress hydrique.

Dans beaucoup de cas, les plantes sont comme foudroyées dans leur élan. Après avoir poussé vigoureusement jusque-là, elles semblent à bout de force.

Certes, le niveau de dessèchement des parcelles est variable et certaines restent encore bien vertes. Dans les cas extrêmes, le blé atteint à peine la hauteur d’un gazon. Sur les réseaux sociaux, l’ingénieur Nabil Athmania de l’Institut techniques des grandes cultures (ITGC) alerte : « La terre a soif ».

Si de telles conditions climatiques devaient se poursuivre, le rendement des parcelles les plus touchées pourrait être nul.

Dans le Sud de l’Algérie, du blé prêt à la récolte

À côté de ces images de désolation, celles en provenance du sud de l’Algérie sont pleines d’espoir avec des parcelles aux lourds épis proches de la récolte. C’est le cas des parcelles de Mohammed Djeddi qui, comme par défi à ses collègues agriculteurs du nord du pays, exhibe les photos d’épis de ses parcelles de blé et d’orge.

À Naâma également, les parcelles de blé irriguées par pivot ou kit d’irrigation présentent une hauteur de végétation annonciatrice d’une bonne récolte.

Au Sud, l’année passée, la céréaliculture sous pivot avait permis de produire un million de quintaux de céréales à Adrar et la moitié à Ménéa. Des chiffres à rapprocher des 40 millions de quintaux produits au nord du pays. Une hirondelle ne fait pas le printemps…

Sécheresse : l’irrigation d’appoint comme riposte

Le 28 mars dernier, l’Institut national des sols, de l’irrigation et drainage (INSID) a publié un bulletin d’alerte à l’irrigation d’appoint.

Il indiquait que « les producteurs de céréales au niveau des wilayas du Nord disposant de ressources hydriques exploitables sont appelés à entamer l’irrigation complémentaire avec un volume de 30 à 40 mm, en veillant à utiliser des appareils d’irrigation économiques ». Cette alerte concerne les wilayas d’Aïn Defla, Chlef, Guelma, Mascara, Relizane, Saïda, Sidi Bel Abbès, Tlemcen et Tiaret.

Une alerte immédiatement répercutée à différents échelons. Ainsi, pour être sûr d’être compris, le directeur des services agricoles de la wilaya de Saïda indique dans une note que le volume de 35 à 40 mm à apporter correspond à celui de 3 bassins et demi à 4 de 100 m3.

Des agriculteurs n’ont pas attendu cette alerte pour déclencher une irrigation à l’aide d’enrouleurs ou de kits d’irrigation. En cette période de déficit hydrique, la question est de déterminer de quelles réserves en eau disposent les barrages et nappes souterraines traditionnellement approvisionnées par les eaux de pluie. Le communiqué de l’Insid précise que : « Le but de cette démarche est d’atteindre les objectifs fixés en matière de production de céréales et d’éviter les effets négatifs de la pénurie d’eau ».

Mais alors quelle allocation en eau réserver aux autres cultures : oignon, pomme de terre, tomate de conserve et pastèques sans compter l’arboriculture ?

Avec plus de 70 % des ressources en eau monopolisées par l’agriculture en Algérie, le défi est de trouver des ressources supplémentaires en eau. La réutilisation des eaux des stations d’épuration des eaux usées a maintes fois été évoquée. D’autant plus que les techniques d’épuration évoluent avec l’utilisation des UV et de l’ozone.

Culture des céréales en Algérie : des problèmes structurels

Cette alerte met également en relief les retards de la recherche agronomique en Algérie. Le leitmotiv actuel des services agricoles concerne le « respect de l’itinéraire technique ». Un itinéraire copié sur le modèle européen qui nécessite donc le recours occasionnel à l’irrigation.

L’appui à la production de l’Office algérien des céréales (OAIC) concerne principalement le soutien à l’utilisation des engrais, des semences certifiées et ponctuellement des herbicides. Même certifiées, les semences de blé doivent cependant être semées à une date optimale, bénéficier d’engrais apportés au plus près et pouvoir développer des racines en profondeur.

Des conditions rarement réunies à la fois. Ce 28 février, la station ITGC de Sétif rappelait aux agriculteurs ce principe de base : « Plus les racines sont longues, et plus le blé est résistant à la sécheresse ».

Une compaction des sols céréaliers

Il y a quelques années, lors de son passage à Sétif, le spécialiste australien mondialement connu, Jacky Desbiolles, avait révélé de nombreux cas de compaction des sols préjudiciables aux racines. Il avait pour cela utilisé un pénétromètre, une simple tige d’acier munie d’un cadran indiquant la pression qu’il fallait exercer pour enfoncer l’engin dans le sol.

Récemment, l’agronome Abdelmadjid Hamadache auteur d’ouvrages sur la culture des céréales, a confirmé ces cas de tassement lié à l’usage excessif de déchaumeurs. Un tassement qui réduit à néant tout espoir de voir le blé mieux utiliser l’humidité du sol.

Gagner quelques dizaines de millimètres d’eau

Abdelmadjid Hammadache a également relevé l’extrême pauvreté des sols en matière organique et la poursuite de l’agriculture minière. Cette pratique consiste à prélever du sol du grain et de la paille pour l’élevage sans jamais restituer au sol de quoi entretenir sa fertilité.

En Algérie, si parfois le blé importé est frauduleusement dirigé vers l’élevage, la paille fait également l’objet d’une surexploitation par l’élevage. Après la récolte et le passage des moutons qui s’en suit, pas un brin de paille ne reste au sol. Une paille pourtant indispensable afin que le sol retient l’eau des pluies hivernales.

En 2022, le projet Conservation agriculture and crop-livestock (CLCA) du Fonds International de Développement Agricole (FIDA), une institution spécialisée des Nations Unies, a rendu ses conclusions.

Durant plusieurs années, le CLCA a testé dans plusieurs wilayas du pays les moyens pour optimiser les systèmes agriculture-élevage adaptés au climat. Le rapport final indique que « l’impact de CLCA a entraîné une réduction de 30 à 40 pour cent de l’utilisation de l’eau d’irrigation et une augmentation de deux à trois fois de la production d’orge et de blé ».

En Tunisie, l’association Abel Granier a montré que la culture durant plusieurs années de luzerne africaine permettait de reconstituer la fertilité d’un sol dégradé.

En Australie, dans des conditions climatiques identiques à celles de l’Algérie, les agronomes locaux ont mis en évidence que l’abandon du labour, le maintien de chaume au sol et la circulation des engins agricoles au niveau de couloirs privilégiés identifiés par GPS permettait de réduire la compaction du sol. L’ensemble de ces techniques permettant l’équivalent d’un gain de 75 mm de pluie.

Numérisation des données agricoles

Outre ces références techniques, l’adaptation à la sécheresse passe par la collecte et la numérisation des données agricoles. Une numérisation vivement encouragée par les pouvoirs publics. Le 20 mars dernier, le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, « a ordonné au gouvernement d’entamer, immédiatement, l’accélération du processus de numérisation et de statistiques précises, en tant que système de travail de base dans tous les secteurs ».

Les données relatives aux parcelles touchées par la sécheresse peuvent permettre d’expliquer pourquoi certaines d’entre elles sont moins affectées que d’autres. Les agriculteurs auraient-ils mieux procédé que d’autres ?

La collecte et la numérisation des différentes façons de procéder d’un panel représentatif d’agriculteurs peuvent permettre de connaître le poids des différents paramètres en cause : profondeur du sol, historique cultural, type de travail du sol, dates de semis ou variétés utilisées. Une méthode permettant d’aller au-delà du simple « non-respect de l’itinéraire technique » souvent reproché à l’agriculteur.

Moyens financiers et management

Seules des pluies salvatrices pourraient permettre de sauver la récolte à venir en Algérie. Quant à l’objectif des 30 quintaux par hectare, il semble actuellement compromis.

Les services agricoles misent sur la seule irrigation. Faudra-t-il aller au-delà des 70 % d’allocation en eau déjà accordés à l’agriculture ? À elle seule l’irrigation peut ne pas suffire. Dans le sud de l’Algérie, bien qu’irrigant durant tout le cycle leur culture, des investisseurs ne dépassent pas les 40 quintaux contre 80 pour les plus performants.

Le réchauffement climatique est devenu une contrainte tangible qui impose de changer de paradigme. Pour cela des références techniques existent. La question est de savoir si les piètres résultats actuels dans la céréaliculture en Algérie résident dans un manque de moyens financiers ou de management des compétences locales.

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