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« Si les déficits persistent, le retour à la planche à billet sera inévitable »

« Si les déficits persistent, le retour à la planche à billet sera inévitable »

Que pensez-vous du gel du financement non conventionnel décidé par le Premier ministre ?

Hocine Sam, docteur en sciences économiques (Université de Tizi Ouzou). Le gouvernement a annoncé il y a quelques mois le gel du processus de financement non conventionnel et tout le monde se pose la fameuse question : y a-t-il alors des solutions sans effets néfastes sur l’économie ? Nul ne saurait ce que peut dissimuler ce renoncement. Ce qui est manifeste est que la demande de financement que fait le Trésor public à la Banque d’Algérie se poursuivra pour accompagner les dépenses non budgétaires en finançant les déficits et la dette publique (CNR, Sonelgaz, assainissement de la dette des entreprises publiques).  Et si ces déficits persisteront, le retour à la planche à billets serait inévitable car l’Etat, au moment présent, rejette l’idée de l’endettement extérieur, expérience à la fois mal vécue et mal gérée dans le passé. On ne retient les leçons !

Comment peut-on alors sortir de cet engrenage ?

Pour le moment, primo, il faudrait se pencher sur la création des conditions de développement de l’appareil productif. Si cela avait fonctionné dans le passé, on aurait évité le recours à la création monétaire ex nihilo, autrement dit, la richesse nationale aurait créé de nouvelles sources de financement émanant des secteurs d’activité, ce qui permettrait à la machine économique de fonctionner correctement.

Secundo, il faudrait aussi se départir des anciennes pratiques comme la dépendance de la Banque d’Algérie du pouvoir politique. En effet, le gouverneur de la Banque d’Algérie n’est nullement autonome sur certaines orientations stratégiques de l’économie notamment. Je pense qu’il est grand temps de redonner à la Banque d’Algérie son autonomie en matière de gestion (stabilité économique, des prix et la croissance) que de l’impliquer dans les affaires politiques.

Et enfin, en plus de la nécessité de réformer le système fiscal, il faudrait que l’on revienne à la l’importance d’améliorer le climat des affaires en Algérie. Cela va permettre de promouvoir l’investissement direct étranger et créer de la richesse au niveau interne.

En 2017, le gouvernement avait cité les expériences dans de nombreux pays, pour justifier le recours à la planche à billets….

Avant d’y répondre, permettez-moi de vous rappeler des grands problèmes apparemment demeurant « sans solutions » que vit notre économie depuis l’indépendance à nos jours. En effet, la dépendance aux hydrocarbures fait que la rente pétrolière constitue la principale ressource de ce pays. D’autres revenus générés des secteurs hors hydrocarbures restent insignifiants. Outre la non diversification des ressources, nous assistons depuis longtemps au manque pour ne pas dire la quasi absence de la compétitivité économique en dépit des réformes ayant été entreprises après la loi relative à la monnaie et le crédit 90/10 du 14 avril 1990. Une loi, faut-il le rappeler, ayant tout de même permis la libéralisation des activités économiques et la démonopolisation de l’Etat dans différents domaines.

Le grand choc pétrolier intervenu en 2014 – aggravé d’un côté par la fragilité des secteurs économiques susceptibles de créer de la richesse et de l’emploi et par l’absence d’alternatives qui conduisent à la sortie d’une crise sévère et à conséquences graves- a poussé les autorités à recourir, après l’assèchement du Fonds de Régulation des Recettes (FRR), à la monétisation de la dette, c’est-à-dire opter pour un financement Banque d’Algérie-Trésor Public, ce que l’on appelle communément la planche à billets ou financement non conventionnel. Une solution semblant facile à court terme mais elle peut avoir des répercussions négatives à long terme surtout si la création monétaire-excessive et incontrôlable- n’accompagne pas les besoins de l’économie réelle.

Que pensez-vous justement des répercussions ?     

A l’occasion du colloque international organisé par la Faculté des sciences économiques, commerciales et sciences de gestion de l’Université de Tizi Ouzou sous la direction du professeur Bouzar, les participants ont plutôt insisté sur les effets néfastes d’un tel outil sur l’économie que sur les avantages à court terme que cela peut produire.

Tout le monde s’accorde à dire que la décision était intervenue dans une conjoncture difficile où le gouvernement, à court d’arguments valables, n’a trouvé mieux que de passer à la monétisation des déficits budgétaires. On voulait tellement légitimer la décision en avançant les expériences des pays comme le Venezuela, le Japon, la Banque centrale européenne, les Etats Unis… comme des modèles réussis. Or si l’on prend les Etats Unis ou l’Europe par exemple, nous parlons de la création monétaire destinée à la reprise économique en luttant parallèlement contre les phénomènes déflationnistes. En particulier, face à la crise de la dette souveraine en Europe, la Banque centrale européenne a mis en place en 2015 un autre plan d’urgence que l’on qualifie de « Quantitative easing » (assouplissement quantitatif) comme effet de levier de relance économique dans un contexte marqué par une inflation très proche du zéro. Le but n’étant que celui de racheter les effets publics des banques centrales afin de détenir de la liquidité et redynamiser par conséquent l’économie.

Clairement le recours à la planche à billet ne devrait pas s’appuyer sur ce qui est fait ailleurs. Simplement car chaque pays adopte son propre modèle de développement (stratégies de croissance), fixe un objectif économique (déflation/inflation/chômage/consommation) et une finalité de l’instrument (relancer l’économie/stabilité des prix). En revanche, en Algérie, nous démarrons selon un fait amer : économie dépendante et improductive, auquel s’ajoute le déficit du secteur public économique maintenu grâce jadis à la rente pétrolière et aujourd’hui à la création irréfléchie et incontrôlable de la monnaie.

Alors, je peux dire que cet instrument avait pour but d’éponger les déficits en rachetant les créances « malsaines » des entreprises publiques et des organismes étatiques (comme Sonelgaz) et de la caisse de retraite (CNR).

Y a-t-il d’autres choix que de recourir à planche à billets ?

Je pense que non. En effet, avec le choc pétrolier ayant entraîné une chute des recettes pétrolières et l’assèchement du FRR, l’Etat a fait, dans un premier temps, recours à l’amnistie fiscale (conformité à un taux de 7%) en bancarisant l’argent de l’informel d’une part et à l’emprunt obligataire en permettant au citoyen, en contrepartie de son apport, d’investir dans le portefeuille de l’Etat. Ces deux premières mesures n’ont pas ramené les résultats escomptés. Bien au contraire par le biais de la première, on a nourri davantage le marché parallèle et enfreint l’éthique bancaire en permettant d’injecter dans le circuit formel l’argent « sans origine ». Quant à la seconde, elle est vouée à l’échec du fait du manque de l’éducation financière de la population et aussi et surtout la rupture des rapports de confiance entre l’administration et le citoyen.

Il aurait fallu, à mon avis, lutter fermement, et depuis longtemps, contre les pratiques informelles, l’évasion et la fraude fiscale et enchaîner avec des politiques de l’inclusion financière de la population algérienne.

Aujourd’hui, nous estimons que le recours à la planche à billets est l’expression de l’échec des politiques économiques depuis l’indépendance à nos jours.

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