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Situation en Libye : entretien avec Abdelaziz Rahabi

Situation en Libye : entretien avec Abdelaziz Rahabi

Le président turc a demandé la présence de l’Algérie aux discussions de Berlin sur la Libye. Pourquoi selon vous ?

Abdelaziz Rahabi, ancien ambassadeur : L’Algérie n’y a pas été conviée par les parties invitantes, l’Allemagne et l’Onu, elle ne pourrait l’être par une partie tierce, ceci pour le principe. Pour ce qui est du fond, il est clair que le problème est avant tout un problème de positionnement occidental en Libye post Kadhafi. L’Allemagne ambitionne de sortir de Mitteleuropa et cherche à se doter d’un poids politique conforme à son histoire et à la hauteur de son poids économique, l’Italie veut garder son influence historique en Libye et la France se positionne dans l’Alliance pro Haftar avec l’Arabie saoudite, l’Égypte et le les Émirats arabes unis.

Dans quel sens va la demande du président turc d’une coalition Turquie-Algérie-Tunisie ?

Je pense que c’est plus qu’une déclaration de circonstance et procède d’une stratégie commune avec le Qatar pour renforcer leur coalition contre les pro-Haftar. La doctrine algérienne en matière d’alliance militaire est immuable, bien établie et a résisté aux épreuves et je ne pense pas que l’offre turque, pays membre de l’Otan, sera reçue de façon favorable à Alger. Elle pourrait même être perçue comme une attitude inamicale dans la mesure où la forme de l’offre est inconvenante. De plus la Turquie connait la position de principe de l’Algérie qui privilégie les solutions internes, n’a jamais fait partie de pacte ou coalition militaires et rejette toute forme de présence militaire à ses frontières.

L’élection d’un nouveau président de la république fera-t-elle en sorte que l’Algérie puisse jouer un rôle plus significatif dans le règlement du conflit ?

Comme partout ailleurs, l’arrivée d’un nouveau chef d’État apporte de nouvelles orientations en politique étrangère. Nous avions connu cela avec l’arrivée de Chadli Bendjedid qui avait réorienté la politique étrangère dans le sens d’un équilibre entre l’Est et l’Ouest. Boumediene ayant opté pour une politique proche du bloc socialiste. Les premiers indices indiquent que le Président actuel est favorable à un redéploiement en direction de l’Afrique subsaharienne, qui est, à mon sens, la principale profondeur stratégique de l’Algérie. Cette option est réellement stratégique en ce qu’elle est naturelle parce qu’elle est dans le continuum de nos populations et de notre territoire. Prometteuse en termes d’économie parce que l’Afrique est le continent de l’avenir, et enfin permanente parce qu’elle reconnait à l’Algérie son statut d’État pivot et de pays de référence dans l’histoire des valeurs de l’émancipation de l ‘Afrique.

Le président Tebboune a immédiatement réuni le Haut conseil de sécurité. Le communiqué évoque une nouvelle stratégie ? Qu’en pensez-vous ?

Ce conseil, tout comme celui de l’énergie, de l’éducation pour ne citer que ceux-là, ne se sont pas réunis une seule fois en vingt ans sous cette forme. La stratégie dans des domaines aussi sensibles était laissée à des groupes de pression ou confiée à des bureaucrates carriéristes ce qui a produit un manque de visibilité chez nos propres opérateurs comme les diplomates, les militaires et les hommes d’affaires et des interrogations chez nos partenaires. Il s‘agit également pour nous les Algériens de consolider le consensus national en matière de politique étrangère et de défense nationale qui sont fragilisés par les crises politiques internes et soumis à de grosses pressions externes.

L’Algérie subit-elle directement les conséquences des crises régionales ? Ses frontières sont-elles réellement menacées ?

À mon sens deux ou trois éléments doivent appeler à une permanente vigilance. La première est que les frontières ne sont pas un simple marqueur physique de limites territoriales avec un voisin, elles ont aussi une sécurité émotionnelle particulièrement chez un peuple qui a subi une large période de domination coloniale. La seconde est que nous faisons partie d’un cercle réduit de pays ayant plus de 6 frontières communes. Cette masse territoriale est un atout mais représente aussi une fragilité quand elle n’est pas portée par une économie performante qui permet de dégager les moyens adéquats pour les politiques de défense nationale. Enfin, la troisième est que l’Algérie vit le scénario d’alerte de la géopolitique de la guerre marquée par une tension permanente avec le Maroc depuis 1975, une présence miliaire internationale (française et G5S) à nos frontières avec les États du Sahel et une Libye devenue une terre d’influence et de confrontation armée de certains pays européens et du Golfe.

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