Économie

Spéculation : Tayeb Zitouni succède à Rezig et donne le ton

Tayeb Zitouni est le nouveau ministre algérien du Commerce et de la promotion des exportations. Le successeur de Kamel Rezig hérite de trois dossiers chauds : la guerre contre la spéculation, la modernisation du secteur du commerce et la gestion des importations.

Tayeb Zitouni a été désigné jeudi 16 mars en remplacement de Kamel Rezig, dans le cadre d’un remaniement ministériel opéré par le président de la République Abdelmadjid Tebboune et qui a touché plusieurs autres départements, dont ceux des Affaires étrangères, des Finances…

Plus que le départ énigmatique du chef de la diplomatie Ramtane Lamamra, celui de Kamel Rezig suscite les commentaires de la rue et des réseaux sociaux.

Kamel Rezig a dirigé un département en lien direct avec le pouvoir d’achat des citoyens, de surcroît dans un contexte mondial de crise sanitaire, d’inflation et de tensions sur de nombreux produits alimentaires de base dont l’Algérie dépend de l’importation.

Son mandat a été marqué par des hausses des prix sans précédent et des pénuries récurrentes. Il part en laissant un taux d’inflation record de 9,2%. Un autre ministre n’aurait peut-être pas fait mieux vu le contexte mondial, mais Kamel Rezig a été le membre du gouvernement le plus contesté ces trois dernières années.

A cause principalement de son style de gestion et de communication. A tort ou a raison, on lui a imputé l’une des plus grosses pénuries de ces dernières années, celle de l’huile de table. Les disparitions répétitives de ce produit des étals n’a rien à voir avec la crise mondiale puisque les raffineries algériennes produisent plus que les besoins du pays en huile.

Lors de la toute première pénurie, on avait pointé du doigt la décision du ministre d’imposer brutalement la facturation aux grossistes et distributeurs de ce produit subventionné.

Il est aussi reproché à M. Rezig ses promesses solennelles non tenues. En entrant en fonction, il avait promis la venue d’un grand producteur de produits laitiers du Golfe, ou encore de ramener le prix de la viande rouge à 800 dinars. Sous son mandat, les prix de toutes les viandes ont presque doublé, y compris celle du poulet ou encore les poissons.

Commerce : Tayeb Zitoui met en garde les spéculateurs

Donné partant à chaque remaniement, Kamel Rezig a vu le président de la République lui renouveler à chaque fois sa confiance. Sous Tebboune, il a été l’un des rares ministres à garder son poste pendant plus de trois ans d’affilée.

Il est vrai que le ministre n’était pas le responsable exclusif de la situation, mais la persistance de la hausse des prix et des pénuries a rendu le changement inéluctable.

Ces dernières semaines, il a été critiqué publiquement par le chef de l’Etat qui n’a pas apprécié la mauvaise mise en œuvre de son orientation de rationalisation des importations, et par les députés et le président de l’APN qui lui ont reproché un manque de tact dans l’une de ses interventions.

Kamel Rezig était aussi le ministre de la promotion des exportations, et à ce titre, il répétait à l’envie que sous son mandat, les exportations hors hydrocarbures ont atteint des niveaux jamais vus, même si les exportations algériennes hors pétrole et gaz, sont constituées à près de 90% de semi-produits.

Le grief qu’il ne peut pas contester demeure cependant celui de ne pas avoir mené, ni même tenté, la réforme du secteur du Commerce.

Un dossier sur lequel sera désormais attendu son successeur Tayeb Zitouni. Celui-ci devra d’abord gérer l’urgence de la disponibilité et de l’accessibilité des produits de base, puis s’atteler à restructurer un secteur miné par les dysfonctionnements et l’atomisation de l’activité.

L’absence d’une véritable grande distribution et de centrales d’achat empêche en effet de stabiliser l’offre et les prix, d’où toutes les tensions et pénuries constatées ces dernières années.

Une meilleure régulation et la mise en place d’une grande distribution sont des chantiers qui attendent toujours.

La numérisation et la modernisation du secteur du commerce restent de points noirs dans le bilan de Rezig. Pour contrôler les activités commerciales et les commerçants, la digitalisation est indispensable.

Le deuxième dossier chaud légué par Rezig à Zitouni est lié à la lutte contre la spéculation. Les directions du Commerce et de la répression des fraudes sont en première dans cette guerre sans merci que l’Algérie mène contre la spéculation sur les produits alimentaires de base. De nombreux commerçants ont été lourdement condamnés à la prison ferme pour spéculation illicite.

En dépit de l’arsenal répressif déployé par le gouvernement, le phénomène n’a pas été éradiqué et les produits essentiels comme la semoule, le lait en sachet et l’huile de table connaissent des perturbations récurrentes.

Lors de sa prise de fonction ce samedi 18 mars, Tayeb Zitouni a donné le ton : la lutte contre la spéculation va se poursuivre. Le nouveau ministre du Commerce a mis en garde ceux qui « se jouent de la nourriture des Algériens ».

« Je mets en garde ceux qui veulent se jouer avec la nourriture des Algériens et la stabilité du pays. C’est une ligne rouge. Il n’y aura pas de pardon. Je tends la main à tous les opérateurs pour construire un climat de confiance et travailler ensemble, mais je mets en garde tous ceux qui chercheraient à franchir cette ligne rouge », a lancé d’un ton ferme Tayeb Zitouni, lors de la passation de consignes avec Kamel Rezig.

Importations : quel sort pour le dispositif Algex ?

Tayeb Zitouni sera également très attendu sur le dossier sensible des importations qui a provoqué la dernière « colère » du président de la République.

Celui-ci a voulu rationaliser les importations pour préserver les réserves de change de l’Algérie mais sans priver le citoyen de quelque produit que ce soit.

Une orientation que Kamel Rezig a semble-t-il confondu avec blocage et fermeture drastique du commerce extérieur, avec ses conséquences sur la disponibilité des produits en Algérie et le retour en force de l’informel.

Sa « trouvaille » a été de centraliser les autorisations d’importation au niveau d’Algex, l’agence algérienne de promotion des exportations, ce qui a davantage bureaucratisé les opérations.

Ce dispositif Algex fonctionne est bâti sur une idée simple : ne pas importer les produits fabriqués localement afin de permettre le développement d’une industrie nationale alors que l’Algérie ne figure même pas dans le top 10 des pays industrialisés en Afrique. Mais ce dispositif est devenu un instrument de contrôle des importations où la transparence ne règne pas.

Au début, tous les produits, y compris ceux dont la fabrication en Algérie n’existe pas, ont été inscrits dans cette plateforme. Ensuite, les médicaments, les matières premières agricoles et d’autres produits ont été exemptés.

Au-delà des dysfonctionnements de ce dispositif, le ministère du Commerce connaît-il vraiment la capacité de production et la demande réelle du marché d’un tel ou tel produit comme les chaussures pour réguler dans un pays où les statistiques économiques, de l’aveu même du président de la République, sont peu fiables ?

Peu probable vu le retard accumulé par le secteur dans la numérisation et le poids énormes de l’informel dans l’économie algérienne.

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