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Témoignage pour l’histoire : deux séquences de Bouteflika

Témoignage pour l’histoire : deux séquences de Bouteflika

TRIBUNE. Il ne s’agit pas de faire son bilan, pas plus que de louer ses vertus ou blâmer ses infortunes, il ne s’agit ni plus ni moins que d’un témoignage sur ce que j’ai vu et entendu de sa part en tant que ministre à une époque où il venait d’être réélu pour un quatrième mandat.

Avant d’être nommé ministre, je tenais Bouteflika pour une légende, celle du MAE fringant, charmeur et rhéteur. Il était capable de séduire une pierre et la politique n’est rien d’autre que l’art de la séduction par excellence. On ne peut pas faire de politique si on n’a pas une langue d’or.

Et Bouteflika l’avait, et il n’était pas le seul, avant que la maladie ne lui enlève cette empreinte vocale qui était sa signature et son atout premier.

Sans voix, un homme politique perd sa magie et son charisme surtout dans un pays, comme le nôtre, sensible au verbe. Bouteflika malade était devenu son propre fantôme et tous ceux qui l’aimaient auraient souhaité qu’il parte comme Boumediène rapidement et dans la discrétion et non en exposant pendant longtemps ses mauvais choix.

Lui si fier, lui si orgueilleux, a dû subir le calvaire de sa maladie comme une humiliation, mais lui si croyant a dû s’incliner devant cette épreuve voulue par Dieu. Bouteflika croyait au mektoub, à l’amor fati Nietzchéen. Il est mort à 84 ans après 8 ans de survie. 8 ans sur 20 ans de présidence. Il a payé chèrement ce poste qu’il voulait tant depuis la mort du Président  Boumediène dont il se voulait l’héritier.


Bouteflika et la maladie d’un ministre

La première séquence se déroule dans un conseil des ministres de l’automne 2016. Le ministre du Commerce, Bekhti Belaib, malade du cancer, était au bout du rouleau.

Il souffrait le martyre. Je le vois comme si c’était hier dans la salle de réunion du conseil des ministres, exsangue, les traits tirés mais la tête haute avec un faible sourire dans les yeux même si les plis amers de la bouche disaient assez la souffrance qu’il endurait.

Je l’admirais pour sa compétence, sa droiture, son sens de l’Etat et sa franchise. Je l’ai vu dire certaines vérités à un collègue les yeux dans les yeux. Sans colère, ni ressentiment. Et puis après il passait à autre chose. Et lui parlait comme si de rien n’était.

Le bruit ayant couru au sein du gouvernement qu’il allait être libéré, on pensait donc  tous que ce Conseil des ministres allait être son dernier, mais voilà que le président Bouteflika met les choses au point : « Tant que je serai président je ne mettrai jamais fin aux fonctions d’un ministre malade. »

Un frisson de gratitude parcouru le Conseil. Tout le monde avait apprécié le geste du Président pour un ministre malade. Tout le monde, vraiment ? Oui, sauf Belaib lui-même qui n’avait rien entendu tant il n’entendait que sa propre douleur.

Le soir, je l’appelai pour lui dire combien j’étais heureux de son maintien. Il était le premier étonné des paroles du président. Trois mois plus tard il décéda. Il avait 63 ans.

Bouteflika et les puissances de l’esprit 

La deuxième séquence se rapporte à un autre conseil des ministres. Le Président prit la parole pour évoquer la situation instable au Sahel. Puis il dit : « Si les choses restent en l’état, une entité terroriste remplacera toujours une autre, Daesh succédant à Al-Qaida et ainsi de suite. Tant qu’on ne passera pas d’un mode de production de biens économiques à un mode de production de biens spirituels on ne sortira pas de ce circuit infernal. »

Un collègue me souffla : « Il parle des puissances de l’esprit, non ? » Je répondis par l’affirmative. Tout le monde savait que Bouteflika était un mystique loin de l’image superficielle du mondain qu’on lui prêtait.

De ces deux scènes de la vie ministérielle, j’en étais témoin, sans parti pris, ni jugement. J’ai été ministre d’un homme de chair et de sang, avec ses forces et ses faiblesses, et non ministre du diable comme l’écrivent les réseaux sociaux aussi agressifs qu’outranciers.

Il faut avoir le respect de nos hommes d’Etat et ne les juger que sur leurs actes loin de la rage si aveuglante, loin des insultes et loin de cette haine des autres qui n’est que l’autre nom de la haine de soi, comme le disait Lacan.

Le président Kennedy louait particulièrement la profession de foi de l’auteur et stratège militaire Liddel Hart : « Rester fort, si possible. De toute façon rester calme. Avoir une patience sans limites. Ne jamais acculer un adversaire et l’aider  toujours à sauver la face. Se mettre à sa place pour pouvoir  voir les choses de la même façon que lui. Eviter le pharisaïsme comme la peste, rien ne rend plus aveugle. » Puisse chaque Algérien faire de ce crédo le sien.

L’ex-président a servi l’Algérie,  bien ou mal, c’est à l’histoire d’en juger, cependant  qu’on le veuille ou non, il fait partie de cette histoire pour deux raisons au moins : en tant qu’ancien moudjahid et en tant qu’homme d’Etat. 

« Jugement de Dieu et jugement de l’histoire, confie un grand diplomate qui l’a bien connu. L’Algérie doit fixer son regard sur l’avenir et se libérer de toute pesanteur inhibitrice » On ne saurait mieux dire. Tout le reste n’est qu’écriture sur le vent…

*Ecrivain, ancien ministre. 

IMPORTANT : Les tribunes publiées sur TSA ont pour but de permettre aux lecteurs de participer au débat. Elles ne reflètent pas la position de la rédaction de notre média.

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