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Toufik, Saïd, Tartag, Nezzar et Louisa Hanoune condamnés : chronique d’un procès pas comme les autres

Toufik, Saïd, Tartag, Nezzar et Louisa Hanoune condamnés : chronique d’un procès pas comme les autres

Un show médiatique était annoncé pour ce qui devait être le procès du siècle, mais finalement, il n’en sera rien. Saïd Bouteflika, Mohamed Mediène, Athmane Tartag et Louisa Hanoune ont été jugés pendant deux jours dans un anonymat qui ne sied pas à l’importance de l’événement, à la qualité des mis en cause et à la gravité des faits qui leur sont reprochés.

Le procès s’est ouvert lundi 23 septembre au tribunal militaire de Blida. « Sous haute surveillance », signale unanimement la presse, tenue éloignée des lieux par un important dispositif de sécurité. Les « quatre », arrêtés en mai dernier, étaient accusés d’atteinte à l’autorité de l’Etat » et « atteinte à l’autorité de l’armée ». Des accusations passibles de dix ans de prison à la peine de mort. Le général Nezzar, son fils et un certain Farid Benhamdine sont quant à eux en fuite.

A l’origine de l’enclenchement de la procédure, une réunion suspecte tenue fin mars et ayant pour objet la destitution du chef d’état-major de l’ANP et la mise en place d’une période de transition à la tête de l’Etat dirigée par l’ancien président de la République, Liamine Zeroual. Autre motif de déception, l’absence à la barre de ce dernier, pourtant considéré comme un témoin clé.

En revanche, les témoignages de Haba El Okbi, ex-SG de la présidence de la République, Mohamed Ali Boughazi, ex-conseiller du président déchu Abdelaziz Bouteflika et d’autres fonctionnaires de la Présidence seront entendus.

Pendant toute la journée de lundi, les journalistes, présent en force dans les alentours du tribunal, ne sauront rien de ce qui se passait dans la salle d’audience. On se contentera de rumeurs, très vite démenties d’ailleurs, comme celle qui annonce le report du procès.

Ce que dans la soirée que des bribes d’informations commenceront à fuiter, lorsque les avocats de la défense sortent de l’audience. Certains se montreront particulièrement prolixes comme Boudjemaâ Ghechir, avocat de Louisa Hanoune ou Farouk Kesentini et Miloud Brahimi qui assurent la défense du général Toufik.

Tartag et Saïd boudent l’audience

On saura grâce à eux que la première audience a débuté à 9h00 du matin pour durer 11 heures. Et qu’elle a été marquée par la présence de trois prévenus alors que le général Tartag a refusé de comparaître, raconte Me Boudjemâa Ghechir. Celui-ci révèle aussi que le juge a rejeté toutes les demandes de la défense dont celle de reporter le procès en raison de l’état de santé de certains accusés, celle liée à la non compétence du tribunal militaire pour statuer sur l’affaire, et le fait que Louisa Hanoune ne peut pas être poursuivie parce que pendant les faits, elle était bénéficiaire de l’immunité parlementaire en tant que députée à l’APN.

Autre révélation de Me Ghechir : « Saïd Bouteflika a refusé de répondre aux questions en raison de son objection à plusieurs faits mentionnés dans l’arrêt de renvoi, liés principalement à l’accusation de porter atteinte au chef d’une formation militaire et tentative de renverser le régime illégalement, en plus des éléments mentionnés dans l’arrêt de renvoi qui ne lui avaient pas été communiqués auparavant ».

Le frère de l’ancien président a demandé à quitter l’audience. Tout comme pour le général Tartag, le juge lui a signifié qu’il peut rejoindre sa cellule mais qu’il ne sera pas jugé par contumace.

On apprend aussi par le biais des avocats que des membres des familles des accusés étaient présents au procès, à l’image du fils du général Toufik et du frère de Mme Hanoune.

Mardi 24 septembre, deuxième jour du procès. Cette fois, Saïd Bouteflika est présent mais ne parlera pas. Bachir Tartag est toujours absent. Le tribunal doit entendre le général Toufik et Louisa Hanoune. Quelle ligne de défense adopteront-ils ? Vont-ils répondre aux questions du juge ? « Je ne sais pas. J’ai donné la liberté totale à mon client pour choisir de répondre ou non aux questions du juge », répond l’avocat de Toufik, Me Ksentini, interrogé avant le début de l’audience.

Le général Toufik a-t-il été déchu de son grade ? « Une telle décision pourrait intervenir à l’issue du procès dans le cadre de la peine qui sera prononcée éventuellement. Elle ne peut pas intervenir au début du procès », explique l’avocat.

Toufik et Hanoune parlent

L’ancien chef du DRS et la SG du Parti des travailleurs parleront finalement. Mais là aussi, on ne le saura que dans la soirée, par les mêmes canaux. Les deux prévenus ont comparu devant le tribunal et « ont répondu à toutes les questions du juge militaire », indique Me Miloud Brahimi, sans plus de précision.

Les détails, c’est Me Kesentini qui se chargera de les livrer. Toufik a répondu à 25 ou 30 questions posées par le juge militaire et Louisa Hanoune a été moins longuement interrogée. Le juge lui a posé 15 ou 20 questions auxquelles elle a toutes répondu.

Mais qu’ont-ils dit ? « Le général Toufik a confirmé la rencontre qui a eu lieu avec Said Bouteflika et Louisa Hanoune le 27 et 28 mars dans une villa appartenant à la résidence d’État. Il a dit que l’objectif de cette rencontre était de trouver une personnalité consensuelle pour sortir de la crise », révèle l’avocat qui ajoute que « les discussions ont été enregistrées par les services de renseignements, gérés alors par le général Tartag » et que « les agents qui étaient chargés d’enregistrer la rencontre et les chauffeurs qui ont transporté les personnalités ont été entendus par le juge ».

Devant le juge, Toufik a reconnu avoir rencontré l’ex-président Liamine Zeroual, le 30 mars dernier à Moretti, révélant que l’ancien président « s’était excusé de ne pas accepter la responsabilité de diriger une phase de transition pour des raisons de santé ». Le témoin Mohamed Boughazi a quant à lui révélé que le décret de limogeage du chef d’état-major de l’armée, qui a circulé sur les réseaux sociaux fin mars, était un faux et qu’il n’a pas été signé par le président de la République.

« Le limogeage de Gaïd a été décidé à Genève »

Mais c’est l’avocat de Louisa Hanoune qui livrera le plus de détails susceptibles d’aider à comprendre ce qui s’est passé entre le 27 et le 30 mars. « D’abord, lorsque Saïd Bouteflika et Mohamed Mediene s’étaient mis d’accord sur une période de transition dirigée par l’ancien président Liamine Zeroual, Louisa Hanoune n’était pas présente. Elle a assisté à la réunion du 27 mars au soir et la décision avait déjà été prise », soutient Me Ghechir, rappelant les propos du président du mouvement El Bina, Abdelkader Bengrina, à savoir que « le président Bouteflika a pris la décision de limoger le chef d’état-major quand il était hospitalisé à Genève ».

« Elle n’était donc pas présente quand il a été proposé de relever le chef d’état-major de ses fonctions et de réhabiliter les généraux poursuivis en justice. Elle n’a jamais évoqué ces sujets et elle n’a pas assisté aux réunions dans lesquels ils ont été abordés », déduit l’avocat.

Selon lui, tout ce qui a été demandé à sa cliente c’est « de donner son avis sur la crise que vivait le pays » et « elle a réitéré les positions de son parti. Ces positions, elle les a exprimées devant Saïd Bouteflika qui avait un autre avis. Elle n’a pas nié la réunion car elle a bien eu lieu, mais ce n’était pas un complot. C’était une réunion pour étudier les moyens de faire face à la crise ».

« Lors de la réunion du 29 mars, la question de relever le chef d’état-major n’avait pas été tranchée car le général Toufik n’était pas d’accord, estimant que la tradition en Algérie veut que le poste de chef d’état-major revienne au commandant des forces terrestres. Il y a eu un débat mais aucune décision n’avait été prise, les avis étaient divergents. Aussi, il n’y avait pas de parties étrangères ni de services de renseignement. C’était une réunion entre Algériens pour trouver une issue à la crise, ni plus ni moins », poursuit Me Ghechir.

« Ce n’est que le début… »

Dans la soirée de mardi, le procureur requiert la même peine pour les sept prévenus : 20 ans de réclusion criminelle. Le verdict tombe vers 2h du matin. Tous les accusés présents écopent de 15 ans de prison ferme. « A l’énoncé du verdict, ils n’ont eu aucune réaction particulière, ils n’ont rien dit », révèle Budjemaâ Ghechir. Les prévenus en fuite sont condamnés à 20 ans.

Jeudi matin, le tribunal communique enfin sur le procès. Il confirme tout ce qui a été rapporté par des avocats durant les deux jours de l’audience qui « s’est déroulée dans le strict respect des règles du Code de justice militaire et du Code de procédure pénale et tous les droits et toutes les garanties pour un procès juste et équitable ont été observés ».

Une affirmation que la défense ne nie pas. « Personne n’a été empêché de prendre la parole et tous les avocats, au nombre de vingt, ont fait leurs plaidoiries », reconnaît Me Ghechir. Cela dit, ils ne sont pas satisfaits du verdict.

« La peine est exagérée et nous allons faire appel sous dix jours », promet l’avocat du général Toufik. « Ma cliente sait que ce n’est que le début et qu’il reste encore des voies de recours », renchérit celui de Mme Hanoune. Vivement un autre procès, public de préférence…

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