Politique

Un pillage en règle et à ciel ouvert des richesses nationales

Des hommes d’affaires, deux anciens Premiers ministres, des ministres et walis anciens ou en poste sont rattrapés par la Justice. Certains hauts responsables sous Bouteflika sont en prison, d’autres sont sous contrôle judiciaire, d’autres encore en fuite à l’étranger.

Le feuilleton n’est qu’à ses débuts, promet-on. La justice est décidée à punir tout responsable qui a failli quel que fut son rang et les autorités politiques à récupérer ce qui peut l’être des montants détournés.

Il appartiendra aux nouveaux dirigeants du pays, une fois tout cela terminé, de faire l’effort de comprendre ce qui s’est passé durant le long règne de Bouteflika pour qu’une telle mise à sac du pays ne se reproduise plus. Car c’est de cela qu’il s’agit : un pillage en règle et à ciel ouvert des richesses nationales.

Comment un pays doté de toutes les institutions qui font d’un pays un État moderne et de tous les outils juridiques, humains et techniques devant permettre une gestion saine de ses affaires a pu se laisser saigner à une telle échelle ? Répondre à cette question centrale serait déjà un pas vers une refondation de l’État sur des bases saines. Ce serait aussi lever le voile sur le fonctionnement du système mis en place par Bouteflika, un système où tous les contre-pouvoirs ont été neutralisés, la justice instrumentalisée, les médias mis aux ordres ou étouffés et la loi castrée, quand elle n’est pas conçue pour protéger la prédation comme celle de 2006 relative à la prévention de la corruption qui avait déclassé de nombreux crimes en délits.

Sans doute que la saignée n’aurait pas atteint les proportions qu’on découvre depuis la mise en branle de la machine judiciaire sans la conjonction d’un facteur exogène qui, dans d’autres circonstances, aurait fait le bonheur du pays : l’embellie financière induite par une hausse sans précédent des prix des hydrocarbures, principale source de revenus du pays. Pendant plus d’une décennie, soit la moitié de la durée de la présidence Bouteflika, le pétrole s’est vendu à des prix jamais atteints, frôlant même les 150 dollars le baril en 2008.

L’aisance avait duré jusqu’à fin 2014, portant les réserves de change du pays à des niveaux qui feraient pâlir beaucoup de pays industrialisés. Ce n’est pas un hasard si, parmi les responsables mis aux arrêts à la prison d’El Harrach, figurent deux Premiers ministres ayant été aux affaires durant cette période faste : Ahmed Ouyahia (2008-2012) et Abdelmalek Sellal (2012-2017). Il leur est reproché de n’avoir pas respecté le principe d’équité dans l’octroi de gros marchés publics, raflés systématiquement par la même coterie.

Même surfacturés, les projets octroyés aux Haddad, Kounief et autre Tahkout, n’expliquent pas toute la saignée. Car aux passe-droits dans l’attribution de la commande publique, se sont greffés les mauvais choix politiques et stratégiques du président omnipotent.

Sous l’impulsion de Bouteflika, le pays a tourné le dos à l’expertise nationale et à celle des institutions et cabinets internationaux qui auraient pu l’aider à mieux gérer son argent et ses projets. La vision dogmatique du chef de l’État a coûté cher à l’Algérie. Les démembrements de l’État n’avaient pas l’habitude de manipuler des sommes colossales comme celles débloquées pour l’autoroute Est-Ouest, le métro, les lignes de tramway, les CHU ou les grands stades de football et conséquemment, aucune expertise dans le management de tels projets.

Au fil des années, de rallonges en avenants, toutes ces « réalisations » étaient devenues des tonneaux des danaïdes pour les finances publiques. L’autoroute a englouti le double de son budget initial alors que celui-ci était déjà de loin supérieur aux prix pratiqués ailleurs, du moins chez nos voisins immédiats. Ce n’est qu’un exemple mais cela est valable pour beaucoup de projets d’envergure voulus par Bouteflika qui, par-dessus tout, a fait payer au pays une mosquée à deux milliards de dollars. Mais qui pouvait lui dire non ?

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