Politique

Vers une loi criminalisant le colonialisme ?

C’est peut-être pour la première fois qu’un dossier lié à la mémoire sera au menu du Conseil des ministres. Dans son communiqué publié ce samedi, la présidence de la République a indiqué qu’un exposé ministériel lié à la mémoire nationale sera examiné au cours de ce conseil prévu ce dimanche.

On ignore pour l’heure la nature de ce dossier mais tout porte à croire qu’il s’agirait d’une éventuelle réactivation du projet de Loi sur la criminalisation du colonialisme, initié par un groupe de députés en 2009, mais mis sous le boisseau depuis.

En attendant ce que va révéler l’exposé, cette programmation n’a rien de fortuit : elle vient confirmer la décision des autorités de remettre sur la table le contentieux mémoriel qui empoisonne souvent les relations entre l’Algérie et son ancien colonisateur.

« La grandeur d’un État se voit lors de la célébration des pages glorieuses de son histoire, mais il est jugé à travers sa capacité à regarder en face les pages horribles de cette même histoire », a écrit le 08 Mai dernier dans un tweet, lourd de sens, le président Abdelmadjid Tebboune.

Message de Tebboune

Publié le jour de la célébration de l’anniversaire des massacres du 8 mai 1945, le texte invitait implicitement les autorités françaises à reconnaître et à assumer les crimes commis durant la colonisation.

La veille dans un message à la Nation, Abdelmadjid Tebboune a estimé que ces évènements tragiques « ont mis à nu définitivement le véritable visage de la colonisation française qui a exterminé, détruit, brûlé, exilé, violé… et tenté d’occulter la personnalité nationale et de semer les germes de la discorde et de la division ».

«La répression sanglante et sauvage de la colonisation abjecte demeurera une marque d’infamie collée au front du colonisateur qui a commis, 132 années durant, des crimes imprescriptibles à l’encontre de notre peuple malgré les multiples tentatives de les effacer car le nombre de victimes a dépassé cinq (5) millions et demi de personnes tous âges confondus, soit plus de la moitié des habitants de l’Algérie sous l’occupation coloniale », avait-il ajouté.

Tensions entre Alger et Paris

Le discours pouvait paraitre de circonstance, mais il semblait déjà indiquer un début de tension entre Alger et Paris et dont les prémisses étaient perceptibles quelque semaines plutôt lorsque l’ambassadeur de France à Alger avait été convoqué après la diffusion par une chaine de télé de propos critiquant la gestion par les autorités algériennes de la crise du Covid 19.

« L’ambassadeur de France en Algérie a été convoqué, ce jour, 31 mars 2020, par M. le ministre des Affaires étrangères, qui lui a fait part des vives protestations de l’Algérie suite aux propos mensongers, haineux et diffamatoires à l’égard de l’Algérie et de ses autorités tenus, tout récemment, sur un plateau d’une chaîne de télévision publique française », avait indiqué un communiqué du ministère des Affaires étrangères.

« Tout en demandant à l’ambassadeur de France en Algérie de porter ces protestations aux plus hautes autorités de son pays, le ministre des Affaires étrangères a déploré que cette chaîne persiste dans son dénigrement systématique de l’Algérie au moment où tous les efforts doivent converger vers la lutte contre la pandémie du Covid-19 », avait ajouté le texte.

Sans donner suite à ces protestations officielles, la France s’est abrité derrière le principe de la liberté dont jouissent ses médias.

Il y a quelques jours, ce sont deux émissions diffusées simultanément par deux chaines de télévisions sur le « Hirak » qui de nouveau suscitent le courroux d’Alger qui décide de rappeler son ambassadeur, une première depuis 1995.

« Le caractère récurrent de programmes diffusés par des chaines de télévision publiques françaises, dont les derniers en date sur France 5 et la Chaine Parlementaire, le 26 mai 2020, en apparence spontanés et sous le prétexte de la liberté d’expression, sont en fait des attaques contre le peuple Algérien et ses institutions ; dont l’ANP et sa composante, la digne héritière de l’Armée de Libération Nationale (ALN) », a estimé le ministère des Affaires étrangères dans un communiqué, dissimulant difficilement l’agacement.

Y a-t-il un lien entre cette escalade et la remise sur la table du contentieux mémoriel ? Possible. Il faut dire que depuis la déclaration du président Macron à Alger en 2017 qualifiant le colonialisme de crime contre l’humanité, les dossiers liés à la mémoire, dont la restitution promise des crânes des martyrs, sont restés au point mort.

D’où peut-être la volonté des autorités algériennes d’avoir une explication avec l’ancienne puissance coloniale. « Cette fois, une explication franche est nécessaire pour préserver les intérêts de chacun des deux pays. Le reset se fera à cette condition », a expliqué à TSA une source proche du dossier.

Mais au regard du contexte prévalant dans les deux pays, il n’est pas exclu que d’autres enjeux y soient liés.

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