Économie

Vers une redistribution des cartes dans l’industrie du montage automobile

Après les procès spectaculaires du début du mois de décembre, la filière automobile, objet de toutes les attentions des pouvoirs publics au cours des dernières années, a aujourd’hui beaucoup des apparences d’un champ de ruines.

Est–on à la fin d’une séquence « affairiste » du développement d’un secteur qui sera capable de rebondir dans les prochaines années avec de nouvelles règles du jeu ? Ou bien doit-on renoncer définitivement à l’ambition de construire une industrie automobile nationale ? C’est un des dossiers les plus chauds sur lequel le prochain gouvernement devra se pencher.

Pour l’industrie automobile algérienne naissante, l’année 2019 aura été marquée par un coup d’arrêt brutal. Dès le mois de mai, le ministère de l’Industrie avait fixé, d’une façon unilatérale, les quotas d’importation des kits destinés aux usines de montage automobile en Algérie. Seules quatre usines ont été autorisées à poursuivre leur activité au prix d’une forte réduction de leurs importations d’intrants : Renault, Sovac, Tahkout (TMC) et KIA.

Les autorités algériennes n’en sont pas restées là et des poursuites judiciaires ont été engagées presque simultanément contre les concessionnaires qui se sont mués trop rapidement en « constructeurs ». En septembre, des administrateurs ont été nommés à la tête des groupes Tahkout, Sovac, et GMI (KIA) dont les dirigeants ont été incarcérés.

Le procès spectaculaire de la filière automobile organisé au début du mois de décembre a vu la condamnation, à de lourdes peines de prison, de pas moins de deux anciens Premiers ministres et de deux ministres de l’Industrie ainsi que de Mohamed Bairi d’Ival, de Hassan Arbaoui de KIA Algérie et d’Ahmed Mazouz de GM Trade.

Une filière industrielle sinistrée

Dans l’immédiat, les « mesures d’urgence » prises par le gouvernement Bedoui depuis le printemps dernier ont eu pour conséquence la fermeture au moins provisoire de la plupart des usines et la mise en chômage technique de leur personnel du fait que le quota d’importation qu’il leur a été attribué au titre de l’année en cours est épuisé depuis la fin de l’été. Les très nombreux show-rooms installés à grand frais dans l’ensemble du pays sont quasiment vides et présentent une apparence désolée.

Pour maintenir, à moindre frais, un flux minimum d’entrée de véhicules sur le marché national, la parade imaginée par le gouvernement s’est limitée pour l’instant à rétablir une autorisation d’importation des véhicules d’occasion de moins de trois ans dans la Loi de finances pour l’année 2020 qui entre en vigueur le 1er janvier.

La gestion d’une filière du montage automobile sinistrée sera donc certainement un des dossiers les plus chauds pour le gouvernement qui sera constitué dans les prochains jours.

Quelles seront les orientations du nouvel Exécutif dans ce domaine ? La Foire de la production nationale qui a été inaugurée par le président Tebboune au début de la semaine dernière a sans doute déjà livré quelques indications.

Pour le chef de l’Etat fraîchement élu qui effectuait sa première sortie publique, « certains projets de la filière automobile ne peuvent être qualifiés d’industrie, car il s’agit simplement d’une importation déguisée ». «Nous ne pouvons avoir un accès forcé à l’industrie, c’est pourquoi nous serons appelés à réviser les procédures d’importation et à traiter certaines pratiques immorales entachant cette opération», a également indiqué le président Tebboune.

De façon paradoxale, ces premières déclarations pourraient plutôt constituer une bonne nouvelle pour l’avenir immédiat de la filière auto. Elles semblent indiquer tout d’abord que seuls « certains projets » sont frappés de suspicion et que ces derniers, après le traitement par la justice algérienne des « pratiques immorales » auxquelles ils ont donné lieu pourraient poursuivre leur existence moyennant une révision des conditions de leur fonctionnement.

Renault Algérie, premier bénéficiaire

Le groupe Renault Algérie pourrait bien être le principal bénéficiaire de la redistribution des cartes qui s’annonce.

Son usine de Oued Tlelat semble la seule à avoir globalement échappé à la tourmente traversée par le secteur au cours de l’année écoulée.

En faisant écho aux déclarations d’Abdelmadjid Tebboune, Renault Algérie a également saisi l’occasion de sa présence à la Foire de la production nationale pour « confirmer sa volonté de poursuivre ses investissements en Algérie, et notamment de réaliser son projet CKD, qui doit conduire à de nouvelles créations d’emplois, un accroissement du taux d’intégration locale ainsi qu’au développement de l’exportation de pièces automobiles ».

Renault Algérie « pionnier de la construction automobile en Algérie » depuis novembre 2014 valorise, de façon très significative, l’activité de son usine de Oued Tlelat, en rappelant qu’elle est le fruit d’ « un partenariat solide et durable entre le Groupe Renault, la SNVI et le FNI » qui a permis « d’intégrer à sa chaîne de montage 3 modèles en 5 ans et de créer près de 1 300 emplois directs ».

Pour bien indiquer qu’il respecte les engagements pris à l’égard des pouvoirs publics, Renault Algérie met en exergue l’effort fait au regard de l’intégration locale. Selon les informations fournies par la direction, Renault Algérie Production est aujourd’hui impliquée dans le développement de la sous-traitance locale avec huit fournisseurs locaux de pièces nécessaires à la construction automobile de cette marque. La marque au losange a ainsi invité sur son stand trois de ses sous-traitants locaux, les entreprises SITEL pour le câblage, Sarel pour les pièces plastiques, et Martur pour la fabrication de sièges.

Vers « une deuxième phase pour l’industrie automobile » ?

Au mois de novembre dernier, la ministre de l’Industrie se montrait plutôt rassurante pour l’avenir immédiat d’au moins une autre usine de montage existante. En recevant les ambassadeurs d’Allemagne, d’Espagne et de Tchéquie, accompagnés des représentants des trois marques assemblées dans l’usine de Relizane, Mme Tamazirt assurait qu’« après les réajustements opérés en 2019, l’activité du groupe Sovac reprendra son cours normal en 2020 ».

Un communiqué du ministère de l’Industrie et des Mines précisait qu’« un plan de développement de la sous-traitance impliquant des équipementiers a été présenté dans l’objectif de renforcer l’intégration et l’activité industrielle du Groupe, et de s’orienter vers l’exportation des pièces, composants et véhicules dans le strict respect de la réglementation ».

Mme Tamazight s’était également « félicitée de l’engagement du groupe Volkswagen à développer l’intégration, la sous-traitance et l’exportation, qui constituent les objectifs assignés à cette deuxième phase de l’industrie automobile en Algérie ».

Cette « deuxième phase » de l’industrie du montage automobile concernera-t-elle aussi l’usine Gloviz (KIA) de Batna qui se trouve actuellement dans une situation très proche de celle de Sovac avec des dirigeants emprisonnés et un administrateur nommé par les pouvoirs publics ?

C’est en tous cas ce que semblait souhaiter, également en novembre dernier, le PDG de Kia Motors Corporation pour la région Moyen-Orient et Afrique, Kim Kyung Hyeon, qui a plaidé en faveur du projet implanté dans la capitale des Aurès. Faisant l’éloge de l’usine Kia en Algérie, M. Hyeon a assuré que ce site « a la capacité de répondre aux attentes de l’Etat algérien de mettre en œuvre la pleine industrialisation Full CKD, la première du genre en Afrique ».

Le dirigeant de KIA précisait : « En attendant l’accréditation finale pour mener à bien l’activité de fabrication automobile, Gloviz, filiale de Global Group, a déposé, au niveau du ministère de l’Industrie et des Mines, avec notre soutien, un dossier complet, dans lequel nous avons contribué au capital de la société ».

Une usine Peugeot au premier semestre 2020

Un autre dossier semble continuer à faire son chemin en ignorant la tourmente traversée par le secteur. Il s’agit de l’usine du Groupe Peugeot Citroën (PSA) en Algérie qui devrait être opérationnelle au mois de mai prochain. C’est ce qu’a encore affirmé, à la mi novembre, le directeur de la région Moyen-Orient-Afrique à PSA, M. Samir Cherfan.

« L’usine commence à prendre forme », a-t-il indiqué en précisant que le site sur lequel seront assemblés les modèles de la marque au lion est en construction et que les travaux de réalisation avancent à une cadence « soutenue ».

Élément important souligné par le directeur de zone, l’usine de PSA, à Tafraoui, débutera son activité directement en mode CKD grâce notamment à l’intégration de plusieurs fournisseurs locaux qui approvisionnent déjà l’usine de Renault.

« Nous sommes en étroite communication avec les autorités algériennes quant à l’avancement de la réalisation du projet et nous avançons à pleine charge, sans aucune hésitation, pour la concrétisation du projet et ainsi remettre nos marques à la place qu’elles méritent sur le marché algérien », a assuré M Cherfan.

Éviter la répétition des erreurs du passé

Dans le but de consolider une filière automobile naissante, le gouvernement algérien était appelé depuis de nombreuses années par beaucoup de spécialistes à s’appuyer sur un nombre limité de grands constructeurs plutôt que de continuer à compter sur une multiplicité d’intervenants .

Les résultats, catastrophiques, des choix effectués dans ce domaine par des responsables gouvernementaux trop sensibles aux sollicitations des industriels « amis » et qui ont multiplié les agréments à de nouveaux « constructeurs » sont désormais visibles en clair.

La situation actuelle du secteur constitue sans doute une occasion pour le futur gouvernement de remettre à plat l’ensemble d’un dossier qui a au cours des dernières années trop souffert d’une gestion à courte vue et fortement entachée d’affairisme.

Dans une intervention publique récente , la présidente de l’Upiam, Latifa Turki-Liot, invite les pouvoirs publics à ne pas répéter les erreurs d’un passé récent : « Avant de mettre en place des politiques publiques, quel que soit le secteur d’ailleurs, il y a lieu de réunir tous les acteurs (associations, opérateurs, constructeurs) et travailler avec eux en étroite collaboration, tracer avec eux une feuille de route cohérente et viable. Ce n’est pas aux fonctionnaires de décider seuls de l’avenir économique de notre pays ».

« Des sous-traitants ont fait le pas d’aller vers cette industrie, les usines de production emploient des centaines de personnes. Nous avons décidé de supprimer la loi 51-49. Cela veut dire que des équipementiers peuvent désormais s’installer sous forme de filiales à 100%, ce qui change complètement la donne. C’est comme si on écrivait une nouvelle page dans cette industrie. Nous espérons que le nouvel Exécutif saura l’intégrer dans sa démarche », a-t-elle ajouté.

 

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