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Violence, obscurantisme, extrémisme, rejet de l’autre : ces clichés sur les Algériens démentis par les manifestations

Violence, obscurantisme, extrémisme, rejet de l’autre : ces clichés sur les Algériens démentis par les manifestations

Les manifestations massives et pacifiques contre le cinquième mandat et le pouvoir qu’organisent les Algériens depuis le 22 février à travers tout le pays ont levé le voile sur des aspects de la société algérienne jusque-là insoupçonnés.

De nombreux clichés, entretenus par le pouvoir, des médias de masse et les réseaux sociaux qui ont tendance à placer les éléments et événements négatifs au cœur de l’image, ainsi que par une certaine littérature, des écrivains qui s’expriment plus souvent au nord de la Méditerranée qu’à son sud, sont démentis par les démonstrations de force, de civisme et de non-violence, faites par les Algériens dans leurs marches.

Les jeunes Algériens violents ?

La jeunesse algérienne a été longtemps présentée comme violente par nature, agressive, et comme une matière hautement inflammable, prête à s’embraser dans un déchaînement de violence à la moindre étincelle. Les marches de plus d’un million de manifestants à Alger et de plusieurs centaines de milliers dans certaines grandes villes du pays ont démontré le contraire. On y a vu des jeunes largement majoritaires parmi les manifestants, exprimer leur rejet du pouvoir et dénoncer leur situation de façon drôle, énergique, mais toujours non-violente.

Les manifestations contre le cinquième mandat ont laissé voir une jeunesse algérienne dynamique, intelligente, créative dans ses slogans, non-violente et au grand sens de la solidarité. Nombre d’entre eux ont lancé des initiatives, sans concertation ni planification, certaines pour nettoyer les rues, d’autres pour soigner les blessés, pour offrir à boire et à manger aux autres manifestants, et même pour organiser des chaînes humaines pour faire barrière entre cordons de CRS et manifestants aux points chauds. Si la première intention de ces initiatives est d’aider et de contribuer au mouvement, l’arrière-pensée des jeunes qui en sont les auteurs n’est pas moins louable, ils ne veulent ni plus ni moins que donner une belle image du peuple algérien.

Lors des marches, les jeunes citoyens ont protégé et soutenu les personnes âgées et les femmes. Des jeunes filles, des parents avec leurs enfants et des personnes âgées, ont été protégées, lors des bousculades, par ces mêmes jeunes. Ces actions sont plus représentatives des millions de jeunes Algériens qui ont marché à travers le pays que les quelques actions violentes menées par à peine quelques dizaines de casseurs qui ont profité de l’occasion, les vendredis soirs, pour s’en prendre aux biens publics et privés près de la Présidence.

Un peuple démissionnaire ? Politiquement apathique ?

L’autre cliché tenace collé aux Algériens depuis l’arrivée d’Abdelaziz Bouteflika au pouvoir est celui d’un peuple démissionnaire, politiquement apathique, éloigné des préoccupations politiques. Un cliché lui aussi démenti par la protestation nationale générale contre le cinquième mandat, aussi bien dans sa forme que dans son fond.

L’absence de réaction massive de la part des Algériens à la révision de la constitution en 2008 grâce à laquelle Abdelaziz Bouteflika a pu briguer un troisième mandat, puis en 2014, lorsqu’il a été réélu pour un quatrième mandat est à l’origine de ce cliché. Aujourd’hui, il semble que cette inaction des Algériens fait bel et bien partie du passé.

La « démission politique » des Algériens est elle aussi démentie par les impressionnantes manifestations du rejet du cinquième mandat. On y a vu des Algériens non seulement impliqués dans la décision de l’avenir de leur pays mais aussi conscients des enjeux sécuritaires et politiques profonds. Leur insistance à rester, coûte que coûte, pacifiques et leur refus de toute récupération et de toute mise sous tutelle de leur mouvement démontrent ce degré de conscience politique que les Algériens ont atteint et que, certainement, personne ne soupçonnait.

La mise à jour des slogans des manifestants lors des marches du 15 mars, pour répondre aux réactions internationales à la protestation populaire et dire non à toute ingérence étrangère ont démontré de façon encore plus claire la réactivité de l’opinion publique algérienne et sa conscience des risques et enjeux qui entourent leur mouvement.

Les Algériens intolérants et divisés ?

« Les Algériens sont intolérants et divisés », un cliché relayé par la rumeur publique et même couché sur le papier par des écrivains et des journalistes régulièrement invités sur les plateaux de télévision étrangers. Pourtant, le vendredi 8 mars, et encore plus le vendredi 15 mars, on a vu tout le contraire de cette image.

Alger, la capitale, a une population composée d’habitants originaires de toutes les régions du pays, où une réelle mixité culturelle et sociale existe, où tous les courants idéologiques, culturelles et où tous les parles d’Algérie se côtoient quotidiennement. Dans cette ville, plus d’un million de citoyens ont marché deux vendredis d’affilée contre le pouvoir, donnant une occasion rare de voir un cliché panoramique embrassant toutes les composantes du peuple algérien.

L’image obtenue est celle d’une population très diverse sur tous les plans mais qui a su unir ses voix lorsqu’il a fallu défendre une cause cruciale pour l’avenir du pays. Les drapeaux algériens étaient très nombreux dans la manifestation, ce qui est normal, l’Algérien étant connu pour son amour viscéral de son drapeau, mais la nouveauté est la présence, en force, des drapeaux amazighs. Symbole longtemps associé par des politiciens malintentionnés à un risque de division pour le pays, le drapeau amazigh est, on l’a vu pendant les marches, toléré, salué, acclamé par la majorité des manifestants, qu’ils soient amazighophones ou arabophones.  Un progrès prodigieux que beaucoup ne pensaient possible que sur le très long terme. Les slogans en Tamazight ont également été scandés et inscrits sur de nombreuses pancartes à Alger, tout comme en français, en anglais et en de nombreuses autres langues. L’intolérance linguistique et culturelle souvent attribuée aux Algériens qui se diraient, d’après la légende, « seulement arabes et musulmans », serait donc infondée.

Dans les cortèges de manifestants, femmes voilées ont marché aux côtés de femmes sans voile, des barbus en qamis ont défilé aux côtés d’hommes en jeans, en costumes ou en survêtements, s’échangeant sourires et amabilités. La marche de ce vendredi était une célébration, presque une fête familial, à voir les chaleureux échanges et la solidarité entre manifestants aux apparences tellement différentes.

Les clubs de football du pays étaient tous représentés vendredi à Alger par leurs supporters et les images montrant des supporters aux couleurs de la JSK, du MCA, de l’USMH, de l’USMA ou d’autres clubs, manifestant ensemble dans la joie sont nombreuses. Un démenti cinglant de la réputation de voyous violents et intolérants collée, sans distinction, à tous ces supporters. Mieux encore, les supporters de tous ces clubs se sont retrouvés par centaines, autour d’instruments de musique, à plusieurs endroits de la capitale,  et ont fait de la marche du vendredi 15 mars une grande fête.

Les Algériens sous l’emprise de l’islamisme ?

Les slogans religieux, islamistes, obscurantistes ont été très rares lors de la manifestation du 8 mars à Alger, ils étaient même presque inexistants. Dans les immenses foules qui ont marché à travers le pays ces autres derniers vendredis, surtout à Alger, toutes les scènes ont fait penser à une société algérienne qui se réconcilie avec elle-même et avec la joie de vivre et qui évince les théories obscures des islamistes.

De jeunes couples se tenant par la main, s’enlaçant, sans être inquiétés par qui que ce soit, des jeunes filles en jupes, en jeans, en robes manifestant au milieu de milliers de jeunes, des slogans appelant à une Algérie libre et démocratique et non à un Califat, et la mixité apaisée entre les deux sexes, les couleurs mêmes de la manifestation peuvent être le reflet de tout sauf d’une société sous l’emprise totale de l’islamisme.

Sur le boulevard Mohamed 5, le vendredi 8 mars en milieu d’après-midi, une poignée de jeunes manifestants, voulant reproduire le style vestimentaire « afghan » des membres du FIS pendant les années 90 et entonnant des chants du parti dissout ont fait irruption parmi les manifestants. Ils ont été ignorés par la plupart des manifestants alors que d’autres riaient à leur passage ou les regardaient d’un air ahuri.

Le vendredi 22 mars, c’était le tour de Djaballah Abdellah, Président du parti islamiste FJD, de se faire huer et chahuter par les manifestants parmi lesquels il a tenté de « s’incruster ». Même les drapeaux du MAK, auparavant nombreux dans les manifestations en Kabylie commencent à se faire plus rares.

Les extrémismes, qu’ils soient régionaux, religieux ou politiques ne font plus recette dans la société algérienne qui a déjà pris un virage vers plus de tolérance, de cohésion et de liberté.

Tout comme le consensus national que les partis politiques ont échoué à atteindre et que le peuple a fini par construire dans la rue, il paraît que la véritable réconciliation nationale entre Algériens n’est pas celle promulguée par un texte de loi mais celle qui est sans cesse proclamée par les citoyens dans la rue depuis le 22 février.

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