Économie

Yassir, une success story qui illustre le paradoxe algérien

L’entreprise algérienne de VTC (services de transport avec chauffeur) Yassir vient de réaliser un autre exploit en procédant à une levée de fonds record sur les marchés internationaux.

La start-up fondée par des Algériens dans la Silicone-Valley (Etats-Unis) a annoncé mardi 8 novembre avoir levé 150 millions de dollars auprès d’investisseurs mondiaux de premier plan.

| Lire aussi : Retour sur le succès de Yassir, le « Uber algérien »

Une opération qui fait suite à celle d’il y a un an et qui a vu Yassir lever 30 millions de dollars. Il s’agit d’un signe qui ne trompe pas sur la croissance fulgurante de l’entreprise et de la confiance dont elle jouit auprès des investisseurs internationaux.

Dans son communiqué, Yassir, qui revendique deux millions d’utilisateurs dans plusieurs pays, dont l’Algérie, se définit comme « l’entreprise la plus valorisée de l’Afrique du Nord ». La success-story révèle aussi le potentiel de développement énorme du marché algérien, mais aussi ses contradictions et ses paradoxes.

Car sur le terrain, pour Yassir et ses chauffeurs, la vie n’est pas un long fleuve tranquille. L’entreprise a été lancée en 2007 sur le modèle de l’américain Uber.

Le succès de l’application en Algérie est immédiat, tant la demande était très forte, tant des usagers qui faisaient face à un déficit des services de transport en milieu urbain, et que des chauffeurs dans un pays à fort taux de chômage.

Beaucoup de propriétaires de véhicules ont en fait un métier à part entière ou un moyen d’arrondir les fins de mois.

Le succès est tel que de nombreuses autres applications offrant le même service ont vu le jour.

Pour les Algériens, qui peinaient à trouver un taxi, c’est le soulagement, comme ils l’expriment sur les réseaux sociaux.

Yassir offre une plus grande flexibilité que les taxis traditionnels, notamment pour le choix de l’horaire et de la destination, et de meilleurs prix.

Yassir a poursuivi son ascension, élargissant  sa gamme de produits (livraisons de marchandises et de plats préparés) et en investissant le marché international. En plus de l’Algérie où elle est présente dans 25 villes, elle est aujourd’hui implantée au Canada, en France, au Maroc, en Tunisie et au Sénégal. Elle compte actuellement 40 000 collaborateurs et deux millions d’utilisateurs.

Le fondateur de Yassir, Noureddine Tayebi, est un produit de l’école algérienne. Diplômé de l’école Polytechnique d’El Harrach (Alger), il est aussi titulaire d’un doctorat à l’université de Stanford (Etats-Unis). Il a à son actif une quarantaine de brevets d’invention en nanotechnologies.

Lui et ses compagnons ont le sens de l’anticipation. L’entreprise était déjà florissante et fait de l’Algérie le leader africain du VTC, lorsque, début 2020, les autorités algériennes ont décidé de miser sur les start-up et d’en faire un outil important de la relance de la croissance et de la diversification de l’économie algérienne. Sauf que l’un des maux principaux du marché algérien c’est les contradictions contenues dans la législation.

Yassir illustre le paradoxe algérien

Dans le cas de Yassir, ce sont ses chauffeurs qui font face sur les routes à un véritable casse-tête : les agents de l’ordre leur exigent des autorisations d’exercer l’activité de chauffeurs de taxi, qu’ils n’ont évidemment pas.

Sur les réseaux sociaux, les témoignages se multiplient sur des cas de chauffeurs verbalisés ou de voitures mises en fourrière. La situation est en effet paradoxale : l’entreprise active légalement, paye ses impôts mais ses chauffeurs n’ont pas de statut légal.

Ce casse-tête a été pris en charge par le gouvernement, avec le projet de loi sur l’auto-entrepreneur qui a été validé en juin en conseil des ministres et qui devrait être adopté par le Parlement dans les prochains jours.

Hasard du calendrier, l’annonce de la levée de fonds de Yassir survient alors que ce projet de loi est en débat au Parlement. Dans la foulée, le ministre de l’Economie de la connaissance et des Startups a félicité Yassir et a promis que le problème des sociétés de VTC sera pris en charge par la loi sur l’auto-entreprenariat, présenté devant le Parlement.

« Mes félicitations à Noureddine Tayebi et l’entreprise Yassir qui a pu lever des fonds de 150 millions de dollars auprès d’investisseurs américains pour financer son déploiement en Afrique et en Europe, ce qui est la plus grande levée de fonds en Afrique du Nord et fait de Yassir l’entreprise la plus valorisée en Afrique du Nord et au Moyen-Orient », a écrit Yacine Oualid sur sa page sur Facebook, mardi.

« Cette courbe ascendante de Yassir, qui était hier une start-up avec trois employés, est une locomotive pour l’écosystème technologique algérien, et un exemple du fort potentiel de croissance en Algérie et en Afrique », a ajouté le ministre des Startups.

Interpellé par des internautes après la publication de ce message, Yacine Oualid a répondu que le statut des entreprises de VTC est pris en charge dans son projet de loi sur l’autoentrepreneur qu’il a présenté le jour-même au Parlement.

Devant le Parlement, le ministre a répondu aux doléances soulevées concernant les entraves faites aux chauffeurs sur le terrain et défendu la cause de ce genre d’entreprises.

Rien que dans les services de VTC, Yassir et les nombreuses autres applications font travailler 60 000 chauffeurs, sans compter le personnel administratif et autres.

Le vide juridique sera comblé par la loi en cours d’élaboration sur l’auto-entreprenariat, a-t-il promis. Une mise à jour de la réglementation qui aurait dû être à l’origine du succès et non une résultante de celui-ci. C’est là tout le paradoxe du marché algérien.

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