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Islam, jeunesse et réseaux sociaux en Algérie : une autorité spirituelle à réinventer

Azzedine Gaci, recteur de la mosquée "Othmane" de Villeurbanne (France), revient sur les récentes polémiques sur les réseaux sociaux en Algérie autour d’avis juridiques.

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Islam, jeunesse et réseaux sociaux en Algérie : une autorité spirituelle à réinventer
Hammad Lilia
Durée de lecture 3 minutes de lecture
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CONTRIBUTION. Les récentes polémiques nées sur les réseaux sociaux en Algérie, autour d’avis juridiques tranchants émis par de jeunes individus sortis de nulle part, sans aucune formation théologique ni légitimité institutionnelle, ont suscité une vive inquiétude. Ces prises de position, souvent catégoriques et déconnectées des réalités du doit musulman (fiqh), mettent en lumière une crise bien plus profonde : celle de la transmission religieuse, de l’autorité spirituelle et de l’encadrement des jeunes à l’ère du numérique.

Une formation religieuse fragmentée et insuffisante

La première question posée par ces dérives concerne l’apprentissage de l’islam chez les jeunes Algériens. Où, comment, et par qui sont-ils formés aujourd’hui ?

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En Algérie, la famille demeure un acteur central dans la transmission des valeurs religieuses dès le plus jeune âge. De nombreux enfants sont inscrits à la mosquée pour y mémoriser le Coran. Mais au-delà de cet apprentissage, les enseignements dispensés sont souvent superficiels, sans véritable approfondissement théologique ou éthique.

L’école, quant à elle, dispense un enseignement religieux restreint, limité en moyenne à une ou deux heures par semaine. Ce dernier se focalise principalement sur des prescriptions formelles – ce qui est considéré comme halal ou haram – au détriment d’une approche critique, contextualisée et approfondie des textes, en particulier au niveau du secondaire. Certaines associations religieuses tentent parfois de pallier ces manques, mais elles manquent de moyens, et certaines sont marquées par des affiliations idéologiques qui orientent leur discours.

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En l’absence de repères clairs et de cadres de référence solides, nombreux sont les jeunes qui se tournent vers Internet et les réseaux sociaux pour construire leur rapport à la religion. Cette tendance favorise l’émergence de discours simplistes, décontextualisés, voire radicalisés, portés par des influenceurs religieux ou des figures d’autorité autoproclamées, sans formation rigoureuse ni légitimité institutionnelle.

L’autorité religieuse : affaiblie, concurrencée, contestée

La deuxième question, fondamentale, est celle de l’autorité religieuse. Qui, aujourd’hui, peut prétendre parler au nom de l’islam en Algérie ? L’accès démocratisé aux réseaux sociaux permet à quiconque de publier ou de diffuser des avis religieux, bien souvent sans fondement méthodologique. Cette prolifération engendre une confusion préoccupante : de nombreux Algériens ne savent plus à qui accorder leur confiance. Ils peinent à faire la distinction entre une parole fondée sur le savoir légitime et une opinion personnelle, parfois erronée, voire potentiellement dangereuse.

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Les institutions religieuses officielles – comme le ministère des Affaires religieuses ou le Haut Conseil islamique – semblent de plus en plus marginalisées dans le tumulte du paysage numérique. Leurs discours, souvent plus nuancés, mesurés et ancrés dans une certaine rigueur institutionnelle, peinent à rivaliser avec les interventions virales de prédicateurs controversés. Ces derniers, grâce à leur maîtrise des codes de la communication en ligne, captent une large audience et séduisent une partie de la jeunesse en quête de repères clairs et de certitudes, même au prix de positions radicales.

Pourtant, dans la tradition islamique, la légitimité religieuse ne se décrète pas : elle se forge au fil d’années d’étude rigoureuse, s’appuie sur une chaîne de transmission authentique et repose sur une éthique de la responsabilité. Il est urgent de redonner à cette autorité sa place, non pas en l’imposant par le haut, mais en la rendant audible, crédible et pertinente aux yeux des nouvelles générations. Cela suppose une parole religieuse accessible, réactive, pédagogique, et profondément ancrée dans les réalités contemporaines.

Une responsabilité collective face aux dérives

Enfin, la troisième question nous renvoie à notre responsabilité collective : comment accompagner les jeunes dans leur quête spirituelle, à l’heure où les réseaux sociaux diffusent sans filtre des contenus religieux non vérifiés, orientés, voire extrémistes ?

Les institutions religieuses et éducatives ne peuvent plus se contenter d’un enseignement théorique, figé et déconnecté des réalités numériques. Il devient urgent de former une nouvelle génération d’imams, d’enseignants et de médiateurs capables de dialoguer avec leur époque, de maîtriser les codes des réseaux sociaux, et d’offrir des réponses à la fois enracinées dans la tradition islamique et adaptées aux attentes d’une jeunesse en quête de clarté, de sens et de nuance.

Les familles, les mosquées, les écoles, les associations, les médias et l’État ont chacun un rôle à essentiel jouer. Il ne s’agit pas uniquement de condamner les dérives ou de censurer les discours déviants, mais bien de bâtir une culture religieuse vivante, critique et apaisée. Une culture qui valorise le questionnement, accueille les doutes avec sérieux, et offre des réponses solides et crédibles aux aspirations spirituelles de la jeunesse.

À l’heure où la parole religieuse se fragmente, se viralise et parfois se radicalise en ligne, il est plus que jamais nécessaire de restaurer une autorité spirituelle légitime, éclairée et connectée aux réalités de notre pays et de notre époque. Sans repères fiables, c’est toute une génération qui risque de se perdre dans les méandres de la foi numérique.

À l’heure où l’obsession du « halal et du haram » domine les débats, et où la parole religieuse se « tiktokise », se fragmente, se viralise, voire se radicalise sur les réseaux sociaux, il devient plus que jamais nécessaire de restaurer une autorité spirituelle à la fois légitime, éclairée et enracinée dans les réalités de la société algérienne. Car sans repères solides et crédibles, c’est une génération entière qui risque de s’égarer dans les dérives, les certitudes simplistes et les confusions d’une foi numérique éclatée.

*Recteur de la mosquée « Othmane » de Villeurbanne (France).

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