Culture, Médias, Technologies

À la rencontre de Boudjedra, Idir et des écrivains du monde entier

Grande affluence au 22e Salon international du livre d’Alger (SILA) durant les trois premiers jours. Le salon se déroule jusqu’au 5 novembre au Palais des expositions des Pins maritimes à l’est de la capitale. Ce week-end ensoleillé, il n’y avait plus de places dans les parkings y compris dans ceux du centre commercial mitoyen Ardis.

Les visiteurs viennent de plusieurs régions du pays. «C’est la seule occasion pour nous pour ne pas dire l’unique occasion d’acheter des livres récents », confie Djamel qui s’est déplacé de M’sila. Une forte présence des étudiants est également constatée.

« Mais, les prix sont trop élevés pour nous. Il faudra plusieurs bourses pour acheter un manuel scientifique », se plaint Achraf, étudiant. Au niveau national, le manque de librairies est flagrant alors que les bibliothèques universitaires sont peu pourvues en ouvrages.

« Ma hantise est de ne pas pouvoir distribuer mes livres dans des librairies. Il est difficile de trouver un endroit où vendre mes livres à Annaba, inutile alors de parler du Sud ou de l’extrême Ouest du pays. Pour l’éditeur, il ne s’agit pas uniquement de trouver l’œuvre rare et le bon papier d’impression mais aussi d’assurer la diffusion. C’est la grande aventure. Il y a un manque de diffuseurs professionnels », regrette Naïma Beldjoudi, directrice des éditions El Kalima.

Rééditer les œuvres classiques ?

L’Anep, éditeur public, envisage d’ouvrir des librairies au niveau national mais le Premier ministre Ahmed Ouyahia a émis des réserves. « Ces opérations sont coûteuses. Il est préférable d’alimenter les bibliothèques par des dons de livres», a-t-il préconisé lors de l’inauguration officielle du salon.

Vendredi, l’expérience des clubs littéraires saoudiens a été débattue au stand de l’Union des écrivains algériens en présence du ministre de la Culture Azzeddine Mihoubi et des poètes saoudiens Mohamed Al Jilwah et Said Ben Mardhama. Ces clubs arrivent à surmonter les obstacles pour diffuser les livres dans un pays qui a la réputation d’être fermé.

Au stand de l’Afrique du Sud, on apprend que le pays de Nelson Mandela, invité d’honneur du SILA 2017, a décidé de rééditer 500.000 exemplaires des œuvres classiques. Et si l’Algérie en faisait de même ? Dans le pays, il est difficile de trouver les premiers romans édités dans les années 1960 et 1970. Et ce n’est qu’un exemple….

Idir, la star 

Le chanteur Idir, qui se prépare à animer son premier concert en Algérie après 40 ans d’absence en janvier prochain, était la star du SILA vendredi. Accompagné de Samy Bencheikh El Hocine, directeur de l’Office national des droits d’auteurs (ONDA), l’artiste n’était nullement gêné par les jeunes qui se bousculaient autour de lui pour prendre des selfies ou par les caméramans.

Le même jour, Rachid Boudjedra a attiré la foule au stand des éditions Frantz Fanon au niveau du pavillon central. L’écrivain est venu signer son dernier roman « La dépossession » (paru en France aux éditions Grasset), la nouvelle édition algérienne de « L’escargot entêté » (publié la première fois en 1977) et le pamphlet qui fait polémique « Les contrebandiers de l’Histoire ».

Assailli par les journalistes, il a préféré parler du roman « La dépossession » qui s’inspire de l’histoire du vol des œuvres de l’artiste-peintre français Albert Marquet après l’indépendance de l’Algérie dans des conditions encore inconnues.

« Marquet est venu en Algérie pour faire du tourisme avant d’épouser une militante du parti communiste qui défendait la cause des domestiques algériennes chez le colons, les Fatma. Il a, après son départ, laissé beaucoup de tableaux qui ont disparu. La dépossession se veut une parabole sur d’autres dépossessions constatées depuis l’indépendance à nos jours », nous a déclaré Rachid Boudjedra. Il a expliqué que la question de la corruption est au cœur de cette œuvre. « La dépossession » se veut donc un roman à dimension politique et historique avec un fond autobiographique. Encore enfant, Rachid Boudjedra avait découvert une toile de Marquet dans le bureau de son oncle, expert-comptable.

Chekirou, Bagtache et Hadir

Vendredi aussi, Salah Chekirou a signé son nouveau roman « L’otage », paru au Canada. C’est l’histoire d’une infirmière canadienne kidnappée par des terroristes dans l’Algérie des années 1990.  Salah Chekirou publie aussi « Rendez-vous à El Qods », un autre roman édité au Liban et en Algérie.

« La pluie raconte son parcours » est le nouveau roman de Merzac Bagtache, paru aux éditions Anep. Lors de la vente-dédicace, il était aussi aux côtés du jeune Riadh Hadir qui publie son premier roman, « Pupille », un récit de fiction. «C’est une dystopie quelque peu satirique. Cela se passe dans le futur après un conflit global. J’évoque un choc des cultures entre l’Union occidentale et le nouveau Maghreb islamisé et complètement uni. Dans cette configuration, il y a des zones du monde qui sont un peu oubliées et négligées. Avec le détachement que me procure le déplacement dans le futur, j’aborde des sujets qui aujourd’hui me tiennent à cœur comme la recherche d’une certaine identité saine en Algérie. Une identité qu’on néglige par dédain », souligne Riadh Hadir.

Des questions que pose post-modernes de l’Irakien Ali

Jeudi, Ali Bader, l’écrivain irakien, a lui aussi, évoqué l’identité et la situation tragique de son pays, menacé d’éclatement pour des considérations géostratégiques.

« J’écris pour raconter la nation irakienne. Dans mes livres, je questionne l’identité, la patrie et la nation. Des questions que pose le post modernisme. L’Irak est un pays poétique par excellence. Ces dernières dix années, les Irakiens se sont mis à lire énormément les romans. Il faut dire aussi que les Irakiens ne font plus confiance aux sciences sociales. Ils tentent donc de trouver des réponses dans la littérature », a expliqué Ali Bader, connu par le roman « Papa Sartre », traduit en plusieurs langues.

La Syrienne Lina Hawyan Al Hassan, qui a fui la douleur d’avoir perdu un frère à Damas pour s’établir à Beyrouth, a, l’émotion dans la voix, raconté ce qui se passe dans son pays. « Je n’ai pas quitté mon pays pour des raisons politiques, mais personnelles.  J’ai voulu libérer ma colère et ma tristesse dans le roman « Les loups n’oublient pas ». Là, je ne peux pas écrire sur les événements actuels. Les romanciers qui sont en Syrie disent qu’ils écrivent en toute liberté »,  confie Lina Hawyann Al Hassan qui vient de publier « La fille du pacha », roman sur les premières actions d’émancipation de la femme en Syrie. Un retour sur « Al zaman al jamil » (les temps merveilleux), selon  Lina Hawyan Al Hassan.

Islam et Occident : regards croisés ?

La salle était remplie vendredi lors du débat « Islam et Occident : regards croisés » en présence de Henri Teissier, ex-archevêque d’Alger, Boguslaw Zagorski, universitaire polonais et les Algériens Mustapha Chérif, l’islamologue et Kamel Chekat, membre fondateur de la ligue des Oulémas du Sahel. Henri Teissier a plaidé pour « un dialogue intérieur » au sein des mondes musulman et chrétien alors que Boguslaw Zagorski, l’un des meilleurs spécialistes du monde arabe et musulman en Europe, a invité les musulmans à éviter d’évoquer la diffusion de l’islam dans le Vieux Continent. Sa crainte est que cela alimente les discours haineux et islamophobes en plein ascension actuellement. « Le dialogue est nécessaire », a-t-il insisté.

À quoi sert la philosophie ?

Grande question posée samedi lors d’un débat organisé dans le cadre des activités culturelles du SILA et animé par Mohamed Chaouaki Zine, Omar Boussaha, Smail Mahnana et Bachir Rebouh. « La philosophie a besoin de questions et l’Algérie est un terrain fertile pour cela », ont constaté les intervenants. Selon Smail Mahnana, la philosophie traîne en Algérie une image négative. « Certains estiment qu’elle n’a aucun intérêt », dit-il. « Nous ne pouvons pas entrer dans le monde de la pensée sans se poser de questions », estime Bachir Rebouh.

Les richesses, selon Kawthar Adimi

Au stand de l’Institut français d’Alger, le public est venu soit prendre des photos avec l’animateur de télévision Julien Lepers ou écouter la romancière Kouathar Adimi qui vient de publier « Nos richesses » aux éditions Barzakh à Alger et au Seuil à Paris.

Le livre revient sur l’histoire d’Edmond Charlot qui a ouvert la librairie « Les Vraies richesses » dans les années 1930 à la rue Charras (actuelle rue Hamani) à Alger. Il a publié le premier texte d’Albert Camus. « Je me dis que les richesses de l’Algérie ne sont pas que le gaz ou le pétrole. Nos richesses, c’est plutôt la culture, l’Histoire, les gens du pays…Du coup, j’avais envie de recentrer nos richesses sur ce qui est important à mes yeux. Je voulais également inclure l’idée de l’appropriation. C’est-à-dire qu’un lieu ouvert à Alger par un Français en 1936 à l’époque coloniale et qui va survivre à la guerre et aux années de terrorisme (1990) doit être récupéré par nous. C’est un lieu de livre qui doit perdurer », a confié Kawthar Adimi, la star montante de la littérature algérienne d’expression française.

 

Les plus lus