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Airbus A380, les raisons d’un échec

Airbus A380, les raisons d’un échec

Pascal Rossignol

De manière officielle, Airbus a déclaré que le programme A380 s’arrêterait si les négociations avec Emirates sur une nouvelle commande échouait, en raison de l’absence de ventes. Analyse.

C’est donc John Leahy, le directeur commercial d’Airbus pour encore quelques jours avant son départ à la retraite, qui aura donc lâché de manière officielle l’hypothèse de l’arrêt du programme A380, si la compagnie Emirates ne commande pas plus de super-jumbo. Lancé il y a à peine 18 ans, le plus grand appareil civil ne se vend hélas pas et plusieurs compagnies clientes comme Singapore Airlines ou Qantas ont d’ores et déjà dit qu’elles n’en commanderaient pas davantage. Si l’arrêt du programme devait arriver, le super vendeur d’Airbus, l’homme aux 16.000 avions, n’aura pas réussi à convaincre les compagnies d’acheter cet appareil pourtant apprécié par les passagers. Il n’empêche, si l’A380 n’a pas rencontré le succès escompté, il a néanmoins joué un rôle important dans le succès d’Airbus depuis une vingtaine d’années. En détrônant le mythique B747, l’A380 a renforcé la crédibilité d’Airbus face à Boeing, ce qui lui a forcément été bien utile pour arracher des contrats pour d’autres types d’avions.

Négociations cruciales avec Emirates

L’arrêt du programme A380 n’est pas encore prononcé. Loin de là. Airbus et Emirates discutent sur une commande portant sur « quelques dizaines d’exemplaires supplémentaires », qui s’ajouteraient aux 142 déjà commandés par la compagnie de Dubaï, dont plus d’une centaine a déjà été livrée.

Cette nouvelle commande est en effet cruciale pour Airbus mais aussi pour Emirates qui a fondé une grande partie de sa stratégie sur cet avion. Elle permettrait à Airbus d’avoir le nombre d’appareils nécessaire pour alimenter la chaîne d’assemblage jusqu’à la moitié de la prochaine décennie au moment l’arrivée de nouvelles technologies de moteurs, lesquelles, combinées à un allongement de l’appareil, permettraient d’améliorer les performances économiques de l’appareil et, dans l’esprit d’Airbus de relancer enfin les ventes. En effet, s’il reste officiellement une centaine d’appareils à livrer, il y en a en réalité beaucoup moins dans la mesure où un grand nombre de contrats inscrits dans le carnet de commandes émane de compagnies autres qu’Emirates, dont les chances d’être honorés sont réduites pour ne pas dire nulles. Soit parce que le client a déjà fait comprendre qu’il n’en voulait pas, soit parce qu’il apparaît fragile financièrement pour se payer un avion à près de 400 millions de dollars pièce au prix catalogue. Pour les observateurs les plus pessimistes, le carnet de commandes se résume donc à la quarantaine d’appareils d’Emirates. L’équivalent de 3 ans de production au rythme des livraisons de 2017 (15 appareils).

Mais, Airbus va baisser les cadences à 12 appareils en 2018, puis à 8 en 2019 pour retarder au maximum l’échéance en espérant engranger une commande salvatrice. Fabrice Brégier, le président d’Airbus Commercial Aircraft, estime même qu’Airbus est capable de pouvoir descendre à 6 appareils produits par an en assurant une production industrielle. A noter que la production se serait déjà d’ailleurs arrêtée si le programme n’avait pas dérapé à partir de 2005, ou si, une fois les problèmes d’industrialisation résolus, Airbus avait tenu ses plans initiaux de livrer 30 à 40 appareils par an à partir de 2010.

Emirates représente 44% des commandes

Car les ventes de cet appareil n’ont jamais décollé. Depuis le lancement du programme en 2000, seules 317 commandes nettes pointent au compteur, alors que l’avionneur estimait le marché des très gros-porteurs (B747 compris qui d’une part ne s’est pas plus vendu et quand il l’a été cela fut essentiellement des avions cargo) à 1.200 exemplaires sur 20 ans. Et encore, cela aurait pu être pire si une compagnie, Emirates, qui n’était qu’un nain à l’époque de la préparation du projet dans les années 90, n’avait tenu à bout de bras ce programme en achetant 142 exemplaires (44% du carnet de commandes).

Surtout, après des prises de commandes « correctes » au cours des premières années de commercialisation (144 commandes fermes au moment du 1er vol le 27 avril 2005) compte-tenu de la succession de coups durs qui ont frappé le transport aérien (11-Septembre, intervention en Afghanistan, puis en Irak , SRAS…), l’A380 a ensuite enregistré très peu de prises de commandes, à l’exception de celles d’Emirates. A part la centaine d’exemplaires commandée par la compagnie du Golfe, seuls 75 A380 environ ont en effet été commandés en 12 ans, dont une partie a été bradée en guise de compensation après le dérapage du programme à partir de 2006.

Ces problèmes d’industrialisation qui ont entraîné des livraisons au compte-gouttes et certains pépins techniques (comme l’explosion d’un moteur Roll Royce sur un appareil de Qantas à Singapour en 2010 ou les microfissures intervenues sur les ailes constatées en 2012), ont certainement joué sur la faiblesse des ventes depuis l’entrée en service de l’avion à partir de l’automne 2007. Ce début commercial, qui a coïncidé avec les débuts de la crise financière et économique, n’a pas aidé non plus à pousser les compagnies focalisées sur leur survie à passer de nouvelles commandes.

Le B777-300 ER, le cauchemar de l’A380

Pour autant, d’autres facteurs expliquent la faiblesse des ventes. Tout d’abord, la concurrence de Boeing. Non pas de sa version améliorée du B747, le B747-8, lancée en 2005, mais du Boeing 777-300 ER, une version allongée du B777, lancée la même année que l’A380 en 2000 et qui est entrée en service en 2004 dans la flotte d’Air France.

A l’heure où le prix du kérosène commençait à augmenter, ce bimoteur de grande capacité allait devenir le cauchemar de l’A380. Avec une configuration de base de 365 sièges, le B777-300 ER a privé l’A380 de la quasi-totalité du marché du renouvellement du B747 que convoitait Airbus. Les compagnies ont en effet préféré sacrifier un peu de capacité pour une meilleure performance économique en termes de coût au siège et de coût à l’étape. D’autant plus que le B777 avait une capacité fret supérieure à celle de l’A380 (le fret étant un facteur clé dans l’économie des lignes aériennes).

La congestion aéroportuaire, un sujet pour demain?

Autre raison majeure, la perspective d’une congestion aéroportuaire, qui avait justifié le lancement de l’A380, est restée cantonnée à des exemples déjà connus comme Londres Heathrow ou Tokyo Narita (et encore, l’ouverture d’Haneda au long-courrier a desserré en partie la contrainte) et n’a pas eu l’ampleur qu’elle risque d’avoir demain si des investissements ne sont pas faits de la part des aéroports.

Par ailleurs, les grosses routes long-courriers, sur lesquelles il est préférable de remplacer deux vols assurés par des appareils de plus petite capacité par un vol opéré en A380 (pour réduire les coûts), n’ont pas été jusqu’ici aussi nombreuses qu’espéré. Sur les routes où les compagnies disposent d’une faible fréquence de vols, les compagnies ne sont pas forcément tentées de réduire le nombre de vols, qui leur confère un avantage commercial puisqu’il apporte un choix à la clientèle affaires.

Le marché chinois n’était pas mûr

Enfin, les dirigeants d’Airbus ont mal appréhendé le marché chinois en estimant que la Chine, appelé à devenir le premier marché aérien mondial, allait devenir le marché naturel de l’A380. Cela le deviendra un jour si le programme est maintenu et qu’Airbus parvient à relancer les ventes. Mais ce n’était pas le cas jusqu’ici. Car, en multipliant les constructions d’aéroports (un nouvel aéroport gigantesque à Pékin est censée ouvrir en 2019 par exemple), la Chine n’a pas rencontré de sous-capacité aéroportuaire qui aurait pu justifier l’achat massif d’A380, bien plus que les 5 exemplaires achetés par China Southern en 2005. La sous-capacité de l’espace aérien n’a pas été suffisante non plus. En outre, les compagnies chinoises se sont davantage focalisées jusqu’ici sur le marché intérieur que sur le marché international. Aujourd’hui, Airbus est convaincu que la Chine pourrait absorber 60 A380 dans les six à sept ans mais Fabrice Brégier n’attend pas de commandes à court terme.

Comment va se structurer le marché long-courrier?

Autant d’éléments qui confortent les observateurs qui, depuis des années, expliquent que l’A380 a été lancé trop tôt. Ce qu’a admis depuis Airbus. De fait, les arguments avancés à l’époque pour justifier la pertinence de l’A380 sont encore valables. Airbus rappelle qu’en doublant tous les 15 ans, le trafic de passagers va se concentrer sur les grands hubs et accentuer la congestion des aéroports sur lesquels les compagnies aériennes n’auront d’autres solutions, pour croître, que d’augmenter la taille des avions. Pas sûr néanmoins tant le marché long-courrier est peut-être à l’aube d’une révolution avec la conjonction de plusieurs facteurs qui, tous, poussent à éviter les hubs. En effet, le développement des low-cost long-courriers, l’arrivée sur le marché d’appareils moyen-courriers capables de faire du long-courrier comme l’A321 LR par exemple, et la libéralisation continue des marchés avec la multiplication des accords de ciel ouvert notamment, créent un environnement favorable aux vols de point-à-point.

Airbus est dans l’impasse. Car même si Emirates s’engage sur de nouveaux appareils, rien ne dit que cette commande soit le point de départ d’une aventure moins tumultueuse pour l’avion. Certes, Airbus pourrait attendre plus sereinement le milieu de la prochaine décennie pour disposer de plus de cartes en mains pour trancher sur une amélioration significative de l’appareil, capable de répondre à une demande de très gros-porteurs.

Mais à cet horizon, la situation concurrentielle n’aura pas changé. La concurrence du B777 sera en effet toujours présente. Elle se sera même intensifiée avec l’entrée en service, au début de la prochaine décennie, de deux dérivés du B777-300 ER : le B777-8X d’une capacité de 365 sièges et le B777-9X, de plus de 400 sièges. Pis, le groupe américain pourrait aller encore plus loin puisqu’il planche sur une version encore plus grande (450 sièges), le B777-10 X, qui pourrait tuer dans l’œuf un A380neo, même si ce dernier affichait de belles améliorations.

Lire ici : 26 juin 1996, le jour où tout a commencé pour l’A380

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